Les services en français piétinés dans les cliniques de vaccination
Welland, Orléans, Sault-Sainte-Marie, Toronto, Sudbury, Chatham… Partout en Ontario un même constat : se faire servir en français relève au mieux du hasard, au pire de l’impossible. Et pour cause, la province n’a pas imposé l’usage des langues officielles dans le processus et ne fait aucun contrôle dans les centres de vaccination de masse, les pharmacies et autres structures autorisées à administrer un vaccin contre la COVID-19.
En Ontario, les services sont assurés dans les deux langues officielles avec plus ou moins de sérieux, y compris dans les zones désignées sous la Loi sur les services en français (LSF). Dans bien des cas, les candidats au vaccin doivent eux-mêmes réclamer de tels services, sans être sûr de les obtenir, faute de ressources en personnel, voire de documentation bilingue.
Il faut dire que la LSF ne s’applique pas aux bureaux de santé publique régionaux qui ont pris avec plus ou moins de sérieux la note de service du médecin hygiéniste en chef de la province émise à l’ensemble des bureaux de santé publique régionaux afin de les encourager à offrir des services en français.
Pourtant les questions posées au public avant la première dose sont d’importance vitale. Le personnel de soin cherche à savoir si le patient a des allergies, des pathologies ou un traitement en cours nécessitant un suivi approfondi ou pouvant mener à une contrindication à un vaccin et au choix d’un autre. C’est par exemple le cas des personnes ayant un système immunitaire déficient, à qui on conseille par exemple de se rapprocher de leur médecin.
La compréhension des questions posées par le personnel des cliniques ou contenues dans les formulaires distribués est donc cruciale pour éviter toute complication. Si certains bureaux de santé ont fait l’effort de recruter du personnel francophone, d’autres n’hésitent pas à se contenter de panneaux bilingues dans leurs cliniques.
Le bureau de santé publique de Toronto demande même aux francophones ne maîtrisant pas l’anglais de venir accompagner d’une personne de leur entourage capable de comprendre la langue et avec qui elles devront, parfois malgré elles, partager des renseignements médicaux personnels.
Un acte de santé dans une langue qui n’est pas la sienne
Cette mésaventure est arrivée à Catherine Demers de Welland, une ville dans laquelle près d’un résident sur dix est francophone. « On nous a reçu en anglais et quand j’ai demandé des formulaires en français, la dame en face de moi, surprise, m’a dit qu’elle ne pensais pas en avoir. Alors j’ai dû aider ma mère à traduire. À l’étape suivante, l’infirmière était unilingue aussi. On a su qu’après que des infirmières bilingues étaient peut-être disponibles. »
Mme Demers s’est sentie mal à l’aise qu’un tel acte de santé, qui peut comporter des risques, ne soit pas assuré dans la langue officielle de sa mère. Une infirmière parlant français est finalement intervenue, mais une fois la vaccination terminée.
« Elle nous a rassurées durant la période d’attente après le vaccin, mais s’il y a des symptômes, ce n’est pas à ce moment-là. Ça peut se déclencher plus tard quand ma mère rentre chez elle. Que fera-t-elle, seule, avec son formulaire en anglais qui lui dit quoi faire et qu’elle ne comprend pas? »
Le cas de Mme Demers n’est pas isolé. La population francophone du Niagara est une population vieillissante qui ne comprend pas toujours l’anglais, surtout en des termes médicaux. « Les aînés sont souvent gênés de demander. Ne pas être servi dans sa langue crée des situations qui touchent au cœur, surtout pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir leurs enfants avec eux », illustre-t-elle.
Après qu’un bénévole lui ait expliqué qu’il serait « coûteux » de recruter du personnel bilingue dans la clinique, elle a alerté son élu local au Parlement. De son côté, le bureau de santé public régional a répondu à ONFR+ être en train de recruter plus d’infirmière bilingues et faire le nécessaire pour avoir suffisamment de documentation en français.
« Je me demande s’ils ont conscience qu’on existe » – André Lefort, résident d’Orléans
André Lefort a vécu une expérience quasiment identique à Orléans, dans la région d’Ottawa.
