Liberté académique et francophonie : un livre sur les « malmenées » de l’U d’O
OTTAWA – Quatorze professeurs signent aujourd’hui un livre où ils relatent la dernière année vue de l’intérieur avec les nombreuses sagas qui ont frappé l’établissement en lien avec le mot en N, la liberté académique, et son impact sur la francophonie à l’Université d’Ottawa.
Ce collectif intitulé : Libertés malmenées — Chronique d’une année trouble à l’Université d’Ottawa revient sur la saga autour de l’utilisation du mot en N de la professeure Verushka Lieutenant-Duval en salle de classe. Cette histoire avait suscité des réactions au Canada et à l’international et avait accouché au rapport Bastarache sur la liberté académique.
« C’est assez paradoxal, mais aussi très révélateur : un événement survenu dans une université située hors du Québec a enflammé le discours social québécois pendant des mois », peut-on lire dès la première ligne de l’introduction.
Ce livre de 408 pages supervisé par trois professeurs se voulait un moyen d’expliquer la crise mais aussi d’explorer la question plus en fond, explique l’un de ces trois auteurs, Maxime Prévost.
« Il s’est dit et écrit beaucoup de choses dans les médias pendant une assez longue période et donc on voulait rassembler tout ça dans un long ouvrage ce qui n’est pas possible dans des entrevues de deux à trois minutes. »
S’il explore la question de la liberté académique à la suite des événements connus de la chargée de cours, la question linguistique dans le débat est inévitable, signalent les professeurs.
« Au départ, ce n’était pas une question linguistique, mais c’en est rapidement devenu une », lance en entrevue la professeure Geneviève Tellier. « Il n’y a pas juste une façon de voir les choses, mais on se rend compte que dans ce cas-là, il y a clairement une perspective anglo-saxonne et une perspective francophone et ce qui s’est passé dans cette crise-là est que la perspective anglo-saxonne a prévalu. »
Les difficultés du bilinguisme
« Bilinguisme en silo, cohabitation difficile, expérience dysfonctionnelle du bilinguisme, insensibilité à l’égard de la minorité francophone », les expressions de ce genre en référence au bilinguisme se multiplient à travers la centaine de pages du bouquin de la maison d’édition Leméac. Des professeurs avaient signalé avoir été la cible de propos francophobes dans le cadre de la tourmente. Un rapport à l’automne dernier avait fait état de discrimination et de l’hostilité envers les francophones.
Et pour ces derniers, il ne faut pas chercher loin pour trouver un coupable.
« Au lieu de montrer la coexistence entre ces deux groupes linguistiques, on a jugé qu’il y en avait un meilleur que de l’autre. Il y a un lien avec la francophobie, car les déclarations du recteur ont donné une liberté de parole qu’on n’a jamais crue qui pouvait exister à l’Université d’Ottawa. Quand on a des collègues professeurs qui disent publiquement fucking frogs, ça ne marche pas qu’on puisse permettre cette prise de parole là… Il y a eu un manque de leadership en matière francophone et je suis très inquiète pour la suite de la francophonie à l’université », alerte Geneviève Tellier.
Il est aussi question du professeur Amir Attaran, dont les commentaires au printemps dernier envers les francophones et le Québec soulèvent l’ire tant de Justin Trudeau que de l’Assemblée nationale à Québec. Cette sortie de M. Attaran « fait subir à la minorité franco-ontarienne l’opprobre d’un membre éminent de la communauté universitaire », est-il écrit dans le texte.
« Le retournement inattendu replace aussi la communauté franco-ontarienne au cœur du débat qui a cours à l’Université autour de la protection des minorités, et que le recteur avait voulu centrer entièrement sur les populations noires, autochtones et racisées », poursuit-on.
Liberté académique
La professeure Lieutenant-Duval exprime dans un chapitre avoir eu des pensées suicidaires suite aux événements des derniers mois.
« J’aimerais que l’université offre des excuses à Verushka Lieutenant-Duval, qu’on donne des suites au rapport Bastarache et de manière plus large », souhaite le professeur Prévost.
« J’aimerais aussi que les collègues à travers le Canada et ailleurs prennent conscience que les choses peuvent basculer très rapidement du jour au lendemain. La liberté universitaire est extrêmement précieuse et fragile. Je n’aurais pas dit ça il y a un an, mais maintenant je le vois. »
L’ancienne chargée de cours écrit aussi que « d’enseigner dans l’établissement ottavien, en tant que francophone » lui donne l’impression d’être attendu avec « une brique et un fanal ».
« L’Université d’Ottawa est en train de se faire une très mauvaise réputation au Québec et peut-être même dans l’Ontario français et c’est déplorable, car c’est une institution aussi importante que Montfort et très fondamentale pour les Franco-Ontariens », déplore M. Prévost.
L’Université d’Ottawa étudie présentement la mise en application des recommandations du rapport Bastarache.