Joly-Mulroney : les raisons d’une entente

La ministre du Développement économique et des Langues officielles Mélanie Joly (à gauche) et la ministre des Affaires francophones de l'Ontario, Caroline Mulroney. Montage #ONFR+

[ANALYSE] 

OTTAWA – On y croyait presque plus. Samedi après-midi, les gouvernements provincial et fédéral ont enfin officialisé une entente de financement pour la création de l’Université de l’Ontario français (UOF). Un accord qui met fin au match de ping-pong que se livraient depuis plusieurs jours la ministre des Affaires francophones ontarienne, Caroline Mulroney, et son homologue fédérale, Mélanie Joly.

Depuis quelque temps, l’affaire était pourtant dans le sac. Ottawa et Queen’s Park s’étaient entendus pour payer chacun 63 millions de dollars pour le démarrage du projet, le tout sur huit ans. Mais les deux camps ont ergoté sur des détails.

Finalement, les deux parties ont obtenu les concessions voulues. L’équipe de Doug Ford a, par exemple, le droit de ne payer sa part qu’après 2022, tandis qu’Ottawa a la garantie d’être remboursé si le gouvernement provincial ne participe pas. Queen’s Park a aussi accepté sa responsabilité quant l’avenir de l’institution, après les huit années de financement partagé.

Pour les deux paliers gouvernementaux, il s’agissait d’imposer à l’autre ses conditions, et de remporter une victoire. Une bataille d’ego où l’UOF semblait dès lors bien secondaire.

L’enjeu des élections fédérales 

Car personne n’est dupe. L’entente entre les deux paliers gouvernementaux intervient au moment où les élections fédérales s’apprêtent à être déclenchées. D’autant que les négociations entre Mmes Joly et Mulroney avaient été longtemps au point mort. Pour les deux camps, le moment était idéal pour se parer de leurs plus beaux atours, et voler à la défense des francophones.

Mais de quels francophones exactement? Les Franco-Ontariens? Pas certain en fait. Les possibilités de gains de part et d’autre sont bien trop faibles en Ontario. D’une, parce que les circonscriptions marquées par le fait francophone restent très minoritaires. Et par ailleurs, les endroits concernés comme Ottawa-Vanier, Orléans, Glengarry-Prescott-Russell ou la région du Nord ne devraient pas, à priori, connaître de changement.

En réalité, la bataille menée par les deux paliers gouvernementaux reste une opération séduction au Québec. Avec 78 des 338 circonscriptions canadiennes, la Belle Province, très francophone, reste une chasse gardée pour les partis fédéraux.

La crise linguistique de l’automne consécutive à l’annulation du projet de l’UOF par le gouvernement Ford avait fait les manchettes au Québec, quitte à écorner l’image du chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer. Il était donc temps que son allié provincial à Queen’s Park corrige le tir…

Des ambitions personnelles 

Au-delà de l’intérêt électoral, il y a aussi des ambitions personnelles dans les échanges entre Mmes Joly et Mulroney. Pour la ministre fédérale, privée de son poste à Patrimoine canadien il y a un an, le but était de se relancer. Force est d’admettre que la députée d’Ahuntsic-Cartierville a réussi à se porter davantage à la défense des francophones, en tenant tête au gouvernement Ford.

Du côté de Caroline Mulroney, les bruits de coulisses la disent toujours intéressée à une carrière à la Chambre des communes. La fille de l’ancien premier ministre canadien doit caresser les francophones un minimum dans le sens du poil si, un jour, elle veut, par exemple, se lancer dans la course à la chefferie conservatrice au fédéral.

Quoi qu’il en soit, les deux élues sont parvenues à faire des concessions. L’UOF verra le jour, probablement en 2021, et c’est tant mieux. Une bataille est gagnée mais un autre combat commence maintenant : pérenniser une institution aux bases encore fragiles.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 9 septembre.