Laurentienne : un an après les coupes, les gouvernements face à une décision
SUDBURY – En restant en retrait sur l’avenir des programmes en français à l’Université Laurentienne et à l’Université de Sudbury, au motif que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) l’en empêche, le gouvernement ontarien a enfreint une autre loi : celle des services en français. Un an après le lundi noir à la Laurentienne, les ministres Mulroney et Dunlop sont peu loquaces, tandis que l’opposition est restée silencieuse ce mardi à Queen’s Park au cours de la période des questions.
D’un côté une université bilingue qui s’accroche à ce qui lui reste de programmes et d’étudiants francophones, après avoir sabré dans ses programmes. De l’autre, une institution qui plaide pour un statut autonome et complètement francophone. Entre les deux bords, le gouvernement ontarien se garde de trancher pour l’heure sur l’avenir du postsecondaire en français dans le Moyen-Nord.
Une issue avant le scrutin provincial du 2 juin semble peu probable, de l’avis de la politologue Stéphanie Chouinard. « C’est difficile à dire tant et aussi longtemps que la LACC est toujours en cours », juge la professeure agrégée au Département de science politique du Collège militaire royal du Canada. « On voit que la province a un partenariat de financement qui serait prêt à appuyer l’Université de Sudbury. Le signal venant de Queen’s Park, du moins pour les gens de l’extérieur, c’est que ce dossier ne semble pas être une priorité. »
Si l’opposition n’est pas intervenue au cours de la période des questions ce mardi, à un an jour pour jour du lundi noir, en coulisse les élus du Nord s’impatientent.
« On doit en finir avec la LACC », lance la députée néo-démocrate France Gélinas. « Le gouvernement doit prendre ses responsabilités pour s’assurer que les gens du Nord-Est continuent d’avoir accès à une éducation universitaire à la Laurentienne et écoute la communauté francophone qui veut une université pour, par et avec les francophones à l’Université de Sudbury. »
« Ça impacte les gens du Sudbury mais aussi tout autour, et plus vite on sera capable d’aller de l’avant, mieux ce sera », renchérit son collègue John Vanthof. L’élu de Timiskaming-Cochrane, ne cache son pessimisme quant à une sortie de crise dans les semaines à venir.
« Il y a un an, Doug Ford n’a pas fourni le financement nécessaire pour éviter le processus qui a mené à ces compressions dévastatrices à l’Université Laurentienne. Va-t-il enfin mettre fin au chaos du processus de la LACC et protéger ce qui reste à l’Université Laurentienne et fournir les fonds nécessaires pour aider à la reconstruire? » s’interroge pour sa part le député de Sudbury Jamie West.
L’Université de Sudbury dans le flou
À l’heure actuelle, l’Université de Sudbury attend toujours d’obtenir le financement et l’accord de la province pour devenir une institution entièrement autonome. La Coalition nord-ontarienne pour une université de langue française demande à la province d’accorder le financement nécessaire à l’Université de Sudbury pour qu’elle puisse partir avec une programmation complète.
La coalition commence à trouver le temps long, soutient son porte-parole Denis Constantineau. « La date limite est déjà passée », dit-il. « On a déjà mangé la claque comme communauté dans ce dossier-là. Chaque étudiant qui quitte la région, c’est 30 000 $ de l’économie locale. On a perdu des centaines d’étudiants et des professeurs. On a perdu des gens qui siégeaient à des comités et des conseils d’administration dans la communauté. Chaque jour qui passe est un jour de trop. »
« J’ai des contacts avec la ministre Dunlop et nous sommes en train de regarder les développements », tente de rassurer Ginette Petitpas-Taylor, ministre des Langues officielles au micro d’ONFR+. « Je suis là pour appuyer les décisions par et pour les francophones du Nord de l’Ontario. »
En visite à Sudbury en campagne électorale, Justin Trudeau et les libéraux avaient clairement indiqué leur préférence pour un projet d’université entièrement francophone. Pour le moment, le gouvernement dit « avoir pris des engagements » dans ce dossier en plus de « le suivre de près ».
Ni Jill Dunlop, ministre des Collèges et Universités, ni Caroline Mulroney, ministre des Affaires francophones, n’ont donné de suite favorable à nos demandes d’entrevue. Le bureau de Mme Dunlop a toutefois laissé entendre que des avancées étaient en cours, se disant « impatient de partager nos progrès au cours des prochains mois ».
« Le Moyen-Nord et le Nord de l’Ontario ne sont pas des régions où le gouvernement Ford met beaucoup d’énergie », contextualise Mme Chouinard. « C’est une région où la représentation progressiste-conservatrice est faible et comme on le voit avec le début de campagne électorale qui se prépare, on n’a pas l’impression que c’est là que le gouvernement va mettre ses énergies pour être réélu. »
« Ça demeure une tâche sur le bilan du gouvernement provincial dans la gestion des affaires franco-ontariennes. Comme on l’a vu la semaine passée avec le dépôt du rapport Burke, on a voulu faire passer ce dossier-là sous le radar. Généralement parlant, le gouvernement n’était pas à la table pour tenter de trouver une solution rapidement. »
Une récente enquête de l’ombudsman adjointe chargée des services en français, Kelly Burke, a mis à jour des failles dans l’application de la Loi sur les services en français qui ont « mis en péril la désignation » de l’Université Laurentienne et eu un impact « négatif et réel sur les francophones ». Les ministères des Affaires francophones et des Collèges et Universités disposent de six mois pour agir et en rendre compte au bureau de l’ombudsman adjointe.
Selon la politologue du Collège militaire royal du Canada, « la pérennité d’une institution par et pour les francophones va passer par une décision difficile avec les programmes en français à l’Université Laurentienne. C’est un dossier extrêmement compliqué et, même si on avait voulu faire vite, on n’aurait pas pu. Mais là le temps commence à urger ».
Pascal Vachon et Rudy Chabannes