La Francophonie victime de coups d’État, quelle place pour la langue française?

Le sentiment anti-français est palpable. Un partisan de la junte au pouvoir au Niger tient une pancarte aux couleurs du drapeau russe indiquant « Vive la Russie, vive le Niger et les Nigériens ». Crédit image: AP/Sam Mednick

L’Afrique francophone semble se désolidariser du français et des emblèmes de la Francophonie, dans un contexte où de plus en plus de pays s’opposent véhéments à la France. Mais, les raisons pourraient être multiples : un rejet de la France, la réappropriation des langues locales, la démographie, le manque de moyens ou tout simplement l’improductivité de la langue dans ces pays, alors qu’ils traversent des instabilités politiques, économiques et sociales.

Cette sempiternelle image des pays francophones en Afrique est loin d’être nouvelle.

« Toute cette méfiance et cette réticence de plus en plus grande envers le français et l’espace de la francophonie, il faut voir ça avec un cumul d’éléments qui offre un contexte favorable à cela et qui prend différentes formes du fait de la configuration politique, géopolitique de chacun d’entre eux », avance la socio-démographe de l’Université d’Ottawa, Nathalie Mondain.

D’après des chercheurs de l’Université de Sherbrooke, 22 pays africains ont le français comme langue officielle ou co-officielle. Parmi eux, la République démocratique du Congo, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Guinée et bien d’autres qui traversent des bouleversements majeurs. 

Le Mali, qui est gouverné par une junte militaire depuis 2020, a officiellement rétrogradé le français comme langue de travail en 2023. 

En 1992, dans la constitution du Mali, le français y était inscrit comme langue officielle, mais suite aux deux coups d’État successifs en 2020 et 2021, le pays a modifié sa constitution et y a inscrit 13 nouvelles langues officielles, mais pas le français. 

Plusieurs pays de la région du Sahel se prononcent également contre l’influence française. En juillet dernier, le président du Niger a été renversé par un coup d’État mettant au pouvoir des militaires opposés à la France.

« Il y a une relation de défiance qui s’est structurée à l’endroit de la France du fait de l’incapacité notamment de l’opération Barkhane et des troupes militaires françaises de réussir à sécuriser la région alors qu’ils étaient là depuis plusieurs années », explique le professeur en science politique de l’Université de Sherbrooke, Adib Bencherif.

Cette tendance anti-français est aussi caractérisée par l’histoire coloniale de la France. D’ailleurs, au printemps dernier, l’Algérie ajoutait à son hymne national, Kassaman, un nouveau couplet.

 « Ô France, le temps des palabres est révolu (…), Ô France, voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. »

La perte d’influence en Afrique

L’époque contestataire de la « Françafrique » est révolue. Le terme Françafrique est apparu pour la première fois en 1955 et désignait l’ensemble des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines pour en dénoncer le caractère ambigu et opaque.

Aujourd’hui, le rejet manifeste de la France et par extension de l’éducation en français ainsi que la place de la langue dans les administrations se fait de plus en plus présente. 

Cela s’exprime sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les rues. Pourtant, M. Bencherif, pense que pour l’instant, ce rejet est très déclaratoire. 

« Il y a une espèce de radicalité un peu utopique. Je pense qu’il faut le voir à travers le prisme d’une sorte de pensée post-coloniale, un panafricanisme un peu caricatural. »

Adib Benchérif est professeur de Science politique à l’Université de Sherbrooke au Québec. Expert en enjeux identitaires en politique comparée (Sahel, Afrique du Nord), il travaille aussi sur la sociologie des conflits armés. Gracieuseté

L’instabilité du système scolaire en français

D’après Nathalie Mondain, d’une part, nous sommes témoins d’un long processus cherchant à s’affranchir des nouvelles formes de colonialisme perpétrées tant par les anciennes puissances coloniales que par les grandes institutions internationales. « Il y a cet élan de dire : « on peut rentrer de plain-pied dans le 21ᵉ siècle avec nos propres connaissances, nos référents culturels, nos référents sociaux et à commencer par la langue ». »

Pour autant, la chercheure reconnaît là, un immense défi : « Le problème, c’est que tous ces pays sont des mosaïques ethnolinguistiques. Peut-on enseigner dans 45 langues? », questionne-t-elle. 

Dans cette région, le français navigue dans des univers plurilingues. Les frontières du Burkina Faso, par exemple, touchent le Mali, le Niger, le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire qui ont tous le français comme langue officielle, (sauf le Mali depuis 2023). 