« J’ai été accueilli par des gardiens de sécurité qui ne parlaient pas français. Ni les bénévoles ni l’infirmière ne parlaient français. Ce serait dans un commerce, je comprendrais, mais dans une clinique de vaccination, je trouve ça ridicule. »
M. Lefort estime que c’est sa santé qui en jeu et compte porter plainte auprès du Commissariat aux services en français. Il a dû se contenter de formulaires en anglais mais a pu obtenir, à sa demande, avant de quitter la clinique, une documentation en français. Un moindre mal mais selon lui, il est clair que « du personnel temporaire a été embauché sans se fier à la langue. Je me demande s’ils ont conscience qu’on existe », confie-t-il, espérant que la deuxième dose prévue fin juillet soit, linguistiquement, moins douloureuse.
Dans le Nord aussi, « le français est pensé après »
À Sault-Sainte-Marie, Suzanne LeClair Salituri a enduré une vaccination 100 % en anglais, y compris lors de la prise de rendez-vous. Cette visiteuse essentielle dans un foyer de soins de longue durée s’est fait vaccinée dès le mois de mars dernier. « Quand je suis entrée dans la clinique, j’ai vu des affiches bilingues mais ça s’est arrêté là », se souvient-elle.
Cette résidente de Sault-Sainte-Marie ne s’attendait toutefois à aucun miracle dans une région désignée où le français est rarement diffusé avec un dynamisme débordant. « Personne ne m’a adressé la parole en français ni dirigée vers quelqu’un de francophone quand j’ai dit bonjour. Ça peut poser des problèmes mais je ne suis pas surprise », dit-elle, expliquant avoir l’habitude de faire l’interprète à l’hôpital et dans les services de santé pour ses parents.
Et d’ajouter : « C’est très commun de ne pas recevoir des services. Le français est pensé après. Si on mettait aux postes à responsabilité des gens francophones, on comprendrait mieux comment améliorer les services en français. »
Le bureau de la commissaire aux services en français a confirmé à ONFR+ que la LSF ne s’appliquait pas, une information contredite en conférence de presse par la ministre Mulroney, affirmant que « le gouvernement et les services sanitaires étaient assujettis à loi dans les régions désignées ». « On suit ce dossier et quand nous aurons plus a dire on prendra moment pour faire des commentaires », a réagi la ministre.
Interrogé sur les carences de services en français dans les cliniques de Toronto, la maire John Tory a affirmé qu’il n’avait connaissance d’aucune information alarmante à ce sujet.
« On opère depuis le début en plusieurs langues, y compris les langues officielles. La prise de rendez-vous en ligne est également dans les deux langues officielles. Aucune plainte n’a été portée à mon attention mais si cela arrive dans un secteur, je voudrais le savoir pour voir ce qu’on pourrait améliorer », a-t-il assuré.
Dans une clinique torontoise : huit langues, mais pas le français
Un exemple parmi d’autres : la clinique St. James Town qui dessert une partie du centre-ville propose huit langues mais pas le français. Toronto, Welland, Orléans et Sault-Sainte-Marie sont désignées sous la LSF. D’autres témoignages semblables provenant de zones désignées ont été rapportés à ONFR+, notamment à Chatham et Sudbury.
Plusieurs bureaux de santé public indiquent proposer des services en français par le biais d’un système de traduction sur demande, comme Peel et Halton, un processus qui, conjugué à des documents en français, est jugé suffisant par ces bureaux. Peu de cliniques pratiquent pas l’offre active en Ontario, la plupart n’ayant jamais entendu parler de ce concept.
Auteur d’un projet de loi visant à assujettir les bureaux de santé régionaux à la LSF, le porte-parole de l’opposition officielle, Guy Bourgouin, regrette que le gouvernement ne saisisse pas l’occasion de rectifier le tir. « C’est inacceptable! Le gouvernement reste assis sur notre projet de loi comme n’importe quel autre de nos projets de loi. On n’a aucune nouvelle. Tant que les bureaux de santé ne seront pas obligés d’offrir ces services, rien ne bougera. Ce n’est pas avec une note (celle du Dr Williams aux bureaux régionaux, à la demande du Commissariat aux services en français) qu’on imposera les services en français, prévient-il, dénonçant le « silence radio » de la ministre Mulroney dans cette affaire.