La COVID-19 frappe les agriculteurs franco-ontariens
Les mesures prises pour lutter contre la propagation de la COVID-19 touchent durement les producteurs agricoles, inquiets. Mais à long terme, ceux-ci pourraient profiter des conséquences de la crise, estiment certains intervenants.
« Nous sommes une institution depuis 126 ans, en très bonne santé, il n’y a pas encore de risque », lance, confiant, le directeur général de la Fromagerie St-Albert, Éric Lafontaine.
Mais les mesures contre la COVID-19 ont eu un effet néfaste sur l’institution franco-ontarienne.
« La fermeture des écoles et des restaurants a entraîné une grosse baisse de nos ventes. On ne vend presque plus de fromage à poutine présentement! Nos ventes en format précoupé ont augmenté, mais la vente de bloc gros format a diminué drastiquement. »
Producteur laitier à Sarsfield, dans l’Est ontarien, Philippe Etter a d’abord observé une forte hausse de la demande, la première semaine, puis une chute brutale.
« Rien que la baisse de l’achalandage dans les Tim Hortons, où la demande de lait et de crème est très forte, a un impact. Ça touche nos revenus, c’est sûr. Il faudra voir combien de temps ça va durer. »
Tout le secteur agricole touché
Des producteurs laitiers ont fait les manchettes en expliquant leur obligation de jeter au drain une partie de leur production. Mais ils ne sont pas les seuls agriculteurs que la situation inquiète.
« La dynamique change selon le secteur, mais il y a de plus en plus d’inquiétude et beaucoup de questions », confirme le directeur général de l’Union des cultivateurs franco-ontariens (UCFO), Danik Lafond.
La quarantaine imposée pour les travailleurs étrangers saisonniers, notamment, préoccupe les maraîchers, dit-il.
Ce n’est toutefois pas le cas de Jacques Lamoureux, dont les employés viennent de l’Ontario et du Québec. En revanche, le propriétaire des Jardins Lamoureux, une ferme de fruits et légumes d’Hawkesbury qui compte plusieurs kiosques dans la région, s’interroge sur les restrictions qui lui seront imposées.
« Si je dois payer une personne de plus pour assurer le respect des consignes sanitaires dans mes kiosques, aussi bien fermer! Pour le moment, la seule chose que propose le gouvernement, c’est d’augmenter ma marge de crédit », se désole-t-il.
Propriétaire de l’entreprise de grandes cultures Bio-Net, à L’Orignal, Thomas Vinet redoute les problèmes de fourniture d’équipement.
« Nos pièces proviennent d’à travers le monde. Que va-t-il se passer si on manque d’un morceau essentiel pour faire fonctionner nos machines? Il va falloir se débrouiller. »
Les agriculteurs s’ajustent
Face à une situation qui évolue chaque jour, les producteurs agricoles tentent de s’adapter dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qui n’est pas nouveau.
« J’ai deux employés qui sont en arrêt préventifs actuellement. On fait appel à quelques étudiants et on fait plus d’heures », explique Marc Quesnel, producteur laitier de Moose Creek.
Alors qu’il vient de se porter acquéreur d’une deuxième ferme laitière, la crise rend les choses d’autant plus difficiles.
« Nos revenus ont baissé d’environ 800 litres de lait par jour, mais nos animaux, eux, continuent à manger. On réduit donc nos coûts au maximum. On a dû en envoyer certaines de nos vaches à l’abattoir. »
À St-Albert, le magasin de la Fromagerie reste ouvert, mais ses heures limitées. Dans l’usine, l’horaire des employés a été aménagé et les mesures sanitaires renforcées pour limiter au maximum les risques de COVID-19, comme à l’usine Olymel de Yamachiche, au Québec.
« Mais ce qui m’inquiète, c’est la question des produits d’assainissement et des désinfectants. On en a encore assez pour quelques semaines, mais qu’arrivera-t-il si on en manque? », dit M. Lafontaine.
Aide gouvernementale attendue
Le directeur général de la Fromagerie attire l’attention du gouvernement sur cette problématique pour le secteur agroalimentaire. De son côté, M. Lamoureux aimerait un plan pour compenser les pertes et relancer le secteur à la fin de la crise.
« Si le gouvernement fédéral donne 2 000 $ par mois aux travailleurs, il pourrait compenser nos pertes en comparant nos revenus sur la moyenne des trois ou cinq dernières années. Il n’y a rien pour nous jusqu’à date! »
La situation est stressante, reconnaît M. Etter.
« On doit faire attention et réviser nos niveaux de production chaque semaine. On doit aussi composer avec les délais de nos fournisseurs, car tout prend plus de temps. »
Des opportunités à long terme
Dans ce tableau très sombre, une lueur d’espoir existe pourtant, estime l’économiste, spécialiste en agriculture, de l’Université Dalhousie, à Halifax, Sylvain Charlebois.
« Je ne suis pas inquiet pour les producteurs laitiers, car leurs revenus seront garantis par la Commission canadienne du lait. En revanche, ça risque d’être plus difficile pour les producteurs de bœuf, car la demande risque de diminuer avec les difficultés économiques. Mais la situation actuelle peut être une bonne nouvelle pour certains. Les consommateurs sont en train de changer leurs habitudes et reviennent aux produits de base, comme les œufs, le lait et la farine, qui pourraient regagner en popularité. »
Un optimisme que partage M. Etter.
« Je crois que cette situation peut créer des opportunités. On nous a toujours dit que la mondialisation était la clé, mais on en voit aujourd’hui les effets pervers et l’importance des initiatives locales et de l’indépendance alimentaire. Ce sera aussi à nous d’adapter notre offre. »
Pour le directeur général de l’UCFO, la balle est dans le camp du gouvernement.
« Il va y avoir un nécessaire changement des habitudes de consommation et cela prendra des décisions politiques pour être moins dépendant des gros joueurs qui sont tributaires des importations. »