L’autonomie du Campus Saint-Jean préservée, l’inquiétude demeure
EDMONTON – Le Conseil général des facultés de l’Université de l’Alberta recommande de maintenir l’autonomie du Campus Saint-Jean. Le Bureau des gouverneurs devra se prononcer sur cette proposition ce vendredi, mais, quelle que soit sa décision, elle ne pourra assurer l’avenir de la seule institution postsecondaire francophone de l’Alberta.
« Je pense que c’est une bonne nouvelle pour le Campus. Cela dit, ça n’enlève pas l’épée de Damoclès que représentent les restrictions budgétaires imposées par le gouvernement provincial », réagit le doyen du Campus Saint-Jean, Pierre-Yves Mocquais, en entrevue avec ONFR+.
Le 7 décembre, le Conseil des facultés de l’Université de l’Alberta a choisi son scénario préféré quant à la restructuration de l’institution postsecondaire : 13 facultés seraient regroupées en trois entités et l’autonomie des Campus d’Augustana, Native Studies et Saint-Jean serait maintenue.
« La différence majeure par rapport aux scénarios étudiés jusqu’ici, c’est que le conseil ne recommande pas un « super doyen » pour les trois entités », ajoute M. Mocquais.
Pour la présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), Sheila Risbud, il s’agit d’un soulagement.
« Cet été, un scénario prévoyait une assimilation du Campus Saint-Jean à une plus grande faculté. Ce qu’on entend aujourd’hui est donc positif, mais on ne peut pas parler d’un gain, car on préserve simplement nos acquis. »
Opposition à un déménagement
La présidente de l’organisme porte-parole de la communauté franco-albertaine souligne toutefois que la possibilité d’un déménagement des étudiants de Saint-Jean dans un autre campus n’est pas écartée.
Cette option inquiète la communauté, comme l’ont souligné plusieurs intervenants lors d’une discussion virtuelle sur l’avenir de l’institution francophone organisée, mercredi, par Les Amis du Campus Saint-Jean.
« C’est important pour les entreprises qui gravitent autour », a plaidé Jean Johnson, directeur exécutif de l’Association des intérêts commerciaux du Quartier francophone, expliquant que la présence du Campus a créé un véritable quartier francophone et une synergie entre plusieurs organismes et entreprises à Edmonton.
Un avis que partage la candidate aux élections municipales d’Edmonton en 2021, Caroline Matthews.
« Les résidents en sont fiers et bénéficient de la présence des étudiants et des professeurs du Campus Saint-Jean qui gardent l’esprit de la francophonie dans la communauté. »
Le député fédéral conservateur Steven Blaney, lui aussi présent à cette discussion, plaide qu’il « est important d’avoir un lieu physique ».
Le vrai travail commence
Au-delà de cette question, M. Mocquais souligne que beaucoup d’autres interrogations demeurent.
« Il va falloir voir ce que la restructuration va donner. Le diable est dans les détails. »
Et notamment quant au contrôle des programmes d’études supérieures ou de la recherche.
« On n’a pas encore d’orientation claire là-dessus. Mais j’ai fait passer le message : pour moi, le Campus Saint-Jean ne peut pas continuer sans ça. »
De manières plus large, la vision elle-même du Campus Saint-Jean doit être discutée, poursuit le doyen.
« Pour nous – et si le Bureau des gouverneurs confirme ce modèle – le vrai travail va commencer. On doit avoir des discussions à l’interne et avec l’administration centrale pour déterminer comment on voit cette autonomie, comment on imagine l’avenir… Mon mandat se termine dans un an et demi et il va être fondamental que je me consacre à ça. »
Pour Mme Risbud, il faut aller plus loin.
« Le scénario proposé est un point de départ, mais on voudrait aller plus loin, avec un modèle fédéré et une autonomie complète. Dans notre vision, l’Université de l’Alberta continuerait à délivrer les diplômes, mais la gouvernance, la gestion et l’administration du Campus Saint-Jean seraient autonomes. »
Une situation financière toujours inquiétante
Reste que le futur du Campus Saint-Jean demeure largement conditionné par sa situation financière.
« L’Université de l’Alberta va perdre 33 % de son financement provincial. C’est énorme et il va falloir voir comment cela va nous affecter », prévient M. Mocquais.
L’ACFA a entamé un recours judiciaire contre l’Université de l’Alberta et le gouvernement provincial de Jason Kenney qu’elle accuse de sous-financement chronique envers le Campus.
« La province a fermé la porte aux discussions. On sait qu’un juge a été nommé, donc on s’attend à avoir un échéancier sous peu », explique Mme Risbud.
Encore un espoir au fédéral
Fin octobre, la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, avait tendu la main au gouvernement albertain lui proposant de faire une demande de financement à Ottawa, sur le modèle de l’entente de cofinancement conclue avec l’Ontario pour l’Université de l’Ontario français, afin de soutenir le Campus Saint-Jean. Le gouvernement fédéral serait prêt, selon la ministre, à mettre plus d’argent sur la table, à condition que le gouvernement Kenney annule ses compressions et investisse davantage.
« Il faut voir si la province est prête à faire sa part, mais sinon, on ne dirait pas non à une aide juste du fédéral. On a entamé des discussions avec nos homologues de Colombie-Britannique et de la Saskatchewan pour demander une aide fédérale pour toutes les institutions postsecondaires francophones de l’Ouest », indique la présidente de l’ACFA à ONFR+.
Le député conservateur Steven Blaney invite le fédéral à en faire davantage.
« Le gouvernement fédéral doit avoir un rôle de leadership », a-t-il expliqué lors de la discussion virtuelle de mercredi. « Je fais mon mea culpa en apprenant que les fonds fédéraux n’ont pas été indexés depuis 2003, donc aussi sous l’ancien gouvernement conservateur. Ce n’est jamais une bonne idée et je suis un adepte de l’indexation. Je pense aussi que désormais, il faut une structure qui va favoriser une aide directe au campus, sans passer par des intermédiaires. »
Face à l’incertitude, le Campus Saint-Jean continue de mener des projets. Cette année, les inscriptions ont connu une légère hausse et en septembre 2021, l’institution espère concrétiser un rêve de près de 20 ans : offrir un programme d’éducation à Calgary, Red Deer et Grande Prairie. Un projet pour lequel le financement a déjà été accordé, mais qui attend, là encore, la signature d’une entente fédérale-provinciale.