Pénurie d’enseignants francophones : de très minces résultats
Alors que la représentation des élèves francophones au sein du système scolaire ontarien s’est accentuée durant les dix dernières années, les écoles francophones ont plus que jamais du mal à recruter du personnel dans le sillage de la pénurie des enseignants que connaît la province. Ajoutez à cela les dégâts causés par la pandémie ainsi que les déconvenues financières durant la dernière année de l’un des principaux fournisseurs d’enseignants francophones, l’Université Laurentienne, et vous obtenez une situation pour le moins critique.
« Une intervention immédiate s’impose. Le gouvernement a en main des pistes d’actions concrètes depuis maintenant deux ans avec le rapport sur la pénurie, mais celles-ci sont mises de l’avant au compte-gouttes, malgré l’urgence de la situation », s’impatiente Anne Vinet-Roy, présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO).
Le ministère de l’Éducation affirme pourtant déjà agir pour tenter d’arrêter l’hémorragie. D’après sa porte-parole, Grace Lee, « l’Ontario a fait des progrès dans la mise en œuvre de projets de recrutement et de maintien en poste d’enseignants de langue française depuis le lancement de la stratégie quadriennale de la province en juin 2021 ».
Ainsi, le portail en ligne de recrutement géré par le Centre franco – et opérationnel depuis le 31 janvier dernier – a identifié près de 170 candidats potentiels à l’enseignement de langue française formés à l’étranger. En outre, plus de 40 enseignants formés à l’étranger ont été embauchés par les conseils scolaires de langue française à l’aide de ce portail, selon la porte-parole du ministère.
D’autres initiatives devraient porter leurs fruits à moyen terme, à l’image du soutien du ministère à l’Université de l’Ontario français (UOF) dans son nouveau programme de formation initiale à l’enseignement, lancé début janvier 2023. Ce programme ne permet toutefois de créer que 40 places pour former de nouveaux éducateurs francophones.
Quant au projet-pilote mis en place avec la France à travers le consulat général à Toronto, « il n’a généré qu’une dizaine de nouveaux enseignants », selon Ginette Plourde, experte en éducation. « Il est donc important d’accélérer le processus d’accréditation des nouveaux arrivants. »
Pénurie de chiffres à jour
La majorité de ces initiatives ont été financées par l’enveloppe de 2,2 millions de dollars accordée en 2020 par Patrimoine canadien, le ministère de l’Éducation de l’Ontario et le ministère des Collèges et Universités de l’Ontario pour financer des projets s’étalant entre 2020 et 2023, et ce afin de pallier la pénurie du personnel enseignant francophone et favoriser leur rétention en milieu scolaire.
Cette somme demeure toute relative devant l’allocation du ministère de l’Éducation pour aider les conseils scolaires de langue anglaise à offrir des programmes de français. Celle-ci devrait s’élever à 294,2 millions de dollars pour l’année scolaire 2022-2023, selon Mme Lee.
À défaut de chiffres plus récents, preuve qu’un suivi quantitatif n’est pas effectué chaque année scolaire, le ministère de l’Éducation, ainsi que les acteurs francophones contactés pour les besoins de cet article, s’appuient tous sur le rapport 2021 du groupe de travail sur la pénurie des enseignantes et enseignants dans le système d’éducation en langue française de l’Ontario.
Il en sort qu’il faut dénicher 520 enseignants francophones chaque année afin d’équilibrer l’offre et la demande en personnel enseignant certifié.
Néanmoins, il semblerait que l’AEFO a depuis revu cette estimation à la hausse. « Les besoins en main-d’œuvre des conseils scolaires de langue française sont d’environ 940 personnes par année alors qu’une moyenne de 450 nouvelles enseignantes et nouveaux enseignants est certifiée annuellement », rapporte sa présidente.
Le nombre d’enseignants non certifiés grimpe en flèche
Or, on n’a même pas encore comblé les 520 annoncés en 2021. « Nous n’avons pas atteint le chiffre de 520 nouveaux enseignants qualifiés annuellement. Le nombre croissant de lettres de permission temporaire le prouve », reconnaît Ginette Plourde, participante en tant que facilitatrice au groupe du travail sur la pénurie des enseignantes et enseignants dans le système d’éducation en langue française de l’Ontario.
