Les impacts de la Loi sur la diffusion continue en ligne sur l’industrie culturelle francophone

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OTTAWA – Le projet de loi C-11 a reçu la sanction royale la semaine dernière, devenant officiellement la Loi sur la diffusion continue en ligne. Cette nouvelle réglementation vient modifier la Loi sur la radiodiffusion, qui n’avait pas été mise à jour depuis 1991. ONFR+ a sondé différents intervenants pour en comprendre les impacts.

Le but de la Loi sur la diffusion continue en ligne est d’obliger le financement et la promotion du contenu canadien par les plateformes comme Netflix, Spotify et YouTube. Le gouvernement souhaite les soumettre à des règles comparables à celles qui incombent aux radiodiffuseurs traditionnels.

Mais l’impact de C-11 ne se fera pas ressentir tout de suite. Le gouvernement doit faire parvenir un décret d’instructions au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui précisera les directives générales de l’application de la loi. Il y aura ensuite une étape de consultations publiques. Les citoyens pourront donner leur avis et les différentes associations de créateurs comptent veiller au grain.

Il est encore difficile de prédire l’impact de la nouvelle loi dans les détails, mais nous pouvons affirmer certaines choses. D’abord, le texte nomme explicitement les communautés de langues officielles en situation minoritaire (CLOSM), qui pourraient bénéficier d’une visibilité accrue. Le CRTC devra établir un processus de consultation plus clair pour permettre aux représentants des CLOSM de s’exprimer sur les enjeux qui les touchent.

Ensuite, la loi devrait favoriser la souveraineté culturelle, c’est-à-dire imposer aux grandes entreprises étrangères d’investir dans des projets canadiens, en s’assurant que la propriété intellectuelle reste canadienne.

La Loi sur la diffusion continue en ligne s’applique aux plateformes et non à leurs utilisateurs. 

Beaucoup de pouvoir au CRTC

Le CRTC pourra déterminer quelles plateformes seront touchées et « imposer des conditions attachées à une licence et rendre des ordonnances imposant des conditions d’exploitation aux entreprises de radiodiffusion », est-il écrit dans le libellé de la loi.

Les détracteurs estiment que le CRTC ne devrait pas indiquer aux plateformes ce qui doit être suggéré comme contenu aux utilisateurs. Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, affirme que la nouvelle loi permettra de « censurer l’Internet ».

Certains créateurs de contenu craignent de voir leur liberté d’expression brimée, notamment en déterminant par des règles arbitraires, ce qui constitue du contenu canadien ou non. Selon les défenseurs de la loi, il est pourtant hors de question de pénaliser les utilisateurs des plateformes, même s’ils jouissent d’une grande tribune. La directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC), Carol Ann Pilon, explique : 

« Le CRTC imposera aux entreprises qui sont assujetties à la loi les conditions appropriées selon la nature du service et la part du marché qu’ils ont. Rien ne va changer pour le créateur de contenu, autre que peut-être que son contenu va apparaître plus souvent. »

La directrice générale de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC), Carol Ann Pilon. Gracieuseté APFC

Le Sénat avait suggéré un amendement qui aurait permis d’enchâsser dans la loi les types de contenus visés. La Chambre des communes a refusé la proposition. Une bonne chose, selon le responsable des relations publiques à la Guilde canadienne des réalisateurs (GCR), Samuel Bischoff. « Je pense que la loi est claire et sans équivoque. […] Les lois, en général, n’ont pas ce niveau-là de détails. C’est vraiment au CRTC, par des consultations publiques, de déterminer ces questions-là. »

Les créateurs de contenu francophones pourront tirer avantage de la nouvelle loi, selon l’homme derrière la chaîne Appelez-moi Phil, Phil Rivière. Même s’il comprend les craintes exprimées par certains de ses pairs et alimentées par les plateformes elles-mêmes, il croit que le gouvernement doit en faire plus pour protéger les CLOSM.

