Les coups de ciseaux du gouvernement Ford ont laissé des traces dans le tissu franco-ontarien
TORONTO – Dans l’ombre de l’abolition du Commissariat indépendant aux services en français et du projet d’Université de l’Ontario français, plusieurs programmes faisaient, il y a un an, les frais de compressions budgétaires gouvernementales d’envergure. Un an après le « jeudi noir », état des lieux.
Ne cliquez plus. Le site internet d’Élargir l’espace francophone est en sommeil prolongé depuis plus d’un an. Sur la page d’accueil, un message laconique informe l’internaute : « Les ministères font actuellement l’objet d’une revue de leurs programmes et de toutes les initiatives incluant Élargir l’espace francophone. »
Depuis septembre 2018, le message n’a pas changé. La suppression de la structure a permis au gouvernement de faire l’économie de 550 000 $, montant du financement annuel provincial.
En appui au système d’éducation en langue française, ses agents communautaires faisaient la promotion de la vitalité francophone en Ontario. Ils avaient la responsabilité de tisser des liens entre les groupes communautaires, les conseils scolaires, les municipalités, les instances gouvernementales et le secteur privé.
Élargir l’Espace francophone ou le réduire?
Un an plus tard, difficile de savoir si le projet est définitivement enterré.
« On n’a pas de commentaire à faire. On vous redirige vers le ministère de l’Éducation car c’est son projet », coupe court Brigitte Cyr, la directrice générale du Centre de leadership et d’évaluation (CLÉ) abritant le projet depuis 2006.
Du côté du ministère de l’Éducation, le sujet est tout aussi sensible. On ne veut pas fermer la porte à un redémarrage.
« S’il advenait que les conseils scolaires, les partenaires en éducation ou le ministère désiraient redémarrer le projet ou en proposer un qui aurait des objectifs semblables, il pourrait être pris en considération », indique même la porte-parole Ingrid Anderson.
Et de relativiser son utilité : « Depuis la création du projet Élargir l’espace francophone, certains conseils scolaires se sont dotés de services des communications ou de relations avec la communauté qui ont pris en charge certaines des responsabilités du projet. »
La direction de la Nouvelle Scène demande à voir les ministres
À la Nouvelle Scène Gilles-Desjardins, le personnel est plus loquace sous le feu des projecteurs. Peut-être parce que cela fait partie du métier.
Amputé d’une subvention de 2,9 millions de dollars, le centre de théâtre professionnel francophone d’Ottawa nage dans l’incertitude. Cette somme, promise par le gouvernement précédent, devait entièrement éponger sa dette contractée à la suite de la reconstruction de l’édifice en 2016.
Sa directrice générale, Chantal Nadeau, se souvient de la lettre ministérielle lui annonçant le retrait de la subvention. Elle relate une douloureuse expérience, accentuée par d’autres coupures dans le Conseil des arts de l’Ontario, qui ont impacté le théâtre mais aussi directement les compagnies fondatrices et résidentes.
« On continue d’opérer mais à long terme, avec les intérêts qu’on paye, ça risque de faire mal », redoute-t-elle. « On a dû revoir notre façon de faire. On a construit un plan d’affaires avec les chiffres qu’on avait, tout en préservant la programmation. L’opérationnel se porte très bien. Mais il ne faudrait plus que ça baisse. On vit grandement des subventions. »
Mme Nadeau veut rencontrer au plus vite Lisa McLeod, la ministre des Industries du patrimoine, du sport, du tourisme et de la culture, ainsi que Caroline Mulroney, la ministre des Affaires francophones, afin de trouver une issue.
Le remaniement ministériel de juin dernier a ralenti le processus, confie-t-elle : « Quand il y a un changement, l’équipe change, la vision change. Avant, on avait affaire avec le sous-ministre du Tourisme qui nous conseillait d’appliquer à des fonds pour de petits montants, autour de 50 000 $… Ça en prend beaucoup des fonds pour régler une dette de 2,9 millions de dollars. »
La directrice générale a rencontré, hier à Ottawa, le porte-parole de l’opposition aux Affaires francophones, Guy Bourgouin, pour faire avancer sa cause. Il s’est dit prêt à défendre le dossier à Queen’s Park et estime que la province devrait honorer ces 2,9 millions.
« On va prendre une première approche pour voir si le gouvernement est prêt à travailler avec nous », propose le député de Mushkegowuk-Baie James. « S’ils ne veulent pas, et qu’ils préfèrent avoir 15 000 autres personnes dans la rue, ils vont voir que les Franco-Ontariens sont capables de s’organiser vite et fort. »
Des magazines éducatifs finalement rétablis
Le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques (CFORP) a eu, quant à lui, plus de chance. Un temps suspendues l’automne dernier, ces trois publications éducatives, Minimag, Mon Mag à moi et Quad9, ont retrouvé le chemin des écoles dès janvier 2019.
« Ces magazines existent toujours », rassure le directeur général, Claude Deschamps. « Chaque élève de la maternelle à la 8e année reçoit une copie, dans les écoles des conseils scolaires francophones. »
Mise entre parenthèses pendant deux mois, l’impression des 83 000 copies a redémarré, car elle ne faisait faire aucune économie au gouvernement, les fonds provenant du palier fédéral. L’Ontario reste certes maître de la façon dont il alloue le montant, mais ne peut pas l’annuler.
Disposant d’un budget stable, M. Deschamps se veut confiant pour l’avenir. « On travaille avec le ministre pour produire de nouvelles ressources, notamment des cours en ligne pour les élèves et des outils pédagogiques pour le personnel enseignant. »
Le MIFO a finalisé une importante demande de subvention
Autre victime du tour de vis budgétaire de la province, le Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO) a vu s’envoler une promesse de subvention de 4,2 millions de dollars.
« Il n’y a pas eu de suppression », tient à corriger Joëlle Drouin, la directrice du marketing et des communications de l’organisme gestionnaire du Centre culturel d’Orléans. « Nous n’avons jamais reçu de lettre de refus pour le projet. On doit déposer une demande officielle en bonne et due forme à la province pour obtenir le financement voulu. »
Le MIFO a finalisé sa demande au provincial pour le Programme d’infrastructure Investir dans le Canada (PIIC) le 12 novembre.
« On obtient du financement au fonctionnement du Conseil des arts de l’Ontario (CAO) et on applique aux différents programmes de la Fondation Trillium et du CAO pour des projets et nous en avons obtenus cette année », précise Mme Drouin.
Le financement du provincial représente moins de 1 % du budget total du MIFO qui génère 78 % de ses revenus de façon autonome.
Selon Guy Bourgouin, toutes ces coupures de programmes sont la résultante de l’action des deux derniers gouvernements. Il juge les « promesses de dernière minute » des libéraux précédemment au pouvoir « pas correctes ».
Le député néo-démocrate en veut tout autant au gouvernement progressiste-conservateur actuel de ne pas les honorer.
« On a besoin de reconnaître et de défendre notre culture. N’oublions pas que c’est un investissement qui rapporte à la province. »