En effet, à en croire Yves Lévesque, directeur général de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC), le nombre de lettres de permission intérimaire qui permettent à un enseignant non certifié d’exercer à augmenter de presque 400% en six ans.
« Aujourd’hui, nous estimons qu’il y en a plus de 1100, alors qu’en 2016-2017, il n’y en avait qu’environ 230, ce chiffre tient compte des deux systèmes d’éducation de langue française en Ontario », apprécie-t-il.
Et de conclure : « Notre compréhension est que le nombre de nouveaux enseignants n’a pas augmenté au cours des deux dernières années. Cela n’aide en rien à combler les besoins additionnels identifiés dans le rapport. » Pour rappel, environ 70 % des élèves francophones sont dans des écoles catholiques de langues françaises en Ontario.
Plus un problème de surcharge de travail que de salaire
Les enseignants de l’Ontario ont gagné plus de 94 000 $ en moyenne en 2021-2022, selon le ministère de l’Éducation, ce qui représente l’une des moyennes salariales les plus élevées du secteur dans le pays.
D’après les dernières données de Statistique Canada, le salaire statutaire annuel des enseignants des établissements publics en Ontario est de 100 925$ annuellement après dix ans d’expérience, soit le plus haut enregistré parmi toutes les provinces. À titre comparatif, ce chiffre baisse à 72 891$ pour le Québec.
De plus, avec environ 54 000 $ de salaire annuel en début de carrière, de toutes les provinces, l’Ontario est celle qui présente la plus grande augmentation de salaire après dix ans de services avec plus de 84% de hausse par rapport au salaire initial, contre 72 % à l’échelle nationale et 71 % chez la voisine québécoise.
Plus récent encore, d’après une mise à jour effectuée en novembre dernier par Guichet-Emplois, avec 47,74$ de l’heure, l’Ontario a le salaire médian le plus élevé des provinces concernant les enseignants au niveau secondaire.
Ce sont probablement ces constats qui permettent à M. Lévesque de dire avec confiance que « le métier d’enseignant n’est pas sous rémunéré. C’est un métier stimulant, gratifiant qui offre la possibilité de former les citoyens et nos communautés de demain. Cependant, certaines mesures pourraient être mises en place pour favoriser l’établissement, l’encadrement et le développement des enseignants dans leurs premières années de travail ».
Donc, a priori, ce n’est guère le salaire qui rend ce métier peu attractif, mais bel et bien la pénibilité de son exécution due, en partie, à la conjoncture post-pandémique.
« La charge de travail a augmenté et s’est complexifiée au cours des années. La lourdeur de la tâche d’enseignement en milieu minoritaire jumelée au manque d’appui du système envers les nouveaux enseignants poussent plusieurs personnes à quitter la profession », constate Mme Plourde.
De plus, « les besoins des élèves sont de plus en plus complexes et les ressources professionnelles en français telles que la psychologue, l’orthophoniste, l’ergothérapeute… sont trop souvent difficilement accessibles, laissant le personnel enseignant seul devant des élèves ayant plus que jamais besoin d’appui additionnel », comme l’explique la présidente de l’AEFO.
Deux fois plus d’enseignants qui quittent la profession chez les francophones
L’une des conséquences directes de cette surcharge de travail est l’abandon de la profession. En effet, à en croire l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario dans son rapport Transition à l’enseignement 2021, 30 % des personnes diplômées d’un programme de formation à l’enseignement en français n’avaient pas renouvelé leur permis d’enseigner après cinq ans. »
Or, et c’est bien là où le bât blesse : cette proportion n’est que de 17 % du côté anglophone, autrement dit, les enseignants francophones sont environ, toute proportion gardée, deux fois plus susceptibles de quitter l’enseignement au début de leur carrière que leurs homologues anglophones. La question de rétention du nouveau personnel enseignant se pose donc d’elle-même.
« Le nombre d’enseignants qui quittent la profession au cours des cinq premières années d’emploi est de plus en plus important et contribue à accentuer la pénurie. Des actions à long terme et mesures concrètes doivent être rapidement mises en place pour renverser la tendance », prévient Mme Plourde.