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Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

La violence entre partenaires intimes n’est pas une maladie infectieuse ou transmissible et, donc, ne se qualifie pas comme épidémie. C’est ce qu’affirmait le gouvernement ontarien en juin 2023, après l’enquête publique sur les meurtres d’Anastasia Kuzyk, Nathalie Warmerdam et Carol Culleton en une seule et sombre journée à Renfrew, en 2015. À la veille de la Journée mondiale de la femme (8 mars), il faut hurler au changement et exiger que le premier ministre Doug Ford reconnaisse la violence entre partenaires intimes comme une épidémie en Ontario. 

« There is no risk to the public ». Il n’y a pas de risque pour le public.

Ni à Carman, dans le sud du Manitoba, où Amanda Clearwater et ses enfants, Isabella, Jayven et Bethany, et sa nièce, Myah-Lee Gratton, ont été assassinées le mois dernier dans un acte de violence familiale.

Ni à Sault Ste. Marie, où Angie Sweeney et Abigail ‘Abbie’ Rose Hannah Marie Hallaert, Alexandra ‘Ally’ June Elizabeth Hallaert, et Nathaniel ‘Nate’ John Henrik Hallaert ont été anéantis l’automne dernier dans un meurtre-suicide.

Une affiche de l’organisme Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOCFF). Source : AOCFF

« Je m’en doutais et c’est maintenant confirmé », explique la journaliste Elizabeth Renzetti sur X, anciennement Twitter. « La femme et les enfants tués au Manitoba étaient la compagne et les enfants de l’homme accusé de leur meurtre. Il s’agit d’un #féminicide. C’est ça, la violence familiale que nous ignorons ».

« Ce n’est qu’en octobre qu’un homme ayant des antécédents de violence domestique a assassiné ses enfants à Sault Ste. Marie. Comme dans ce cas, la police a déclaré qu’il n’y avait pas de risque pour le public. Mais bien sûr, il y en a un, à moins que nous ne fassions quelque chose pour lutter contre la violence familiale » termine Elizabeth Renzetti.

Et toujours, « there is no risk to the public ». Il n’y a pas de risque pour le public.

Faire partie du public

Après tout, c’est une violence ordinaire, normalisée. Car si l’on souhaitait croire que la violence entre partenaires intimes est relique d’une époque révolue, elle habite toujours le quotidien des femmes, partout au pays. 

En 2018, 44 % des Canadiennes ont déclaré avoir subi une forme de violence psychologique, physique ou sexuelle de la part d’un partenaire intime au cours de leur vie. Les femmes et leurs enfants sont refusés dans des refuges au Canada près de 19 000 fois par mois. Toutes les 48 heures, une femme ou une fille est assassinée au Canada et, lorsque les informations sont connues, les hommes constituent la majorité des accusés.

Mais « there is no risk to the public ». Il n’y a pas de risque pour le public.

Sauf pour les femmes qui, selon cette logique, ne sont pas membres du public. Surtout les femmes autochtones, les femmes immigrantes et racisées, les femmes vivant avec un handicap, les femmes lesbiennes et bisexuelles, les femmes trans ainsi que les travailleuses du sexe.

La définition parfaite

Il faut hurler au changement. Scream for change, comme le souhaitait le jury qui a développé les 86 recommandations dans l’après-coup des meurtres d’Anastasia Kuzyk, Nathalie Warmerdam et Carol Culleton. La première recommandation : déclarer une épidémie de violence entre partenaires intimes.

Et si Sault Ste. Marie, ainsi que Sudbury, Thunder Bay, Toronto, Ottawa, Kingston, et plusieurs autres villes ontariennes, en plus du Canada, l’ont déclaré, le gouvernement de l’Ontario refuse toujours d’adopter cette terminologie.

« À cet égard, la violence entre partenaires intimes (VPI) ne serait pas considérée comme une épidémie puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie infectieuse ou transmissible », écrivait le gouvernement ontarien dans un document signé par six sous-ministres et procureurs généraux adjoints au coroner en chef de la province.

Le 8 mars est la Journée internationale des droits des femmes. Source : Canva

« Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé affirme que la violence à l’égard des femmes, en particulier la violence entre les partenaires intimes et les abus sexuels, est un problème majeur de santé publique », expliquait la conseillère municipale Angela Caputo à Sault Ste. Marie l’automne dernier.

« On veut donner une définition beaucoup plus large à ce qu’on peut entendre avec le mot épidémie », soulignait également en décembre Gaëtane Pharand, directrice générale sortante du Centre Victoria pour femmes de Sudbury. 

Mais, comme l’affirmait le journal The Toronto Star dans un éditorial sur la question l’été dernier, « [le gouvernement ontarien] ne peut se résoudre à formuler le problème de manière appropriée, à prononcer le mot épidémie ».

« La violence domestique est un problème de santé publique, dont les causes et les conséquences relèvent de la santé publique et qu’il est préférable d’aborder dans le cadre d’une approche de santé publique », poursuivent les auteurs du texte.

« En refusant d’appeler la violence domestique par son nom, une épidémie, la province risque de compromettre ses propres efforts en envoyant le message qu’il n’y a pas d’urgence, qu’on peut toujours attendre un autre jour », termine le Toronto Star.

Oui. Oh, que oui. 

« Peut-être que dans quelques années, termine Elizabeth Renzetti sur X, le Comité d’examen des décès dus à la violence familiale publiera un autre rapport assorti de recommandations… et le cycle se poursuivra ».

Appel au changement

Il faut rompre ce cycle. Il faut exiger que le premier ministre Doug Ford reconnaisse la violence entre partenaires intimes comme épidémie en Ontario. Car c’est tout le bien-être d’une province qui est à risque. 

Angie Sweeney fait partie de ces innombrables femmes victimes de féminicides en Ontario. Source : O’Sullivan Funeral Home

Il est trop tard pour Anastasia Kuzyk, Nathalie Warmerdam et Carol Culleton à Renfew.

Trop tard pour Angie Sweeney. Abbie, Ally et Nate Hallaert à Sault Ste. Marie. Pour Carol Fournier à Sudbury. Et Jenna Ostberg à Thunder Bay. Pour tant d’autres.

Il est trop tard pour ces femmes.

Hurlons au changement. Pour toutes celles qui habitent à l’ombre de l’anonymat.