Langues officielles : Justin Trudeau a « choisi le camp » des anglophones

Le premier ministre Justin Trudeau. Archives ONFR+
Le premier ministre Justin Trudeau. Archives ONFR+

OTTAWA – Alors que les anglophones du Québec se sentent comme jamais abandonnés et méprisés par le gouvernement fédéral, le premier ministre Justin Trudeau a décidé de choisir son camp, selon une politologue.

Ottawa est en train de moderniser la Loi sur les langues officielles, dont l’impact sur la survie du français s’étalera sur plusieurs décennies. Depuis quelques mois, le projet de loi C-13 se retrouve devant le Comité des langues officielles. Freiner le déclin du français au Canada passe notamment par cette Loi, indiquait la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor et Justin Trudeau en août, après la publication des données sur le déclin du français au pays.

« Le gouvernement fédéral prend ses responsabilités pour s’assurer qu’on adresse cette situation », disait la ministre.

Mais, depuis le début de l’étude du projet de loi, ce sont principalement les inquiétudes liées au projet de loi sur la communauté anglophone du Québec, qui reviennent en comité. Plusieurs députés anglophones sont sortis contre le projet de loi, ce qui était prévisible note la politologue Geneviève Tellier, mais « l’inaction » de Justin Trudeau est une surprise, selon elle.

« Il semble avoir flanché et choisi son camp. Il semble y avoir deux lignes de conduite. On se demande où est le leadership de Justin Trudeau dans ce dossier. Il y a deux véhicules qui vont dans deux directions différentes », observe la professeure de l’Université d’Ottawa.

D’un côté, il y a les députés francophones hors du Québec qui ont tenté à maintes reprises de faire adopter au plus vite le texte à la demande des organismes francophones. D’un autre côté, les députés anglophones du Québec qui tentent de retirer des portions du projet de loi.

« Je m’attendais à des tensions entre les partis, mais c’est plutôt au sein du Parti libéral qu’il y a des tensions qui se manifestent », analyse Mme Tellier.

Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles. Gracieuseté.
Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles. Gracieuseté.

Questionnée sur l’unité du caucus derrière sa mouture, la ministre a indiqué « travailler d’arrache-pied pour s’assurer que le projet de loi C-13 passe dans les plus brefs délais ».

Le fruit de la discorde est l’inclusion de la Charte de la langue française (Loi 96) au sein de la Loi sur les langues officielles, sachant que la mouture du gouvernement Legault a été utilisée avec la clause dérogatoire. Les libéraux ont remporté la première manche en début de semaine. Deux demandes de Québec, notamment celle d’inscrire la Charte de la langue française dans le préambule, n’ont pas été adoptés.

Ottawa « méprise » les Anglo-Québécois

Les propos des libéraux contrastent avec ceux des derniers mois, rappelle la professeure de l’Université d’Ottawa. Justin Trudeau affirmait, dans la foulée des chiffres sur le déclin du français, qu’il fallait en faire plus pour protéger le français au Québec et à l’extérieur. Mais les dernières semaines semblent démontrer le contraire, affirme-t-elle.

« Je pense qu’il fait le calcul qu’il est mieux de se mettre à dos le poids des francophones que les circonscriptions anglophones au Québec. »

Et pour cette raison, avec la mouture déposée, les anglophones du Québec ne cachent pas qu’ils se sentent laissés pour compte par Ottawa. Historiquement, c’est le contraire qui s’est toujours produit.

Le Quebec Community Groups Network (QCGN) signale que, compte tenu du projet de loi 96 du Québec, la Loi sur les langues officielles est vue comme une bouée de sauvetage, mais que C-13 fait en sorte que celle-ci « s’effiloche ».

« On a toujours pu compter sur le fédéral », ne cache pas Sylvia Martin Laforge, la directrice générale du QCGN, qui représente un peu plus d’un million d’Anglo-Québécois.

Et de poursuivre : « La communauté anglophone n’a pas vu dans ses mémoires récentes un tel mépris soit du fédéral, soit de la communauté majoritaire au Québec et de la communauté minoritaire du reste du Canada. Ils ne semblent pas comprendre la situation des Québécois anglophones », se désole Mme Laforge.

En plus de l’inclusion de la Loi 96, le QCGN craint la fin de l’approche du bilinguisme au Canada soit « l’abandon d’un demi-siècle de politique en matière de langues officielles », une mouture ne faisant que la promotion du français et la crainte que l’approche fédérale crée un régime linguistique particulier pour le Québec. Le passage de C-13 sous sa forme actuelle serait « comme planter un dernier clou dans le cercueil », soutient Mme Laforge.

« Je ne veux pas être trop dramatique, mais je crois que nous sommes rendus à ce point. »