Le Campus Saint-Jean sauvé pour septembre, mais toujours menacé
EDMONTON – L’administration du Campus Saint-Jean a obtenu le feu vert de l’Université de l’Alberta pour son plan de rentrée. Une solution à court terme qui ne règle pas les menaces qui pèsent sur la seule institution postsecondaire en français de la province.
En septembre, le Campus Saint-Jean (CSJ) offrira 332 cours à ses quelque 800 étudiants à temps plein. Ce sont 77 cours de moins que lors de la rentrée précédente. Mais cette diminution reste moindre que celle redoutée par l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) qui évoquait jusqu’à 180 cours supprimés, en mai.
L’Université de l’Alberta a confirmé à ONFR+ avoir validé le plan présenté par le doyen Pierre-Yves Mocquais.
« C’est sûr que ce n’est pas parfait, mais ça va nous permettre de compléter nos diplômes sans devoir faire une session supplémentaire », explique Natalie Herkendaal, présidente de l’Association des universitaires de la Faculté Saint-Jean (AUFSJ). « L’administration du Campus a fait de son mieux. »
Pour la professeure au CSJ, Valérie Lapointe-Gagnon, ce réaménagement la contraindra à jumeler deux cours. Une solution logique, dit-elle, mais qui ne règle pas le problème à long terme.
« Ça reste une solution temporaire à un problème enraciné. À long terme, ce n’est pas viable. Ça prend une solution pérenne et du financement. C’est terriblement angoissant de ne pas savoir ce qui va arriver, notamment pour mes collègues chargés de cours. »
Des coupes budgétaires sans précédent
L’ACFA note que la solution trouvée pour septembre contredit les directives du ministre de l’Enseignement supérieur, Demetrios Nicolaides, voulant que les mesures budgétaires se limitent aux aspects administratifs et n’affectent pas les étudiants.
« Ça va aussi à l’encontre de l’entente de 1976 dans laquelle la province et l’Université se sont engagées à opérer, maintenir, améliorer et développer la programmation du CSJ », souligne la présidente de l’organisme, Sheila Risbud.
L’Université de l’Alberta évoque un « contexte exceptionnel ».
« Nous devons faire face à des restrictions budgétaires sans précédent, de l’ordre de 110,3 millions de dollars. Dans ce contexte, toutes les unités et les facultés doivent prendre des décisions budgétaires très difficiles », déclare, dans un échange de courriels, le doyen et vice-recteur académique de l’Université de l’Alberta, Steven Dew.
Pour Mme Lapointe-Gagnon, le gouvernement conservateur de Jason Kenney « demande un effort impossible à l’Université, encore plus en temps de COVID-19 ».
Sous-financement chronique en infrastructure
Outre l’aspect financier incertain, Mme Risbud dénonce le sous-financement chronique des infrastructures du Campus Saint-Jean.
« Malgré les demandes d’inscription croissantes, le Campus possède des installations du début du siècle! La plus récente construction fêtera bientôt ses 20 ans! »
Complétée en 2018, la rénovation des laboratoires de science, qui dataient des années 1950, pour un coût de 3,1 millions de dollars, est loin du projet initial de Pavillon des Sciences, d’environ 40 millions de dollars, proposé en 2007-2008 et qui n’a jamais vu le jour, rappelle aussi l’ACFA.
Et aujourd’hui, Mme Risbud déplore que le gouvernement ne saisisse pas l’offre du gouvernement fédéral qui a prévu 3,7 millions de dollars dans son budget 2019-2020 pour appuyer les travaux d’agrandissement du Campus, à la condition que la province y contribue pour le même montant.
Récemment, le gouvernement de l’Alberta a annoncé 98 millions de dollars pour améliorer l’infrastructure d’établissements postsecondaires. Mais le CSJ ne figure pas dans la liste.
« L’Université de l’Alberta est responsable d’identifier les projets capitaux et de rénovation prioritaires de ses campus, y compris du Campus Saint-Jean. Elle ne nous a soumis aucun projet capital (pour le CSJ) pour cette année », se défend, par courriel, le bureau du ministre de l’Enseignement supérieur, Demetrios Nicolaides.
Déménagement dans un campus anglophone?
Simple hasard? L’Université de l’Alberta travaille sur un plan de restructuration à plus long terme pour réduire ses coûts. Des changements qui pourraient se traduire par une réduction drastique du nombre de ses facultés, mais pas seulement.
« Quand nous avons rencontré le nouveau président de l’Université de l’Alberta [Bill Flanagan], il a évoqué la possibilité de déménager le Campus Saint-Jean au Campus principal. C’est une idée que nous dénonçons vivement, car il est très difficile de vivre en français dans un campus bilingue. On le voit à l’Université d’Ottawa, par exemple », explique Mme Risbud.
Même s’il comprend l’importance du Campus Saint-Jean, dit-elle, M. Flanagan ne saisit pas nécessairement les enjeux des Franco-Albertains et la réalité d’apprendre le français en milieu minoritaire.
« Dans un espace bilingue, la langue la moins forte finit par plier » – Valérie Lapointe Gagnon, professeure
« Être sur un campus francophone, en totale immersion, fait une énorme différence pour l’expérience étudiante. C’est la seule façon de garder et de protéger la culture francophone », insiste Mme Herkendaal.
M. Dew tente de rassurer.
« Nous sommes conscients de la place importante qu’occupe le Campus Saint-Jean dans l’histoire de la communauté francophone de l’Alberta. Pour le moment, il n’y a aucun plan précis de déménagement. Cependant, nous évaluons toutes les options possibles pour trouver le meilleur rendement dans la livraison de nos programmes. »
Impasse politique
L’organisme porte-parole des Franco-Albertains déposera un mémoire, cette semaine, pour influencer la réflexion de l’Université de l’Alberta.
Parmi les idées de l’ACFA, octroyer « un changement de gouvernance qui permettrait plus d’autonomie au Campus Saint-Jean, notamment quant à la gestion de son budget, tout en restant affilié à l’Université ».
« Ça nous brise le cœur d’imaginer que c’est peut-être la fin du Campus » – Natalie Herkendaal, présidente AUFSJ
Toujours est-il que les derniers développements n’incitent pas à l’optimisme.
« Le gouvernement semble s’en laver les mains et nous renvoie vers l’Université qui fait ce qu’elle peut. On est en train d’épuiser tous les recours politiques possibles, même si ça reste la priorité, car c’est la solution la plus rapide. Peut-être que nous n’aurons pas le choix d’envisager un recours judiciaire », dit Mme Risbud.