D’autre part, Mme Mondain rappelle que la démographie de cette région vis-à-vis de l’apprentissage de la langue de Molière pourrait être une intéressante piste de recherche. « Au Sénégal, 62 % de la population à moins de 25 ans, avec très peu de perspective d’insertion professionnelle. »

Au Burkina Faso, d’après l’UNICEF, 78 % de la population à moins de 35 ans, au Mali 65 % de la population aurait moins de 25 ans et au Nigéria la moyenne d’âge serait de 18 ans et trois mois. 

La question de l’utilité et de la productivité de la langue française dans cette région se pose donc véritablement. Pour la socio-démographe, la question des moyens est tout aussi importante. 

« Il y a ceux qui vont à l’école et qui n’en retirent rien. Il y a ceux qui n’y vont pas, mais surtout, il y a une part gigantesque de la population qui compte sur un membre de l’entourage en migration, pour l’envoi d’argent. »

« Si c’est cette perceptive qui est offerte aux jeunes, ce n’est pas très réjouissant », pense-t-elle. 

Nathalie Mondain est socio-démographe, experte en migration africaine et parcours socio-éducatif à l’Université d’Ottawa. Gracieuseté

Au Nigeria, par exemple, la politique limite l’enseignement du français seulement au niveau de l’école secondaire de premier cycle.

On comprend qu’au-delà de la démographie, l’institution scolaire africaine qui avait contribué à faire entrer massivement la langue française dans ces régions est aujourd’hui fragilisée par l’instabilité politique, les conflits armés, l’insécurité, le manque de moyens et la pandémie de la COVID-19. 

Avant 2020, le français était en forte progression dans le monde. Depuis la pandémie la progression se fait plus lente. De nombreux chercheurs ainsi que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) déclaraient en 2022 que c’est sur le continent africain que se jouait l’avenir de la langue française. 

Comme partout ailleurs dans les pays anciennement colonisés par la France, la langue française, de par son statut et les fonctions qu’elle assume, s’est imposée comme une réalité linguistique nationale. 

Mais la difficulté reste d’uniformiser l’apprentissage dans une Afrique plurilinguistique. Ce que l’OIF tente par tous les moyens. Cependant, de plus en plus d’intellectuels y voient un endroit pour la formation de partenariats économiques plutôt qu’un véritable tremplin de la langue française dans le monde.

S’éloigner de la Francophonie et se rapprocher de la Chine et de la Russie

D’après M. Bencherif, « c’est un dialogue intelligent, critique qui est en train de se perdre ». 

« On peut être en désaccord, on peut souligner les déficiences d’un système, voire les injustices d’un système nord-sud, mais de là, à être dans une logique strictement d’opposition, où le langage devient uniquement pamphlétaire, c’est perdre la richesse possible dans le dialogue et même dans le débat. »

Aujourd’hui, d’autres puissances tentent de prendre une place dans les régions africaines et francophones. Depuis deux ans, la Guinée, le Mali, le Burkina Faso, et maintenant le Niger, ont été l’objet de coups d’État. En même temps il apparaît de manière de plus en plus notable que ces pays s’éloignent progressivement de la Francophonie.

Des figures vraiment contestataires, comme l’influenceuse Nathalie Yamb, aujourd’hui considéré par les États-Unis d’être liée au groupe Wagner et d’être un élément de la propagande russe en Afrique, galvanisent le débat. 

« Nathalie Yamb avait énoncé qu’il fallait supprimer le français comme langue officielle, car c’est comme un héritage de la colonisation, qu’il fallait arrêter de parler de français », rappelle M. Benchérif. 

D’ailleurs, le professeur de science politique confirme qu’il y a l’idée d’une compétition s’amorçant, avec la Chine. Sur le plan de l’éducation, il a des réflexions autour d’une éducation plus proche du confucianisme que d’une éducation à la française. 

« Avec la Russie, c’est une puissance d’influence, ça, c’est une évidence. Ils jouent surtout au niveau déclaratoire et à travers des médias. »

Pourtant, les signes sont présents. C’est d’ailleurs une tangente, un basculement déjà observé au Rwanda. 

« C’est une piste intéressante », analyse l’expert, « parce que vous voyez là, un pays qui se désolidarise complètement de la langue française pour s’angliciser. »

« Ils ont créé des formations en anglais et en font une nouvelle langue de travail. D’un point de vue du phénomène, il y a peut-être une tangente par certains pays qui voudraient aller dans ce sens-là. » 

Cet article a été modifié le 23 août à 13h42.