 « Souvent, on a l’impression qu’il n’y a pas de contenu francophone en situation minoritaire, mais c’est parce qu’il n’est pas mis en avant par les algorithmes. »

Le créateur de contenu Phil Rivière sur le tournage de son documentaire Donner sa langue au chat, chapitre II : Nos rivalités. Gracieuseté

Pour savoir ce qu’est un contenu canadien, il existe déjà des critères utilisés par le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens (BCPAC). Samuel Bischoff « s’attend à ce que le décret d’instruction du gouvernement demande au CRTC de faire évoluer cette définition. La raison principale est que les plateformes étrangères qui opèrent au Canada sont incompatibles avec la définition exacte dans le système actuel ». Le représentant de la GCR espère que la nouvelle définition aura une sensibilité pour les différentes communautés marginalisées, afin de « refléter l’ensemble du Canada ».

Avec la Loi sur la diffusion continue en ligne, la responsabilité de consultation reviendra au CRTC. Carol Ann Pilon explique que les processus sont déjà publics, mais qu’il faut aller fouiller soi-même, ce qui complique la tâche des petits organismes. « Parfois, des processus passent sans même qu’on en soit conscients. »

Une loi qui ne peut venir seule

Phil Rivière estime que les efforts doivent s’inscrire dans une stratégie plus large : « Le gouvernement du Canada doit absolument aller plus loin pour protéger le français en situation minoritaire, ce qui, en plus de C-11, doit passer par la future Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada (C-13) et le plan d’action pour les langues officielles 2023-2028. »

Le président du Mouvement des intervenant.es en communication radio de l’Ontario (MICRO), Steve McInnis, surveille aussi le dénouement prochain du projet de loi C-18, la Loi sur les nouvelles en ligne, qui est actuellement à l’examen en comité au Sénat. Selon lui, même si les radios communautaires sont nommées dans C-11, l’impact sera minime : « On a un petit paragraphe, on est là, donc ils nous reconnaissent. Ça peut être intéressant dans nos revendications prochaines. Pour l’instant, le projet de loi C-11 ne nous affecte pas plus que ça. »

Souveraineté culturelle

Pour la directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Marie-Christine Morin, il était grand temps que cette loi soit adoptée. « Il y avait urgence d’agir […] Il faut absolument qu’on rétablisse l’équilibre dans l’industrie. »

La directrice générale de la fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Marie-Christine Morin. Crédit photo : Marianne Duval

Carol Ann Pilon insiste sur l’importance d’embaucher des Canadiens sur les plateaux et dans les postes créatifs, et non seulement de dépêcher une équipe américaine pour tourner des films au Canada, ou encore d’acheter un contenu déjà produit.

« Une fois qu’un projet est complété et qu’on le vend à un diffuseur, le montant qu’on reçoit pour ça est minime comparativement à ce qu’on peut aller chercher pour produire une œuvre originale. »

Un double standard dénoncé

Au niveau de l’embauche canadienne, le texte mentionne les entreprises du pays et étrangères dans deux paragraphes différents. Pour les premières, on demande une embauche « au maximum, et dans tous les cas au moins de manière prédominante […] à moins qu’une telle pratique ne s’avère difficilement réalisable en raison de la nature du service ».

Pour les entreprises étrangères, on demande plutôt d’embaucher des Canadiens « dans toute la mesure du possible » et « de contribuer fortement, de façon équitable […en tenant compte de la dualité linguistique du marché qu’elles desservent ».

Samuel Bishoff fait partie de ceux qui craignent l’installation d’un double standard qui profiterait aux entreprises étrangères. « Ce sont des plateformes internationales, qui ont beaucoup de capital. Donc, les obligations d’investir dans des émissions canadiennes originales devraient le refléter. »

Le CRTC précise « qu’il établira un cadre réglementaire modernisé auquel tous les acteurs contribueront équitablement ».

Samuel Bischoff est responsable des relations publiques à la Guilde canadienne des réalisateurs (GCR). Gracieuseté

Le représentant de la GCR résume pourquoi il était important pour l’industrie que C-11 soit adopté : « On voit que la production de contenu, la consommation, le public vont migrer de la télévision traditionnelle vers la diffusion continue en ligne. Cette loi est essentielle pour rétablir une équité et traiter de la même manière les plateformes étrangères et les plateformes nationales, que ce soit notre diffuseur public ou les télédiffuseurs canadiens. »

Article écrit avec la collaboration de Pascal Vachon.