La commission d’enquête
[ANALYSE]
La première ministre Kathleen Wynne se fait tirer l’oreille par l’opposition à l’Assemblée législative de l’Ontario pour mettre sur pied une commission d’enquête sur l’octroi de contrats publics, semblable à la commission Charbonneau au Québec.
FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault
Pour l’instant, il n’en est pas question.
Les libéraux à Queen’s Park, comme tous les partis qui restent longtemps au pouvoir, traînent avec eux quelques casseroles qu’ils aimeraient bien faire oublier. Ils craignent peut-être qu’une une commission d’enquête fasse remonter à la surface des histoires sur Cybersanté, ORNGE, les centrales au gaz, les contrats d’énergie renouvelable ou encore la privatisation d’Hydro One.
C’est d’ailleurs à la filière d’Hydro One que le chef progressiste-conservateur Patrick Brown s’attaquerait en premier. Il trouve « inapproprié » qu’un groupe de banques ayant engrangé 29 millions $ lors de la vente d’une première tranche du fournisseur d’électricité, l’automne dernier, ait par la suite organisé une cueillette de fonds de 165000$ au profit du Parti libéral.
M. Brown aimerait aussi qu’une commission se penche sur l’octroi de contrats d’énergie éolienne de près de 430 mégawatts à sept entreprises ayant contribué 255000$ à la caisse électorale des libéraux, alors que trois entreprises n’ayant rien donné au gouvernement n’ont reçu aucun contrat.
« Coïncidence »?
Le ministre Bob Chiarelli dit qu’il s’agit d’une simple « coïncidence » si son gouvernement a accordé des contrats d’énergie renouvelable à des donateurs à la caisse libérale et pas à d’autres. Sa réponse n’est pas la plus convaincante. Ni la plus rassurante.
Surtout à la lumière d’un rapport de la Vérificatrice générale Bonnie Lysyk qui estime que les contrats trop généreux de l’Ontario aux producteurs d’énergie « verte » pourraient faire gonfler inutilement les factures d’électricité de 9,2 milliards $ sur 20 ans. Et ça, alors que l’éolien et le solaire comptent pour moins de 10% de la production totale d’énergie dans la province.
Les Québécois demanderaient des comptes pour moins que ça.
La vice-première ministre Deb Matthews affirme pour sa part que l’Ontario n’a pas besoin d’une commission d’enquête sur l’octroi de contrats publics parce que les règles d’approvisionnement du gouvernement sont claires. Mais elles le sont aussi au Québec. Et ça n’a pas empêché des gens malhonnêtes de les contourner.
Activités de financement
Bousculés par l’opposition, les libéraux à Queen’s Park ont soudainement mis fin à leurs activités de financement avec des entreprises privées et des syndicats, cette semaine, dans l’attente d’une réforme du financement des partis politiques qui devrait intervenir d’ici l’été.
Est-ce suffisant? Non. Mais est-ce qu’une commission d’enquête est pour autant le meilleur moyen de « faire le ménage », comme le souhaite M. Brown? Pas sûr.
Les audiences télévisées de la juge France Charbonneau, au Québec, ont permis de mettre en lumière des failles du système. Sans plus. C’est plutôt le travail de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) qui a mené à des arrestations dans le monde politique, dont un ancien maire de Montréal et, plus récemment, l’ancienne vice-première ministre Nathalie Normandeau.
Les contribuables de l’Ontario obtiendraient probablement de meilleurs résultats d’une enquête robuste de la police que d’une cour en direct à la télévision.
Mais c’est la commission d’enquête, avec toute sa mise en scène, qui reste gravée dans l’imaginaire du grand public. Le nom Charbonneau évoque au Québec la lutte à la corruption peut-être plus encore que l’UPAC. En politique, l’apparence d’un conflit d’intérêt est aussi dommageable que le conflit d’intérêt lui-même.
Et c’est probablement le calcul que fait Patrick Brown.
Cette analyse est publiée également dans le quoditien LeDroit du 9 avril.