Forcé de quitter son Canada d’adoption pour poursuivre son rêve?

Thomas Genest, élève au Centre d'excellence artistique de l'Ontario. Gracieuseté

OTTAWA – Thomas Genest a un rêve, celui d’étudier les arts visuels. Mais le jeune homme, en 12e année à Ottawa, est confronté à sa réalité familiale, un permis de travail temporaire qui le place dans les limbes de l’immigration, pour le plus grand regret de ses parents.

À presque 18 ans, Thomas Genest a déjà passé près d’un tiers de sa vie au Canada et la majeure partie de sa vie d’adolescent. Actuellement élève de 12e année au Centre d’excellence Artistique de l’Ontario, à Ottawa, le jeune homme, qui a terminé 2ème du concours LOL de la dernière édition, veut se diriger vers une filière artistique. Son choix : le programme de photographie du collège La Cité ou celui en Arts visuels, à l’Université d’Ottawa.

Un choix qu’appuient ses parents, venus de France et qui sont encore dans les méandres de l’immigration, allant de permis de travail temporaire en permis de travail temporaire. Mais au moment d’inscrire leur fils pour septembre 2021, c’est la douche froide.

« Même si mon fils est diplômé du secondaire en Ontario, il continue d’être considéré comme un Français qui voudrait venir au Canada pour ses études, car nous ne sommes pas résidents permanents », raconte sa mère, Sandrine Genest.

Et ce statut change tout. Jointe par ONFR+, l’Université d’Ottawa indique que les droits de scolarité pour un programme en Arts visuels pour un nouvel étudiant, pour le semestre d’hiver 2021, seraient d’environ 3 500 $ pour un étudiant ontarien, mais pour un étudiant international, ils atteignent 19 000 $. À La Cité, une inscription au programme de photographie pour un étudiant ontarien est de 4 502 $ par an, pour deux semestres, et de 14 758 $ pour les étudiants étrangers.

« Je peux comprendre ces frais pour une personne qui vient de l’étranger, mais là ça comprend des frais d’assurance pour notre fils, alors qu’il a une carte de santé ontarienne et qu’il est rattaché à nos assurances avec nos employeurs, des frais pour traiter l’équivalence de ses diplômes, alors que le sien est ontarien… Ce sont des sommes folles, sans compter qu’il faut aussi qu’il obtienne un permis d’étude auprès du fédéral qui nécessite beaucoup d’argent, car il doit prouver qu’il est capable de subvenir à ses besoins, alors qu’il vit chez nous! »

Étant exclu des programmes de prêts et bourses et du marché de l’emploi n’ayant pas de permis de travail, l’avenir de Thomas s’obscurcit.

« On paie des impôts, on travaille tous les deux, mais nous ne sommes pas considérés », regrette Mme Genest. « Ce sont des sommes colossales, d’autant que le contrat de mon mari arrive à échéance en mars et qu’on ne sait pas encore s’il sera prolongé. On se demande vraiment ce que notre fils va pouvoir faire à la rentrée. »  

Des options limitées

Parmi les solutions étudiées, Mme Genest parle d’envoyer son fils dans un CÉGEP au Québec, grâce aux ententes entre la France et la Belle Province.

« Mais il lui faudra quand même obtenir un permis d’études et démontrer sa capacité financière, sans oublier les coûts de vivre loin de la maison. Ça reste une grosse somme à trouver. »

L’Université d’Ottawa offre une bourse d’exonération partielle des droits de scolarité aux étudiants internationaux francophones et francophiles à compter de septembre 2021 et qui permet de réduire les droits de scolarité à un niveau avoisinant ceux payés par les citoyens canadiens. Mais là encore, la solution n’est pas idéale.

« C’est la plus abordable, mais il faut quand même un permis d’étude et le programme que vise mon fils n’est pas concerné. Quitte à payer une telle somme, on aimerait quand même qu’il fasse quelque chose qui lui plaît. »

À La Cité, de telles bourses n’existent pas, mais en cours de cheminement, les étudiants internationaux peuvent obtenir une bourse de persévérance académique et une exonération partielle des frais de scolarité pour certains programmes ciblés.

Quant à la solution d’envoyer leur fils étudier en France, elle paraît peu réaliste compte tenu des coûts engendrés.

Remettre en cause son immigration

Ultimement, la solution envisagée par la famille Genest est donc un retour en France.

« On ne voit pas de solutions et on commence à penser à repartir. Mais rien ni personne ne nous attend en France et on veut vivre ici et contribuer à la relance économique du pays. »

La famille Genest. Montage Laura François-Eugène/Crédit image : JK Liu et gracieuseté famille Genest

Pour Thomas Genest, la situation est difficile, explique sa maman.

« Déjà, nous avons dû déménager cette année pour retrouver un travail et il a fallu qu’il s’intègre à une nouvelle école dans le contexte difficile de la COVID-19. Il se sent très seul et avec cette histoire, il a pris une grosse claque, même s’il espère encore un miracle. Il veut rester ici! »

Ce miracle pourrait être une résidence permanente pour ses deux parents, mais compte tenu de la situation de la pandémie et des délais en immigration, difficile de trop espérer.

Une différence entre les discours et la réalité

La famille Genest a contacté le bureau de sa députée fédérale, Marie-France Lalonde, à Orléans, puisque c’est Ottawa qui fixe les règles. Sans réponse pour l’instant.

En attendant, les déclarations du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté canadienne (IRCC), Marco Mendicino, qui s’engage à continuer d’augmenter l’immigration francophone à l’extérieur du Québec pour atteindre la cible de 4,4 % en 2023, notamment en ciblant les étudiants internationaux, suscitent l’ironie de Mme Genest.

« Quand j’entends le fédéral qui dit vouloir augmenter l’immigration francophone et les écoles et établissements postsecondaires qui disent vouloir garder les étudiants dans le système franco-ontarien, ça me fait rire jaune. On est une famille francophone, nos trois enfants sont dans des écoles de langue française, mon mari et moi travaillons ici, et rien n’est fait pour nous garder! »

Et de poursuivre : « Je connais beaucoup de personnes qui ont jeté l’éponge. Psychologiquement, c’est dur. On ne peut faire aucun projet à long terme et il faut sans cesse se battre. Il y a tellement de défis quand on est temporaire que c’est dur à anticiper. On dirait que personne n’a pensé à ce cas de figure : des travailleurs temporaires avec des enfants en âge d’aller à l’université. Pourtant, on ne doit pas être les seuls. »