L’histoire franco-ontarienne toujours négligée dans les écoles anglophones
La lutte contre le règlement 17, la crise scolaire de Sturgeon Falls, la Loi sur les services en français ou encore, la bataille judiciaire pour sauver Montfort… Ces épisodes marquants de l’histoire franco-ontarienne demeurent méconnus des élèves anglophones ontariens, malgré la révision du curriculum en 2018.
La francophonie au Canada? Une histoire québécoise. Voilà ce qui pourrait résumer l’apprentissage de l’histoire de la francophonie dans les écoles du système scolaire anglophone de l’Ontario.
Les chercheurs Marie-Hélène Brunet et Raphaël Gani se sont penchés sur cette question en étudiant le curriculum d’histoire en 10e année.
« On a choisi cette année, car elle correspond à l’enseignement de l’histoire contemporaine. C’est dans ces années-là que se sont jouées beaucoup de batailles franco-ontariennes, contre le règlement 17 ou la fermeture de Montfort, par exemple. Mais la seule chose dont on parle dans le programme, c’est du drapeau québécois et de la Saint-Jean, vue comme exclusivement québécoise », note la professeure à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, Marie-Hélène Brunet.
En Ontario, le curriculum peut varier du système scolaire anglophone au système francophone, ce qui permet notamment aux écoles de langue française de mettre l’emphase sur l’histoire de la communauté franco-ontarienne pour favoriser la construction identitaire de leurs élèves.
« C’est une approche intéressante, car elle laisse chaque groupe décider. On voit tout de même que la majorité du contenu est similaire », remarque le doctorant à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, Raphaël Gani.
À l’appréciation des professeurs
Le ministère de l’Éducation assure que l’histoire franco-ontarienne fait belle est bien partie du curriculum d’histoire des écoles anglophones.
De l’Ontario français, les élèves pourraient ainsi entendre parler de la reconnaissance du drapeau franco-ontarien, en 10e année, à laquelle on attribue le mérite au gouvernement provincial, ou encore de l’obtention de la gestion scolaire, qui pourra être évoquée en 8e année.
Problème, cela reste à la discrétion des professeurs, qui peuvent ou non puiser dans ces exemples pour parler des actions menées par des individus, des groupes ou des communautés, dont la communauté franco-ontarienne, pour améliorer leurs conditions de vie.
Mais que ce soit dans le cursus classique ou en immersion, beaucoup d’enseignants ne connaissent pas l’histoire franco-ontarienne, ce qui ne les incite pas à l’enseigner.
« On ne sait absolument pas ce qui se passe dans les classes et il n’y a aucune obligation ni attente particulière », regrette Mme Brunet qui reste persuadée que des enseignants informés seraient intéressés à aborder ce pan de l’histoire de la province.
En 2018, une révision du curriculum a été opérée pour répondre aux travaux de la commission de vérité et réconciliation et ainsi améliorer l’enseignement de l’histoire des Premières Nations dans les écoles ontariennes. Mais pour ce qui est de l’histoire franco-ontarienne, et celle des francophones de l’extérieur du Québec, rien n’a vraiment changé.
« C’est comme si on était incapable de parler de plusieurs réconciliations en même temps », ironise M. Gani.
Prise de conscience
Faut-il avoir davantage de francophonie ontarienne dans les cours d’histoire des écoles de langue anglaise? Mme Brunet en est convaincue.
« Combien de fois entendons-nous : pourquoi les Franco-Ontariens plus qu’un autre groupe minoritaire? On se concentre seulement sur le Québec, vu comme le seul espace francophone, présenté de façon binaire et simpliste. »
« L’enseignement de l’histoire, c’est politique en soi! » – Marie-Hélène Brunet, chercheuse
« Quand Doug Ford, dans une déclaration, compare les francophones à n’importe quel groupe minoritaire en Ontario, cela témoigne de cette vision. On la retrouve aussi en Alberta. Et cela explique ensuite pourquoi certains gouvernements ne trouvent pas ça si important de donner des ressources à ce groupe vu comme un autre », analyse M. Gani.
Jointe par ONFR+, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) a refusé de se prononcer sur cette question, tout comme la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney. En 2017, sa prédécesseure libérale, Marie-France Lalonde, ainsi que la première ministre de l’époque Kathleen Wynne, avaient démontré une certaine ouverture à l’intégration de l’histoire de la francophonie ontarienne dans le curriculum des écoles anglaises.
Pour M. Gani, il faudrait même aller plus loin.
« Dans le système anglophone, on n’enseigne pas l’identité anglophone. Les élèves ne réalisent pas l’importance de la langue dans leur vie et ne savent pas qu’ils bénéficient de droits linguistiques, notamment s’ils déménagent au Québec. Tant que les anglophones n’auront pas la vision de qui ils sont, ce sera difficile pour eux de comprendre les francophones », estime le chercheur qui consacre sa thèse, intitulée « Nous sommes multiculturels, ils sont francophones », à cette question.
Des améliorations aussi à apporter chez les francophones
Le système scolaire de langue française n’échappe pas non plus à la critique, ajoutent les deux chercheurs. Car si l’histoire de la francophonie ontarienne y est enseignée, sa diversité reste négligée.
« On parle de francophonie ontarienne sans évoquer sa diversité et sa pluralité. C’est un point qui devrait être amélioré », estime M. Gani.
Les travaux réalisés par les deux chercheurs leur ont apporté de nouvelles questions.
« Comment est enseignée l’histoire franco-ontarienne dans les écoles de langue française? Quelle place y fait-on aux femmes et à la diversité? Ce sont aussi des questions qui m’intéressent », explique Mme Brunet.
Les deux chercheurs comptent poursuivre leur travail et s’intéresseront, avec l’aide de Monica Szymczuk, aux programmes de 7e et de 8e année. Les résultats de leur travail devraient être connus en mars 2021.