« Manque de volonté politique » sur la pénurie d’enseignants francophones
Dans une lettre conjointe adressée au ministre de l’Éducation, les représentants des enseignants et des conseils scolaires rappellent ce mardi le gouvernement ontarien à ses engagements en matière de lutte contre la pénurie de travailleurs qualifiés francophones dans les écoles. La controverse a aussitôt débordé à Queen’s Park.
L’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO) et l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC) exigent une « intervention immédiate » de la province dans le dossier de la pénurie de personnel enseignant qualifié.
Dans un courrier à l’attention du ministre Stephen Lecce, les trois organisations pointent un « manque de volonté politique » pour mettre rapidement en œuvre les 37 recommandations contenues dans le rapport du Groupe de travail sur la pénurie de personnel enseignant remis il y a deux ans.
Le ministère s’était à l’époque engagé à les considérer pour rétablir l’équilibre dans le système d’éducation en langue française, lançant dès le mois de juin suivant une stratégie provinciale en la matière. Mais ONFR+ révélait en début d’année qu’elle n’avait apporté que peu de résultats.
« Jusqu’à présent, le manque d’attention que le gouvernement a semblé porter à la pénurie, une situation frôlant la catastrophe pour le système scolaire de langue française, est difficile à expliquer », cosignent l’AEFO, l’ACÉPO et l’AFOCSC.
Le projet de loi 98 brouille les cartes
« Si rien n’est fait maintenant pour remédier au manque de main-d’œuvre qualifiée, la situation risque de s’aggraver à un point tel que le système d’éducation en langue française en Ontario pourrait ne plus être en mesure d’offrir une éducation équivalente à celle qui est offerte aux élèves de la majorité », avertissent les signataires.
Et de se montrer « perplexe » sur l’annonce de l’embauche de milliers d’enseignants spécialisés en mathématiques et en littératie, prévue par le projet de loi 98 : « D’où vont provenir toutes ces embauches? » questionnent les auteurs de la lettre commune. « Il en va de même pour les 45 millions de dollars non dépensés du montant total alloué à l’éducation au budget de l’Ontario 2022-2023, et qui pourraient certainement être considérés comme une source de financement pour contrer la pénurie. »
Les trois organisations appellent le ministre à l’action. « Il faut agir rapidement afin d’arrimer les programmes de formation à l’enseignement aux besoins du marché du travail, de favoriser l’insertion professionnelle et la rétention du nouveau personnel enseignant, de valoriser publiquement la profession enseignante ainsi que de promouvoir les opportunités d’emploi en éducation en langue française », lancent de concert les présidentes Anne Vinet-Roy (AEFO), Anne-Marie Gélineault (ACÉPO) et Johanne Lacombe, (AFOCSC). « Il ne manque que la volonté politique pour assurer des résultats concrets et rapides. »
Appliquer les recommandations « maintenant » exige l’opposition
Quelques heures après la publication de cette lettre, le député néo-démocrate et porte-parole de l’opposition officielle aux affaires francophones, Guy Bourgouin, a vivement interpellé le ministre Stephen Lecce en chambre.
« Le besoin est maintenant. Quand allez-vous mettre sur pied les recommandations du comité tel que promis en 2021? » a-t-il questionné, dénonçant une augmentation de 450 % du recours aux enseignants non qualifiés et l’absence d’institution postsecondaire capable de former des enseignants dans le Nord de l’Ontario depuis les déboires de l’Université Laurentienne en 2021.
« Nous avons demandé des éducateurs spécialisés certifiés francophones et augmenté de 50 % leur nombre », a contre-attaqué M. Lecce. « Nous avons mis en place les éléments importants et demandons que les nouveaux éducateurs soient mieux formés en mathématiques et en lecture. On veut 2 000 enseignants de plus pour que le système puisse se développer. »
« Deux ans, plus tard, aucune action n’a été mise sur pied et on attend toujours l’application de ces recommandations », a rétorqué M. Bourgouin, réitérant sa question initiale.
« Nous avons répondu avec un investissement de recrutement et de rétention des enseignants de français de 12,5 millions de dollars sur quatre ans pour amener en Ontario des enseignants francophones », a alors soutenu M. Lecce.
350 nouveaux enseignants en Ontario en 2022-2023
Joint par ONFR+, son ministère défend plusieurs avancées depuis 2018, à commencer par un financement de plus de 2 milliards de dollars pour les programmes de français langue première, mais aussi le lancement de nouveaux programmes de formation d’enseignants à l’Université d’Ottawa (EduTek) en 2022, ainsi qu’à l’Université de l’Ontario français (UOF) prévu pour 2023 (bac en éducation).
Les facultés d’éducation de langue française de l’Ontario ont diplômé près de 350 enseignants en 2022-2023, ajoute le bureau du ministre, précisant que la plupart sont actuellement à la disposition des conseils scolaires de langue française.
Campagne de promotion du métier, portail de recrutement, salons de l’emploi virtuels, incitatifs de perfectionnement, programme de mentorat pour les enseignants associés et d’apprentissage interculturel pour les nouveaux enseignants immigrants font partie des autres initiatives défendues par le ministre.
Un projet pilote en collaboration avec l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario permet par ailleurs à des enseignants nouvellement diplômés de France d’être embauchés en Ontario.
« De plus, nous avons récemment présenté un projet de loi qui, s’il est adopté, rationaliserait et raccourcirait les délais de certification par l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, et proposerait de nouveaux types de certificats favorisant une entrée plus efficace dans la profession, en reconnaissant par exemple l’expérience pertinente antérieure », ajoute le ministère.
Cet article a été mis à jour le mardi 9 mai à 20h15.