Interrogée en anglais, une mère francophone dénonce une enquête policière « bâclée »

Différentes photos de Caleb, notamment en compagnie de sa mère. Puis, l'en-tête d'un rapport de l'Unité des enquêtes spéciales de l'Ontario. Crédit image: photomontage ONFR+

LONDON – Le rapport de l’Unité des enquêtes spéciales (UES) écœure Nelly Wendo, la mère de Caleb Tubila Njoko. Ce jeune franco-ontarien noir est décédé, en mai dernier, des suites d’une chute du 15e étage d’un immeuble de London, durant une intervention policière. Les enquêteurs n’ont pas fait l’effort de l’interroger en français et n’ont pas enquêté non plus sur la précédente interpellation du jeune homme qui aurait, selon sa famille, précipité sa mort.

Par Rudy Chabannes et Étienne Fortin-Gauthier

« C’est une injustice! Les policiers disent que ce n’est pas eux, mais on ne cherche pas plus loin. On dit dans le rapport que mon fils est décédé comme ça, sans développer davantage. Comme si c’était un poulet qui se fait écraser. On constate la chose et on tourne la page », lance avec colère Nelly Wendo. 

Des enquêteurs anglophones de l’Unité des enquêtes spéciales se sont présentés chez elle pour recueillir son témoignage après le drame. Elle voulait la présence de sa cousine pour l’épauler. Les enquêteurs ont tenu pour acquis qu’elle agirait comme traductrice, dénonce Mme Wendo.

« J’aurais voulu qu’on me pose les questions en français. Ils savent que je suis francophone. Ils auraient pu amener un policier francophone qui pouvait bien m’expliquer les choses. Ils n’ont pas bien fait ça », constate-t-elle.

Dans le rapport sur la mort de son fils, rendu public vendredi dernier, elle constate avec consternation qu’une première altercation entre son fils et la police a été ignorée.

Une semaine avant, Caleb Tubila Njoko a en effet été arrêté avec vigueur par des policiers de London. On l’accusait d’avoir voulu s’emparer d’une voiture de livraison de pizza. Sa mère nie depuis le début ces accusations. Il ressortira de ce premier incident gravement blessé et « aura peur de la police ensuite », dit sa mère.

L’UES répond que son mandat se limite à la journée de la mort du jeune homme. La mère se demande cependant si les mêmes policiers ont pu être impliqués dans le premier incident puis le second, ce qui aurait pu contribuer à effrayer encore davantage son fils et précipiter sa chute mortelle. 

Des photos des blessures de Caleb après le premier incident avec un individu et la police, une semaine avant le drame. Crédit image : Nelly Wendo

La réplique de l’Unité des enquêtes spéciales

ONFR+ : Le premier incident entre Caleb et la police de London a-t-il été analysé dans le rapport?

UES : L’UES n’a pas été informée d’un incident impliquant un véhicule volé, car cela ne rentrait pas dans notre mandat. Nous avons été mis au courant de précédents incidents où la police a utilisé la force à l’endroit de M. Njoko, mais l’UES n’a pas enquêté, car cela ne rentrait pas dans notre mandat.

ONFR+ : Les policiers impliqués lors des deux événements étaient-ils les mêmes?

UES : L’UES ne peut pas confirmer ou infirmer le fait que les agents présents lors de l’incident du 5 mai étaient les mêmes que lors des précédentes interactions.

ONFR+ : Pourquoi les enquêteurs de l’UES n’ont pas interrogé la mère en français?

UES : La mère de M. Njoko a demandé la présence de sa nièce, qui parle couramment anglais. L’UES a respecté la demande de la mère. Si la mère n’avait eu personne de disponible pour traduire l’entrevue, l’UES aurait offert un traducteur. Dans la même lignée, si la compréhension avait été difficile, nous aurions offert un traducteur.

