La dette se creuse, le fédéral maintient sa stratégie
OTTAWA – Le gouvernement Trudeau a dévoilé, ce lundi, son énoncé économique de l’automne. Un exercice qui confirme une situation budgétaire précaire, conséquence de la COVID-19, mais aussi la volonté libérale de maintenir les aides pour assurer la relance économique.
« Comme nous l’avons appris lors des récessions précédentes, il est plus risqué de ne pas fournir assez d’aide que d’en fournir trop. Nous ne répéterons pas les erreurs des années qui ont suivi la grande récession de 2008 », a lancé la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, en présentation de cet énoncé économique qui faisait office de mini-budget pour l’année 2020.
Une phrase, en forme de critique contre le précédent gouvernement conservateur, qui résume le cap maintenu par les libéraux, loin de l’austérité budgétaire.
Et ce, malgré un contexte budgétaire marqué par la pandémie. Le déficit fédéral atteindra au moins 381,6 milliards de dollars pour la présente année financière, soit 38,4 milliards de plus que prévu en juillet. Au 31 mars 2020, la dette fédérale a atteint 721,4 milliards de dollars et elle pourrait s’élever jusqu’à 1 107,4 milliards de dollars, selon les projections, pour 2020-2021.
Reste que le rapport dette/PIB reste encore acceptable pour le Canada, à 31,3 % contre 30,8 % pour l’exercice précédent. Mais, selon les projections d’Ottawa, ce ratio dépassera les 50 % pour les cinq prochaines années.
« La situation n’est pas aussi négative qu’on pouvait s’y attendre et le pire est peut-être même derrière nous », estime la politologue à l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier.
Un déficit justifié
Car ces derniers mois ont été éprouvants pour les comptes publics avec de nombreuses mesures de soutien aux particuliers et aux entreprises. Une aide directe évaluée à 227 milliards de dollars cette année.
« Il faut se poser la question de savoir quelles auraient été les conséquences si le gouvernement avait voulu contenir son déficit. Peut-être que la situation aurait été encore pire avec plus d’emplois perdus et d’entreprises fermées », analyse Mme Tellier.
Et même si les libéraux ne prévoient pas de retour à l’équilibre budgétaire dans l’immédiat, la stratégie se justifie, poursuit-elle.
« Il n’y a pas d’urgence à équilibrer le budget et le gouvernement prévoit revenir à des niveaux proches de l’avant-pandémie d’ici 2024-2025. Les taux d’intérêt sont très bas, cela justifie le déficit », estime la politologue de l’Université d’Ottawa.
La ministre des Finances, Chrystia Freeland a défendu l’approche du gouvernement.
« Oui, c’est important d’être prudent, j’en suis très consciente. (…) Mais la priorité pour notre gouvernement, c’est d’aider les Canadiens et les entreprises à rester solides jusqu’à la fin de la crise. Si on y arrive, la relance sera plus rapide et forte. »
Des mesures de soutien jusqu’à l’automne 2021
Raison pour laquelle le gouvernement libéral fait le pari de maintenir plusieurs de ses mesures d’aide, comme la subvention salariale d’urgence du Canada, prolongée jusqu’en juin 2021, et dont le taux maximal passera de 65 à 75 % pour la période du 20 décembre au 13 mars. Idem pour la subvention d’urgence du Canada pour le loyer et la mesure de soutien en cas de confinement disponibles jusqu’en juin 2021.
Et pour les secteurs les plus touchés, comme le tourisme, un nouveau programme de crédit offrira la possibilité d’un prêt à faible taux d’intérêt.
« Nous sommes très satisfaits de l’énoncé économique. Le gouvernement a pris de sages décisions et adopte la bonne stratégie, car tant qu’il n’y a pas de vaccin, on ne peut pas penser à un retour à la normale. Et dans ces temps-là, on a besoin d’aides pour éviter de voir les entreprises fermer », estime la directrice générale du Regroupement des gens d’affaires de la capitale nationale (RGA), Lise Sarazin.
Pour la Fédération canadienne des municipalités (FCM), l’énoncé économique « envoie un message encourageant », mais des engagements concrets sont attendus pour aider les municipalités à « protéger les services de première ligne et les systèmes de transport collectif ».
En revanche, les organismes francophones qui espéraient de l’aide pour passer à travers la crise resteront sur leur faim.
Du côté des particuliers, le gouvernement propose, notamment, d’éliminer les intérêts sur la partie fédérale des prêts d’études pour 2021-2022 et de verser, l’année prochaine, un soutien temporaire allant jusqu’à 1 200 $ pour chaque enfant de moins de 6 ans admissible à l’Allocation canadienne pour enfants.
Relancer l’économie autrement
« Ces mesures nous permettront d’éviter des dommages économiques à long terme qui retarderaient et affaibliraient notre reprise après la pandémie », explique le gouvernement.
Et cet après-COVID, les libéraux de Justin Trudeau veulent le voir autrement. Dès que le virus sera maîtrisé, ils prévoient un plan de croissance de 3 % à 4 % du produit intérieur brut (PIB), soit entre jusqu’à 70 milliards et 100 milliards de dollars, sur trois ans, afin de relancer l’économie.
Ce plan sera doté d’une composante écologique, avec d’ores et déjà un soutien annoncé pour rendre les habitations plus écologiques. Pour en savoir plus, il faudra attendre le prochain budget.
« Le gouvernement donne une sorte de teaser, mais il reste beaucoup de questions sur comment cet argent va être dépensé. Ça permet aux libéraux de montrer qu’ils ont un plan, tout en affirmant qu’il est trop tôt pour en dire davantage. C’est habile », analyse Mme Tellier.
Le budget 2021 devrait également permettre d’en savoir plus sur le système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, inspiré du Québec et promis par les libéraux.
« Nous allons travailler là-dessus dans les prochains mois », a indiqué la ministre.
Le gouvernement prévoit aussi travailler avec les provinces pour établir de nouvelles normes nationales pour les foyers de soins de longue durée et promet la création d’un fonds jusqu’à 1 milliard de dollars pour y assurer la prévention et le contrôle des infections.
La Société économique de l’Ontario (SÉO) attend d’avoir plus de détails sur toutes les mesures annoncées, mais « se réjouit de l’intégration de l’énergie verte et de la gestion de garde d’enfants dans les considérations du plan de relance ».
Taxer les géants du Web
Si plusieurs questions demeurent, Mme Tellier retient aussi le changement de ton du gouvernement dans le dossier de la taxation des géants du Web.
« J’avoue avoir été surprise, car jusqu’ici, le gouvernement était plutôt très timide là-dessus. Là, on le sent plus proactif, avec un échéancier et des dates. C’est rare d’avoir des mesures fiscales dans un énoncé économique. »
Le gouvernement devrait facturer la TPS/TVH aux géants du Web, dont Netflix, à compter de juillet prochain. Il mettra également en œuvre une taxe sur les sociétés de services numériques du GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) à compter du 1er janvier 2022, qui pourrait rapporter environ 3,4 milliards de dollars sur cinq ans.
« Si nécessaire le Canada agira de façon unilatérale pour appliquer une taxe sur les grosses entreprises numériques, afin qu’elles paient leur juste part comme tout autre entreprise opérant au Canada. »
Cet article a été mis à jour à 18h54