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La Cité a-t-elle trop dépendu des étudiants internationaux?

Le personnel touché attend une justification claire de la part de la direction du Collège La Cité. Gracieuseté

En invoquant une formule de financement « brisée » et une coupure du nombre d’étudiants internationaux, La Cité a justifié la présente conjoncture économique pour procéder à la fermeture de neuf programmes et plus d’une dizaine de mises à pied. Mais le collège francophone a-t-il trop mis ses œufs dans le même panier en triplant ses revenus grâce aux étudiants internationaux?

Des chiffres obtenus par ONFR démontrent qu’il s’agit de l’établissement postsecondaire francophone en Ontario qui a le plus attiré d’étudiants internationaux au cours des dernières années et qui souffre le plus du coup de barre amorcé par Ottawa en 2023.

Une simple analyse des chiffres démontre que La Cité a largement dépendu des étudiants internationaux pour multiplier par trois ses revenus de frais de scolarité. Les chiffres illustrent aussi que les demandes d’asile déposées par des étudiants étrangers de La Cité ont largement explosé au même moment où sa clientèle internationale suivait une trajectoire similaire.

De 2018 à octobre 2024, les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) attestent que 6 910 permis d’études (excluant les prolongations) ont été approuvés pour des étudiants de La Cité, soit plus que pour les francophones à l’Université d’Ottawa ou encore près de quatre fois plus pour le seul autre collège francophone de la province, Boréal. 

ÉtablissementTotal permis d’études approuvés (2018 à octobre 2024)Total demandes d’asile (2018 à octobre 2024)
La Cité6910650
Université d’Ottawa (francophones seulement)645590
Collège Boréal1720185
Université Laurentienne (francophones seulement)955145
Université de Hearst62535
Université de l’Ontario français24015

Nous avions aussi demandé des données concernant les demandes d’asile déposées par des étudiants étrangers dans les institutions francophones de la province. Ce sont 650 étudiants étrangers qui sont passés par La Cité entre 2018 et 2024 qui ont fait de telles demandes, soit un peu moins de 10 % de la clientèle internationale sur la même période. Toutefois, ce chiffre a explosé entre 2023 et 2024 à La Cité, passant de 195 entre 2018 et 2022 à 455 dans les deux années suivantes.

Au niveau des demandes d’asiles entre 2018 et 2024 déposées par de la clientèle étrangère, La Cité en compte à elle seule plus que l’ensemble des autres établissements postsecondaires francophones de la province réunis ensemble (650 contre 470).

À ce sujet, La Cité affirme que l’augmentation peut s’expliquer « par une combinaison de facteurs complexes, comme les conflits internationaux, l’instabilité politique et les enjeux socioéconomiques ». L’établissement confirme que l’IRCC l’a « informé que certains candidats admis ne s’inscrivaient pas effectivement au Collège, mais utilisaient leur permis d’études pour faire une demande d’asile » et précise avoir « agi rapidement » après des discussions avec le ministère fédéral.

« La Cité a été très proactive dans ce dossier, qui touche de nombreux établissements dans la province, en mettant en place de nouvelles mesures d’admission, incluant des outils d’intelligence artificielle, afin de détecter les fraudes potentielles liées aux diplômes ou aux fausses demandes d’admission », a indiqué dans une déclaration écrite, l’équipe des Communications et des relations publiques de La Cité.

Des revenus presque triplés en quelques années

Les états financiers des dernières années montrent que l’établissement a toujours su maintenir des surplus, principalement dû à une hausse de revenus en provenance de ses frais de scolarité. Or, les frais de scolarité pour les étudiants provenant de l’Ontario sont gelés par le gouvernement provincial depuis 2019, ce qui veut donc dire que la hausse est fortement attribuable à la clientèle étudiante internationale ou en provenance des autres provinces canadiennes.

En entrevue avec ONFR, la PDG de La Cité au début du mois de juin, Lynn Casimiro, en poste depuis avril 2024, a reconnu que le collège a « misé sur la clientèle internationale pour compenser » la baisse démographique au Canada. Le nombre de permis d’études internationaux approuvés est passé de 350 en 2018 à 2465 en 2023 à La Cité, soit une hausse de 605 %.

« C’était une stratégie connue et nécessaire pour former des diplômés dans des secteurs recherchés. Ces étudiants jouent un rôle important dans la vitalité de nos communautés francophones », affirmait la dirigeante, prévoyant une baisse de la clientèle étudiante pouvant aller jusqu’à 40 % à la rentrée d’automne 2025.

