Fromagerie St-Albert : des flammes au renouveau
ST-ALBERT – Dans l’histoire franco-ontarienne, le 3 février 2013 reste une journée sombre. Ce dimanche matin comme tous les autres, la Fromagerie St-Albert dans l’Est ontarien était ravagée par les flammes. La destruction de ce symbole culturel et économique franco-ontarien déclenchait aussitôt une onde de choc.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Depuis, les différentes étapes de construction ont été savamment mises en scène : redémarrage de la production en août 2014, ouverture du restaurant en janvier 2015, puis inauguration des nouveaux locaux, un mois plus tard. L’objectif étant à chaque fois de montrer la capacité de la coopérative à remonter la pente. Son directeur, Éric Lafontaine, le confie aujourd’hui : ce ne fut pas si facile.
« Le dernier cinq ans a été extrêmement difficile (…) Cela fait environ moins d’un an qu’on a tout récupéré. On atteint le même niveau de production qu’on était en 2013. Ça a pris quatre années. »
Aujourd’hui, ce sont de nouveau entre 8 000 et 14 000 kilos de fromage qui sont transformés par la coopérative. Délocalisée à la Fromagerie Mirabel de Saint-Jérôme peu après l’incendie (une autre fromagerie dont la coopérative est propriétaire), la production est aujourd’hui revenue à St-Albert.
Le défi fut même double pour M. Lafontaine. Son arrivée à la direction de la coopérative en mai 2013 coïncidait au pire de la crise. « Il y a eu un an et demi de rodage. Il a fallu reformer les employés, reformer les technologies et l’informatique. Ce fut une nouvelle gestion des anciens employés. »
Car le bâtiment reconstruit n’a plus grand chose à voir avec le précédent. De la surface agrandie de 30 %, s’est ajoutés une modernisation de la machinerie et des systèmes informatiques.
Modernisation obligatoire après l’incendie
Pour l’expert Sylvain Charlebois, il est clair que l’incendie a représenté un renouveau. « Il y a eu certainement pour la Fromagerie St-Albert une opportunité de moderniser ses pratiques. Tout semble maintenant beaucoup plus efficace qu’en 2013. Il semble qu’on produise aujourd’hui autant, mais pour moins cher », analyse le professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie.
Les élans de solidarité envers la fromagerie après l’incendie ne sont pas les seules explications de la relance. « La force de la fromagerie St-Albert, c’est sa reconnaissance de marque. Ce n’est pas facile, surtout pour une coopérative dont les ressources sont limitées, mais la fromagerie a l’art de distribuer efficacement. Il ne faut jamais sous-estimer le lien avec le marché, et la vente aux distributeurs. »
Cette « image de marque » a aussi servi, au moment de dynamiser la production. « Ce sont en tout 10 millions de dollars supplémentaires de réinvestis », souligne M. Lafontaine, hésitant quand même à parler davantage argent.
Le directeur est plus formel lorsqu’il faut parler des ressources humaines. Tous les 170 employés de la fromagerie ont conservé leur emploi à quelques exceptions près. Si le gros des travailleurs se situe à St-Albert, une partie exerce à Saint-Jérôme.
La crainte d’une renégociation de l’ALÉNA
La Fromagerie St-Albert doit-elle craindre l’avenir? « L’économie va très bien, donc les consommateurs dépensent bien », estime M. Lafontaine. Mais le sceptre d’une renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) plane toujours. Celle-ci pourrait menacer directement le système canadien de gestion de l’offre, qui limite les importations de lait, d’œufs et de volailles sur le territoire. « Si le marché s’ouvre, les prix du fromage pourraient diminuer », prévient M. Charlebois.
Reste que tout changement du côté de l’ALÉNA, malgré le souhait du président des États-Unis, Donald Trump, pourrait être peu ou pas du tout ressenti du côté de St-Albert. « Le modèle coopératif s’adapte bien aux fluctuations du marché. Il est moins politisé et moins vulnérable. Les coopératives prennent moins de risques. »