Quelle alternative pour des juges bilingues à la Cour suprême?

(La Cour suprême du Canada. Archives, #ONfr)
La Cour suprême du Canada. Archives, #ONfr

OTTAWA – Son projet de loi sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada à peine défait, le député néo-démocrate, François Choquette, assurait ne pas baisser les bras, promettant de trouver une alternative. Existe-t-elle? #ONfr a interrogé deux avocats spécialisés en droits linguistiques, Sébastien Grammond et Michel Doucet.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Pour les deux avocats, la défaite très nette du projet de loi de M. Choquette, le mercredi 25 octobre, prouve le manque d’appétit du gouvernement dans ce dossier.

« Il faut féliciter le Nouveau Parti démocratique (NPD) de maintenir la discussion ouverte sur cet enjeu, mais dans le même temps, on peut être très déçu de voir que les membres du gouvernement, dont l’acadien Serge Cormier, ne l’ont pas appuyé, alors qu’ils l’avaient fait pour un projet de loi similaire en 2010 », remarque M. Doucet.

L’avocat acadien a déjà plaidé à plusieurs reprises devant la Cour suprême du Canada. Dans l’une de ses causes, il s’était rendu compte, a posteriori, que l’interprétation de son plaidoyer était incompréhensible, même pour lui, ce qui avait pu avoir un impact sur la décision défavorable et très serrée des juges à son égard.

« À court terme, le rejet du projet de loi de M. Choquette n’aura pas d’impact, car le gouvernement s’est engagé à nommer des juges bilingues à la Cour suprême du Canada, comme il l’a fait avec le juge Malcom Rowe. Mais que va-t-il se passer quand on changera de gouvernement? On n’a pas réglé le problème et on se fie simplement à la bonne volonté du premier ministre », regrette le juriste acadien.


« Le résultat très net du vote prouve qu’il y a encore beaucoup de gens qui sont en désaccord avec le principe même de bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada. » – Sébastien Grammond, avocat


Un avis que partage le professeur de l’Université d’Ottawa, M. Grammond.

« Il y a une grande différence entre changer une politique de nomination comme celle mise en place par le gouvernement actuel et modifier une loi. Pour modifier une loi, cela prend un débat public, c’est beaucoup plus difficile. »

Modifier la Loi sur les langues officielles?

Le porte-parole aux langues officielles pour le NPD suggérait qu’une éventuelle modification de la Loi sur les langues officielles (LLO) pourrait permettre de contourner l’opposition du gouvernement.

Dans son article 16, la LLO prévoit que les Canadiens ont le droit de faire entendre leur cause dans la langue de leur choix devant les tribunaux fédéraux et que celui qui les entend puisse le faire « sans l’aide d’un interprète ». L’article prévoit toutefois une exemption pour la Cour suprême du Canada.

« Mais cela supposerait que les juges qui ne sont pas bilingues se retirent et que l’on plaide uniquement devant ceux des neuf juges de la Cour suprême du Canada qui parlent la langue choisie. Je ne pense que ce soit souhaitable, surtout dans des causes importantes, ni que ça ferait l’affaire de tous », pense le professeur de l’Université d’Ottawa.

Actuellement, on compte huit juges bilingues sur neuf à la Cour suprême du Canada. Seul le juge Michael Moldaver utilise les services d’interprétation simultanée.

Pour les deux juristes interrogés par #ONfr, une solution s’impose pour le gouvernement qui s’est fié sur la décision de 2014 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Nadon pour justifier son refus d’appuyer le projet de loi de M. Choquette.

« Si les libéraux craignent vraiment l’inconstitutionnalité d’une telle modification, qu’ils posent la question à la Cour suprême du Canada pour savoir ce qu’il faudrait faire. Toute loi peut faire l’objet d’une contestation devant les tribunaux, ça ne veut pas nécessairement dire que celle-ci est justifiée », souligne M. Doucet.

Interrogé sur cette possibilité par #ONfr, le cabinet de la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a évité la question, insistant sur les mesures mises en place.

« Notre gouvernement a pris l’engagement de s’assurer que les Canadiens aient accès à la justice dans la langue officielle de leur choix. (…) Les mesures prises par notre gouvernement jusqu’à maintenant, y compris la nomination récente du juge Malcolm Rowe à la CSC, démontrent que notre gouvernement prend cette politique très au sérieux. »

Une Cour suprême inconstitutionnelle?

Autre possibilité, exposée dans une lettre d’opinion publiée dans le journal Le Devoir en novembre 2011, le recours aux tribunaux pour contester la présence de juges unilingues à la Cour suprême du Canada, comme le suggérait le professeur de droit constitutionnel à l’Université de Moncton et président de l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick, Serge Rousselle.

« Peut-on rêver qu’un gouvernement provincial aille de l’avant avec un renvoi devant sa Cour d’appel pour lui demander son opinion constitutionnelle à ce sujet? Je pense ici en particulier au Québec et au Nouveau-Brunswick, deux provinces dont les ministres de la Justice respectifs ont signé conjointement en 2008 une lettre adressée à leur homologue fédéral dans laquelle ils lui exprimaient clairement que la nomination de juges bilingues à la Cour suprême constituait une exigence sine qua non », écrivait M. Rousselle.