Juges bilingues à la Cour suprême : le gouvernement persiste
OTTAWA – Malgré l’appui des députés libéraux du comité permanent des langues officielles, la recommandation de déposer un projet de loi pour garantir la nomination de juges bilingues à la Cour suprême du Canada reste lettre morte auprès du gouvernement de Justin Trudeau. Mais le Parti libéral pourrait l’inclure dans son programme électoral de 2019.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
Dans sa réponse au rapport Pour que justice soit rendue dans les deux langues officielles, la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, maintient la ligne gouvernementale dans le dossier du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada. À savoir : le statu quo.
« Le gouvernement s’est fermement engagé à ne nommer uniquement des juges qui sont effectivement bilingues à la Cour suprême du Canada. (…) Le gouvernement a honoré son engagement. (…) Des modifications législatives soulèveraient des arguments constitutionnels entourant la capacité du Parlement du Canada de modifier la Loi sur la Cour suprême », répond la ministre au comité qui recommandait « qu’au cours du 42e Parlement, le gouvernement du Canada dépose un projet de loi qui garantirait la nomination de juges bilingues à la Cour suprême du Canada ».
Les libéraux tentent de faire bonne figure
Le président du comité et député libéral, Denis Paradis, assure ne pas avoir dit son dernier mot.
« On regarde les réponses du gouvernement et quand on n’est pas d’accord – on l’a fait dans d’autres dossiers – on demande de réentendre les ministres. On continue nos pressions, on continue à pousser. C’est ça la politique, il faut répéter des fois! »
En congrès à Halifax, le député acadien René Arseneault a décliné notre demande d’entrevue expliquant un « horaire trop chargé ». Le rassemblement libéral en Nouvelle-Écosse n’a toutefois pas empêché son collègue Darrell Samson de se prononcer.
« On voit quand même dans la réponse de la ministre une ouverture à la discussion pour revoir les moyens d’assurer le bilinguisme des juges », note le député de Sackville-Preston-Chezzetcook.
La ministre indique en effet que « le gouvernement est ouvert à l’idée de considérer des moyens d’assurer la capacité bilingue de la Cour suprême du Canada. Il déterminera sa position sur la meilleure manière d’atteindre cet objectif dans le cadre de propositions spécifiques. »
Dans la plateforme libérale en 2019?
De nombreux élus libéraux s’étaient opposés au projet de loi sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada du député néo-démocrate François Choquette, en deuxième lecture, l’automne dernier.
Les membres du comité permanent des langues officielles présents en chambre l’avaient toutefois appuyé, dont M. Arseneault, Linda Lapointe et Dan Vandal. M. Samson assure que tous les membres de son parti partagent le même objectif.
« Nous sommes tous d’accord sur le principe, on n’est juste pas d’accord sur les moyens d’y parvenir. » – Darrell Samson
Il reconnaît toutefois qu’il sera difficile de voir une modification législative avant l’échéance électorale de 2019.
« Mais il y a des rumeurs que ça pourrait se retrouver dans notre plateforme électorale », glisse-t-il.
L’opposition fustige le gouvernement
Le porte-parole aux langues officielles du Parti Conservateur du Canada (PCC), Alupa Clarke se dit déçu.
« La ministre [de la Justice] se cache derrière des arguments qui, selon moi, sont faux. Elle pense qu’il faudrait rouvrir la constitution, alors qu’il s’agirait juste de modifier la Loi sur les langues officielles ou de changer la Loi sur la Cour suprême. Et ça, le législateur a les pleins pouvoirs de le faire. »
Même son de cloche du côté de son homologue néo-démocrate.
« C’est inacceptable! Le comité a été très clair : on a besoin d’un projet de loi pour s’assurer que les juges à la Cour suprême du Canada sont bilingues. Et on nous ressort la même cassette… Quand le gouvernement avait voté contre mon projet de loi, il avait dit qu’il allait proposer quelque chose bientôt. Mais 2019 s’en vient et on n’aura rien! On ne peut pas juste avoir de belles politiques, il faut aussi avoir des lois qui les encadrent pour en assurer la pérennité », martèle M. Choquette.
Deux projets de loi néo-démocrates
Après l’échec de son projet de loi à l’automne dernier, le député néo-démocrate en a déposé deux nouveaux sur l’accès à la justice. Son projet de loi C-382 vise à modifier la Loi sur les langues officielles pour supprimer l’exemption de bilinguisme pour les juges à la Cour suprême du Canada.
L’autre projet de loi précise que, « dans certains cas, pour être nommée juge d’une juridiction supérieure d’une province, une personne doit parler clairement et bien comprendre les deux langues officielles ». Une mesure qui vise à augmenter le bassin de candidats bilingues à la Cour suprême du Canada.
Ces deux textes législatifs ont toutefois peu de chance d’être discutés en chambre, puisque le député a déjà déposé un projet de loi privé. Ils pourraient toutefois être repris par le gouvernement ou un député libéral et constituent un engagement du Nouveau Parti démocratique, explique-t-on dans son entourage.
POUR EN SAVOIR PLUS :
Bilinguisme à la Cour suprême : des élus réclament une loi
Quelle alternative pour des juges bilingues à la Cour suprême?
Juges bilingues à la Cour suprême : nouvel échec pour le NPD
Un outil de plus pour la défense des droits linguistiques
Accès à la justice : des problèmes de traduction récurrents
« Parfois, on se demande si on n’aurait pas dû plaider en anglais »