La Passerelle et « Sans-visage » : des lacunes confirmées par le fédéral

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TORONTO – La Passerelle I.D.E. devait procéder à plusieurs changements dans la gestion et la livraison des services de son programme contre la prostitution informelle pour espérer conserver son financement public, lui a fait savoir le ministère de la Sécurité publique du Canada, avant l’élection fédérale. Près de cinq mois plus tard, le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, n’a toujours pas pris de décision quant à la poursuite ou non du financement de l’organisme.

Le 8 avril 2019, le Toronto Star publiait un article choc sur le programme Sans Visage de La Passerelle. Le plus influent quotidien torontois affirmait que la subvention fédérale de 1,5 million de dollars avait servi à organiser des activités à l’intention de femmes d’affaires francophones, plutôt qu’à aider des femmes à risque de devenir travailleuses du sexe.

Le ministère de la Sécurité publique qui finançait l’initiative a alors lancé une enquête sur ces allégations. La Passerelle a rendu public, le 4 février, une lettre des fonctionnaires fédéraux au ministre de la Sécurité publique qui expose une partie des conclusions gouvernementales. Ce que La Passerelle ne dit pas, c’est que la note date du 4 octobre 2019, a pu apprendre ONFR+ du ministère de la Sécurité publique.

Dans sa note, envoyée avant les élections fédérales du mois d’octobre, le gouvernement rappelle que son programme visait à permettre aux travailleuses du sexe de quitter le milieu de la prostitution. Dans le cas de La Passerelle, il avait été accepté que l’organisme s’attaque plutôt à la « prostitution informelle ».

« Selon le projet proposé, le projet cible 175 immigrantes, filles et femmes, racialisées, de groupes ethno-culturels et leur propose des interventions concrètes et ciblées pour sortir de la prostitution informelle », peut-on lire dans la note de mémorandum.

Le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, en compagnie du premier ministre Justin Trudeau. Crédit image : gouvernement fédéral

Le document ne permet pas de savoir ce que le gouvernement a pu découvrir quant à l’efficacité ou non de l’initiative. Mais le ministère a exigé de La Passerelle qu’elle revoit ses méthodes pour implanter le programme. Un projet révisé a donc été soumis par La Passerelle, entre l’été et le mois d’octobre.

« Le projet révisé ne comporte pas tous les détails qui avaient été demandés, mais il contient assez d’informations et une structure de projet qui permet au bureau régional de croire qu’il peut continuer à travailler avec le bénéficiaire pour développer un projet plus exhaustif qui permettra d’atteindre les objectifs de l’initiative », selon la note envoyée au ministre, à l’époque.

Le gouvernement demande des changements

Au terme de son audit, le ministère de la Sécurité publique a demandé à La Passerelle d’effectuer une série de changements. 12 recommandations en matière « d’efficacité et de transparence » sont évoquées dans la note au ministre Bill Blair.

L’entente entre La Passerelle et le fédéral devait aussi être révisée pour « réaligner les activités du projet et les exigences en matière de suivi », est-il écrit. Le ministère de la Sécurité publique promettait aussi de « surveiller de près les plans d’implantation des projets et les activités » et de « surveiller de près les activités d’évaluations ».

« L’audit recommande des pratiques de gestion financière qui vont augmenter les contrôles financiers (par exemple que le conseil d’administration révise les états financiers sur une base trimestrielle, plutôt qu’une fois par année,…) », indique la note. Le gouvernement a constaté que l’entrée manuelle de données financières a, par exemple, provoqué l’ajout d’une somme de 26 000 $ dans les livres comptables, montant qui devra être remboursé au gouvernement.

ONFR+ a voulu en savoir plus sur la position du gouvernement concernant La Passerelle.

« Aucune décision n’a été prise concernant le financement de La Passerelle I.D.É. », indique sans détour Tim Warmington, porte-parole du ministère de la Sécurité publique. « Le ministre de la Sécurité publique examine la question », dit-il.

À aucun moment, le gouvernement ne précise si La Passerelle I.D.E. a bel et bien aidé des femmes qui étaient à risque de devenir travailleuse du sexe ou victime de « prostitution informelle », comme le mettait en doute le Toronto Star.

Dans sa réponse à ONFR+, le gouvernement explique ne pas avoir pu vérifier à qui La Passerelle a pu offrir des services « étant donné que l’anonymat est une considération importante dans l’exécution des programmes de la prévention du crime ».

La position de La Passerelle est différente. « La vérification confirme que la programmation et les participants étaient conformes à l’intention et au mandat de la subvention », a affirmé la porte-parole de La Passerelle, Kenza Bendjenad, dans un court courriel à ONFR+.

La Passerelle se réjouit

Les demandes d’entrevues avec la directrice de l’organisme, Léonie Tchatat, sont restées lettre morte. L’organisme a aussi refusé de fournir une copie du rapport d’audit ou des douze recommandations du gouvernement, dont il fait pourtant référence dans sa réaction publique.

Malgré l’incertitude qui demeure entourant le financement de son organisme, Léonie Tchatat a néanmoins publié une déclaration enthousiaste sur son compte Twitter.

« J’ai le plaisir d’annoncer la conclusion de l’audit selon laquelle La Passerelle I.D.É. « a généralement respecté les conditions financières » de son accord de financement pour son programme Sans-Visage », écrit-elle.

Quant aux changements demandés par le gouvernement à ses méthodes, La Passerelle affirme qu’elle « apprécie ces conseils et a indiqué au gouvernement sa ferme volonté de mettre en œuvre les recommandations », peut-on lire.

La directrice de l’organisme franco-torontois a, une fois de plus, attaqué le travail du Toronto Star l’accusant d’« allégations malveillantes ». Une poursuite en diffamation a été envoyée au journal, l’an dernier.