Le soir du drame, Nelly Wendo affirme avoir appelé le 911 pour recevoir de l’aide d’une ambulance : « J’ai appelé une ambulance pour qu’on emmène mon fils à l’hôpital, je n’ai pas appelé la police pour qu’elle vienne l’arrêter. Il a eu peur. Il a sauté. »

Dans son rapport, l’UES dit que les policiers ont agi dans les règles. Mais ce sont bien les règles elles-mêmes que des milliers de manifestants ont dénoncées lors d’un printemps de manifestions inédites contre le racisme systémique et les interventions policières inadéquates dans les cas de crise en santé mentale.

Nelly Wendo espère que la mort de son fils fera l’objet de davantage de démarches pour mieux en comprendre les circonstances. Mais sans argent et sans avocat, elle doute pouvoir livrer elle-même ce combat.

Des milliers de manifestants ont réclamé en juin dernier un définancement de la police à London. Crédit image : Rudy Chabannes

L’avocat de Korchinski-Paquet dénonce le rapport

Pour bien des citoyens, un rapport de l’Unité des enquêtes spéciales constitue le dernier chapitre de tout dossier impliquant mort d’homme lors d’intervention policière. Soit les policiers sont blanchis, soit ils sont accusés. Si c’est aussi votre point de vue, vous avez tort, tranche l’avocat Knia Singh. « Depuis 30 ans, l’UES surfe sur cette réputation surfaite. L’UES favorise la police, à tout coup. Elle ne travaille pas dans l’intérêt du public », lance celui qui représente la famille de Regis Korchinski-Paquet, morte en mai lors d’une intervention policière. L’UES a blanchi les agents.

Me Singh est choqué à la lecture du rapport d’enquête sur le cas de Caleb Tubila Njoko. Les questions se multiplient dans son esprit : « Pourquoi de telles différences entre les heures rapportées? », « Pourquoi autant de temps entre l’intervention et l’appel au 911? », « Est-ce que les mêmes policiers sont intervenus à une semaine d’intervalle auprès de Caleb? »… Le rapport d’enquête ne répond à aucune des questions clés dans cette affaire, dénonce-t-il.

« L’UES ne fonctionne pas mal! Elle fonctionne exactement de la manière dont elle a été pensée! Ce qu’il faut faire : l’abolir ou la réformer en profondeur. Pour pouvoir s’assurer d’avoir de bons policiers, il faut être capable de dénoncer les mauvais », tranche-t-il.

Création d’une équipe spécialisée en crise mentale

Dans la foulée du rapport de l’UES, la Commission des services de police de London a voté ces derniers jours, en faveur de la création d’une équipe de sensibilisation et de soutien en cas de crise pour venir en appui aux policiers lors d’appels liés à la santé mentale.

La motion, déposée par le chef de la police Steve Williams, demande que quatre agents de police spécialisés fassent équipe avec des agents de santé mentale locaux pour répondre aux appels en santé mentale, sans préciser s’ils seront en mesure de répondre en français.

« La police seule ne devrait pas être la première à répondre à ces appels de crise », estime M. Williams. « Cette décision est un grand pas en avant dans la réponse à l’appel de Black Lives Matter London. »

Le groupe a appelé, entre autres, à la réaffectation des fonds de la police pour mieux s’attaquer à des problèmes tels que la santé mentale.

Le leader communautaire francophone, Constant Ouapo, y voit une bonne décision, mais espère que des leçons seront tirées. Selon lui, l’équipe mise en place devra être bilingue et racialisée pour désamorcer ce type de crise à l’avenir et éviter le pire.

« La police fait peur. Quand on peut adjoindre des travailleurs sociaux à l’équipe, ça peut contribuer à faire baisser la tension », estime l’ancien directeur général de l’Entité de planification des services de santé en français Érié St. Clair/Sud-Ouest. Mais « la Loi sur les services en français n’oblige pas une municipalité à offrir des services en français. C’est là où se trouve la difficulté ».

Il s’interroge aussi sur les solutions alternatives au 911 : « N’y a-t-il pas une autre approche avant d’en arriver là? On doit ouvrir une réflexion avec les spécialistes en santé mentale et rendre ces contacts disponibles pour apaiser la situation et que le 911 soit vraiment le dernier recours. »