La Cité

En termes de revenus de droits de scolarité, l’institution est passée de 23,7 à 59,4 millions de dollars de 2020 à 2024, soit une hausse de 150 % en l’espace de quatre ans. Pour le professeur de gestion et de droit à l’Université d’Ottawa, Gilles Levasseur, « il ne faut pas se cacher » que La Cité a vu la clientèle internationale comme une source de profit.

« Quand c’est facile, pourquoi ne pas en profiter », questionne le professeur à la lumière des données que nous lui avons présentées.

« C’est ça qui est arrivé et le problème est qu’on avait carte blanche. Ça leur a permis de développer, réparer, payer des salaires, et plus. L’argent coulait et on en a profité », constate-t-il.

L’établissement de la région d’Ottawa se défend, certifiant qu’il « avait la capacité physique et humaine d’absorber cette hausse », et que celle-ci visait à « permettre à certaines professions plus nichées d’accueillir une main-d’œuvre qualifiée francophone », déclare La Cité dans sa réponse écrite.

AnnéeRevenus tirés des frais de scolarités (en millions)Dépenses en frais d’opération (en millions)
202459,5 $88, 43 $
202342,4 $76,4 $
202234,3 $70,3 $
202126,9 $64,74 $
202023,7 $65,1 $

Les frais d’opération ont aussi augmenté, mais de manière moins significative, soit 35 % sur la même période tandis que les subventions provinciales ont de leur côté peu bougé au cours des années, oscillant autour de 60 millions de dollars par année.

« La formule de financement des collèges, on sait qu’elle est brisée. Elle a besoin d’être revue (…) Celle-ci est désuète, elle n’a pas évolué depuis plus de 20 ans. C’est la même situation pour le financement provincial pour la francophonie, tandis que les salaires et le coût des équipements ont augmenté », argumentait en entrevue la PDG de l’établissement postsecondaire.

Des coupes inévitables

Les coupures de neuf programmes et la mise à pied d’une dizaine de membres du personnel, selon le syndicat, étaient inévitables selon le spécialiste en gestion de risque.

« La question, est-ce que c’était la meilleure façon d’y arriver dans un coup aussi rapide? Est-ce qu’on aurait aussi pu couper dans l’administratif, les salaires des dirigeants? Si on fait des coupures, il faut que tout le monde y passe. »

Le professeur de l’Université d’Ottawa Gilles Levasseur. Gracieuseté.

Mais ce dernier s’explique mal que l’établissement francophone n’ait pas prévu qu’une future baisse des étudiants internationaux viendrait influencer les revenus de l’organisation. Au début de 2024, Ottawa a annoncé l’imposition d’un plafond pour les étudiants étrangers, signalant ainsi une chute de près de 41 % des étudiants étrangers en Ontario.

« Tu sais que ceux qui sont arrivés en 2023 vont être là jusqu’en 2026. Mais qu’est-ce qui arrive en 2025 et 2026 quand tu n’as pas de nouveaux étudiants internationaux? On le savait que ça s’en venait si on avait le moindrement planifié cela », soutient M. Levasseur

« Ce n’est pas que c’était de la mauvaise gestion, mais une prévision qu’on aurait dû envisager sachant qu’on voyait déjà des difficultés dans d’autres systèmes collégiaux et universitaires », ajoute-t-il.

Ottawa a annoncé quelques mois plus tard qu’il exemptait près de 2000 étudiants étrangers francophones hors du Québec de son plafond annuel. Mais la baisse d’attractivité du Canada à l’international et le fait que ce programme tarde toujours à être mis en marche par le fédéral, selon nos informations, impactent aussi grandement l’arrivée d’étudiants internationaux francophones à travers le pays.

La Cité n’a pas voulu nous partager ses états financiers pour l’année 2024-2025, expliquant qu’ils seront rendus publics après le 15 juin. Il est donc impossible de mesurer la perte de revenus générés par la baisse d’étudiants internationaux ou encore les difficultés financières auxquelles sa rectrice a fait part. Mais l’établissement indique dans son plus récent rapport annuel avoir dégagé un surplus de 18 millions de dollars, « dans un contexte économique particulièrement exigeant » tout en « maintenant un nombre stable d’inscriptions internationales ».