
Le fédéral toujours « in english only » lors des situations d’urgence

Catastrophes naturelles, système d’alerte, COVID-19… Le français a pris le bord au sein des institutions fédérales dans les dernières années lors de situations d’urgence, constate le commissaire aux langues officielles dans un rapport.
Il fait un état des lieux de l’utilisation des deux langues officielles par le gouvernement du Canada lors de situations critiques qui sont survenues entre 2010 et 2020 et formule des recommandations pour que « les langues officielles ne soient plus une considération de second ordre pendant les situations d’urgence ».
Raymond Théberge constate que les obligations linguistiques du fédéral notamment lorsqu’il vient le temps de communiquer de manière rapide avec le public sont mises de côté au profit d’une « analyse coûts-avantages, où le coût lié au fait d’enfreindre la Loi est compensé par l’avantage de fournir rapidement l’information ».
« Les institutions fédérales ont eu tendance à justifier la diffusion d’informations unilingues lors de crises en faisant remarquer qu’en cas d’urgence, le fait d’attendre que les communications soient traduites prendrait tout simplement trop de temps », observe-t-il.
Pour le chien de garde des langues officielles, ce n’est pas le manque de politiques et procédures qui nuisent au moment critique. Des réformes ont été mises en place pour pouvoir servir le public en français lors de situations critiques, mais elles sont souvent mises à la poubelle une fois dans le moment. Comme « l’anglais est la langue de travail principale et le français étant traité comme une langue de traduction », il est donc naturel que les instances fédérales « s’exposent à des retards de traduction », soutient M. Théberge.
« Procéder ainsi augmente les risques pour les membres du public et les membres du personnel qui ne parlent pas la langue officielle de la majorité linguistique », s’inquiète-t-il dans un rapport publié la semaine dernière.
« Un retard dans les communications pendant une urgence peut avoir des conséquences néfastes, voire fatales, rappelle-t-il. C’est pourquoi le gouvernement fédéral doit s’efforcer de lever les obstacles qui pourraient retarder les communications rapides avec le public dans les deux langues officielles. »
L’une des racines du problème qui est identifiée est que plusieurs postes qui devraient être occupés par des personnes maîtrisant les deux langues officielles ne le sont pas.
« Ainsi, cette tendance pourrait potentiellement faire en sorte qu’un grand nombre de fonctionnaires fédéraux, lorsqu’ils sont appelés à communiquer dans les deux langues officielles en situation d’urgence, se trouvent dans l’impossibilité de le faire », constate le haut fonctionnaire fédéral.

Le défaut d’identifier précisément les postes bilingues au sein de la fonction publique est un problème récurrent, soulevé de manière constante dans les différents rapports des commissaires aux langues officielles.
Il exhorte d’ailleurs le Conseil du Trésor à mieux surveiller les institutions fédérales comme Sécurité publique Canada, pour s’assurer que celles-ci aient une main-d’œuvre bilingue prête à communiquer avec le public en cas d’urgence. Raymond Théberge recommande aussi au gouvernement et au Bureau de la traduction de faciliter la rédaction et la diffusion simultanée de communications en anglais et français notamment via « un service de traduction accéléré pour les situations d’urgence ou de crise ».
Plusieurs exemples au cours des dernières années
Au début de la pandémie de COVID-19, le Commissariat aux langues officielles (CLO) avait reçu plusieurs plaintes concernant un manque d’informations en français lors des premières conférences de presse de Justin Trudeau. Il y a Santé Canada, qui avait autorisé de manière provisoire une dérogation sur l’étiquetage bilingue sur les produits désinfectants. Au Nouveau-Brunswick et en Ontario, les mises à jour médiatiques sur la COVID-19, principalement unilingue, ont aussi été dénoncées à l’époque.
25 % des francophones hors Québec ayant répondu à un questionnaire du CLO disent avoir eu de la difficulté lors de la pandémie à avoir accès à des informations dans leur première langue officielle.
Raymond Théberge pointe aussi vers d’autres situations où des ministères fédéraux ont échoué à leurs obligations linguistiques en envoyant des messages d’alertes en anglais seulement comme durant des inondations ou lors de la fusillade sur la Colline du Parlement en 2014. D’autres situations comme des conférences de presse avec de hauts responsables en anglais seulement sont soulevées comme d’autres exemples de manquements à la Loi sur les langues officielles.
17 % des francophones hors Québec ayant répondu au questionnaire ont noté avoir eu des difficultés lors de moments d’urgence à avoir accès à de l’information en français.