La Cour suprême du Canada. Archives ONFR

OTTAWA — La Cour suprême du Canada a annoncé jeudi qu’elle entendra la contestation judiciaire de la Loi sur la laïcité du Québec, plus communément appelée la Loi 21. Le jugement que rendra la Cour suprême aura un impact sur l’éducation en français hors du Québec, juge un expert constitutionnel, à tel point que le commissaire aux langues officielles souhaite intervenir dans la cause.

L’affaire sera donc entendue devant la plus haute juridiction au pays, à une date ultérieure. Il s’agit d’une contestation notamment menée par plusieurs groupes de la société québécoise, comme la Commission English-Montréal, l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) et le groupe de défense des anglo-québécois, Quebec Community Groups Network.

Cette législation adoptée en 2019 interdit le port de signes religieux pour les employés de l’État québécois en position d’autorité comme les juges, les policiers, les procureurs de la Couronne, les directeurs d’école et les enseignants.

Dans un premier jugement, la Cour supérieure du Québec avait maintenu la légalité de la Loi 21, mais avait exempté les commissions scolaires anglophones. Ce jugement statuait que la Loi sur la laïcité contrevenait à l’article 23 de la Charte des droits et libertés, qui protège le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité linguistique. L’exemption accordée aux écoles anglophones avait toutefois été renversée par la Cour d’appel du Québec dans un jugement de février 2024. 

C’est sur cette portion de cette affaire juridique que le commissaire aux langues officielles compte intervenir. Raymond Théberge indique que comme cette « cause a indéniablement des effets sur les écoles de la minorité au Québec », il compte se joindre à la contestation « en ce qui concerne le droit de gestion et de contrôle de la minorité anglophone de ses établissements et de son éducation ».

« Je l’ai répété à maintes reprises, l’éducation constitue l’outil le plus puissant d’une communauté pour assurer sa survie et l’épanouissement de sa langue et de sa culture. Comme mes prédécesseurs, j’ai saisi chaque occasion possible pour faire valoir des arguments novateurs devant la Cour suprême du Canada à l’égard du droit à l’éducation dans la langue de la minorité », soutient Raymond Théberge dans une déclaration écrite.

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Crédit image: Commissariat aux langues officielles du Canada
Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Crédit image : Commissariat aux langues officielles du Canada

Car cette décision aura un impact sur l’éducation en français hors du Québec, affirme l’expert en droit constitutionnel, François Larocque. Il explique que la première décision, rendue dans la cause de la Loi 21, faisait écho à l’arrêt Mahé en 1990, qui donnait le droit de pleine gestion des écoles de la langue minoritaire aux conseils scolaires.

« La question qui va monter à la Cour suprême est : Avec la Loi 21, en limitant le port de symboles religieux, le gouvernement peut-il forcer un conseil scolaire public anglophone sur l’embauche de son personnel? », explique le professeur de l’Université d’Ottawa et spécialiste en droits linguistiques.

Comme l’article 23 s’applique autant aux minorités francophones hors Québec qu’aux anglophones du Québec, la décision rendue aura un effet similaire, ajoute le professeur universitaire. Donc, « la Cour suprême va avoir la chance d’élaborer et de nous dire ce que l’Article 23 protège, au chapitre de la culture et de la langue », poursuit François Larocque.

« Est-ce que ça inclut également les pratiques d’embauche et le climat d’apprentissage que les écoles cherchent à mettre en place? Est-ce que ça inclut des dimensions qui ne sont pas directement liées à la langue, mais qui peuvent inclure et déborder sur des notions communautaires, des traits plus larges de la communauté en question? », lance l’expert des questions constitutionnelles.

Le professeur à l’Université d’Ottawa, François Larocque. Archives ONFR

Clause dérogatoire

L’une des contestations soulevées par les groupes dans la cause est l’utilisation de la clause dérogatoire de manière préventive, invoquée par le gouvernement Legault pour se prémunir de contestations judiciaires. Les groupes la jugent à l’encontre de la Charte des droits et libertés. Or, la cause dérogatoire ne peut pas s’appliquer à l’article 23 sur l’éducation dans la langue minoritaire, rappelle François Larocque.

En Ontario, le gouvernement Ford a utilisé cette clause en 2021 avec la Loi sur le financement en période électorale, qui avait pour but de limiter les dépenses publicitaires des tierces parties. Il l’avait aussi invoqué en 2018 pour réduire le nombre d’élus au conseil municipal de la Ville de Toronto.

Il l’avait aussi utilisée en 2022, mais pour une première fois, de manière préventive pour empêcher une grève du personnel dans le système éducatif, avant de la retirer de son projet de loi quelques jours plus tard. Le gouvernement Trudeau a déjà indiqué à plusieurs reprises que le gouvernement entendait intervenir dans la cause pour contester la Loi sur laïcité du Québec.