Le roman Le prince africain, le traducteur et le nazi, de Didier Leclair aux Éditions David. Source : Canva

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

Je n’ai jamais été une grande fan des romans d’espionnage : les intrigues à n’en plus finir et les rebondissements qui ne s’arrêtent que pour le temps de reprendre de plus belle. Peut-être du fait que j’ai grandi pendant une époque durant laquelle la guerre froide entre les États-Unis et l’ancienne Union soviétique battait son plein et que les nouvelles que nous lisions n’étaient qu’une succession de ces histoires avec la différence qu’elles étaient bien réelles.

En lisant le nouveau livre de Didier Leclair, Le prince africain, le traducteur et le nazi, publié aux Éditions David, je n’ai pas eu l’impression que c’était un roman d’espionnage classique, mais plutôt un roman historique revisitant l’occupation allemande de Paris avec des personnages attachants, drôles et surtout intelligents et braves. Et, quoi de mieux encore, ces personnages sont africains, asiatiques et sud-américains. Un pot-pourri de nationalités et de cultures diverses, chose rare dans les livres d’espionnage classiques.

Bien évidemment, si on connait Didier Leclair et son roman emblématique Toronto, Je t’aime, on pourrait se poser la question : pourquoi un livre d’espionnage qui se passe dans une époque sur laquelle tout a été dit ou presque. Mais ce que M. Leclair fait avec Le prince africain, le traducteur et le nazi (retenez bien l’ordre, les Africains en premier et le nazi en dernier), c’est un inversement des rôles entre les Blancs (suprémacistes), représentés par les nazis, et les Noirs, représentés par le personnage principal, Le prince Antonio, prince héritier du royaume Kongo dans l’Angola colonisée par les Portugais et son traducteur et interprète Jean de Dieu, homme cultivé et très intelligent.

Une revanche des opprimés sur les oppresseurs

Cette oeuvre n’est toutefois pas une histoire où les Noirs prennent leur revanche sur les Blancs (en un sens il y a un peu de ça et c’est tant mieux!). Elle est en effet beaucoup plus nuancée. Au lieu d’une course des Noirs contre les Blancs, on assiste à une partie de revanche des opprimés sur les oppresseurs et bien sûr la politique internationale et les politiques locales prennent toute leur place.

Le roman de Didier Leclair n’est jamais ennuyant : il n’y jamais un moment où on aimerait bien lâcher le livre, fatigué par trop d’intrigues. On suit au contraire cette cavale qui traverse la France occupée et s’en va jusqu’au Portugal puis revient en France. Même si on est à bout de souffle, on aime savoir comment se termineront les choses.

À plusieurs égards, ce livre me rappelle celui d’Esi Edugyan, une grande autrice canadienne qui écrit en anglais et qui s’est fait d’abord connaître avec son roman 3 minutes et 33 secondes. Dans le Paris occupé par les Allemands ou trois jazzmen, deux Américains et un métis, en fuite, tentent de s’échapper aux nazis et commettent le plus grand sacrilège : enregistrer un morceau de jazz.

Et du jazz, il y en a dans le livre et la vie de Didier Leclair, tout comme dans le livre d’Esi Edugyan. En effet, cette musique, qui a pendant des siècles symbolisé la voix de la résistance des esclaves africains abusés dans les champs de coton aux États-Unis, est de nouveau honnie, considérée comme source de problèmes bannie dans l’Allemagne nazie car considérée comme une « musique dégénérée ».

À ma connaissance, Esi Edugyan est l’une des rares autrices canadiennes qui a fait rentrer des personnages noirs dans l’histoire de l’occupation allemande et dans les découvertes scientifiques respectivement dans ses deux romans 3 minutes et 33 secondes et Washington Black. Je suis vraiment contente que Didier Leclair en fasse autant de notre côté francophone.

Un autre livre me rappelle celui de Didier Leclair, aussi écrit du point de vue des colonisés : Le dévoué de Viet Thanh Nguyen. Même si Le dévoué ne se promène pas dans le Paris sous l’occupation Allemande mais plutôt celui des années 80, c’est la rencontre, trop brutale chez Viet Thanh Nguyen, entre les divers membres des communautés ethniques, anciennes colonies de la France qui vivent maintenant sur son territoire qui étonne et fascine à la fois.

Cette même rencontre se fait , plutôt complice et amicale, dans le livre de Didier Leclair un peu à la manière du slogan communiste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». On peut voir dans son roman comment différents personnages qui ont tout pour être des victimes parfaites – que ce soit la couleur de leur peau, leur religion, leur sexe, leur classe sociale – arrivent à s’unir, s’entraider et devenir des agents de changement à part entière.

Un autre regard sur l’histoire

Certes, de prime abord, l’oeuvre de Didier Leclair paraît un livre d’espionnage innocent avec des aventures rocambolesques et des cavales enjambant plusieurs pays et continent pendant la seconde guerre mondiale mais au fond, c’est une mise au point sur la façon dont l’histoire avec un grand H et les histoires subséquentes ont été écrites jusque-là. Une écriture monochrome, relatée du point de vue de la majorité alors que les minorités raciales qui ont pourtant joué un rôle primordial pour combattre le fascisme ont souvent été reléguées aux oubliettes, tuées ou simplement ignorées.

Ici, un petit rappel historique s’invite et s’impose. Entre 1939 et 1944, ils sont près de 140 000 tirailleurs sénégalais (en réalité ce sont des soldats indigènes venant d’Afrique subsaharienne) engagés par la France. Près de 24 000 sont faits prisonniers ou sont tués au combat. Selon l’historien américain Raffael Scheck, qui a enquêté dans les archives militaires françaises et allemandes, près de 3 000 tirailleurs sénégalais auraient été exécutés par la Wehrmacht, armée allemande nazie, entre mai et juin 1940.

Même si le livre de Didier Leclair épouse la forme du roman d’espionnage et d’aventure sans sombrer dans les détails et disputes historiques, il reste un livre avec un nouveau regard sur les rapports de force raciaux qui ont régi nos sociétés contemporaines et qui se poursuivent jusqu’à nos jours.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et du Groupe Média TFO.