Mathieu Fleury : futur maire d’Ottawa un jour?

Fleury
Mathieu Fleury est le gagnant du prix Bernard Grandmaître. Crédit image: Archive ONFR+

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

OTTAWA – Après douze ans en politique municipale, Mathieu Fleury s’est retiré en 2022. Fier Franco-Ontarien, il a souvent été considéré comme un allié de la communauté francophone à Ottawa. Il continue de soutenir plusieurs combats, comme ceux des résidents du quartier Rideau-Vanier, dans l’ombre, en attendant un potentiel retour à la politique. Pourquoi ne pas devenir le maire de la capitale fédérale un jour?

« Vous avez gagné le Prix Bernard Grandmaître en février dernier, c’est un prix de prestige, comment avez-vous reçu la nouvelle?

Je ne suis pas quelqu’un qui a reçu beaucoup de prix alors le Prix Bernard Grandmaître, c’est immense. Par mon jeune âge – et c’est correct parce que j’ai beaucoup de choses à accomplir encore, mais par instinct-, les gens ne pensent pas à Mathieu Fleury. Je n’ai pas une carrière d’accomplissements, même si je peux en compter quelques-uns.

Vous avez quand même été le plus jeune conseiller élu en 2010, quel souvenir en gardez-vous?  

Oui, à l’époque de la campagne électorale, j’avais 24 ans. La journée de l’élection, j’avais 25 ans. Le fait que je gagne cette campagne, la première fois, c’était surprenant parce que l’élu de l’époque était quand même soutenu par la machine libérale. Mes opposants avaient fait des dizaines de campagnes dans la circonscription, autant au fédéral qu’au provincial. Puis là, moi, j’y arrivais, puis c’était pas mal une surprise au final.

Mathieu Fleury avait 24 ans lorsqu’il s’est présenté pour être conseiller de son quartier. Gracieuseté

J’avais cogné à 22 000 portes avec dix amis. C’est du temps, c’est beaucoup de rencontres et de cafés. C’est beaucoup d’écoute aussi et beaucoup d’apprentissages. Puis quand on y est, ce n’est pas quelque chose où on se lève le matin et on se dit « on est un conseiller, tout va bien aller ». 

Quels étaient les défis que vous pouviez avoir comme conseiller du quartier Rideau-Vanier?

Un des gros enjeux de mon quartier, c’était et c’est toujours le logement abordable. Il faut aussi identifier nos priorités. Il y a beaucoup de choses qu’on ne planifie pas. Il y a plusieurs vulnérabilités. Mon quartier, c’était la communauté avec le plus faible taux de revenus, où il y a la zone historique du Marché By, où il y a la quatrième plus grande université au pays avec l’Université d’Ottawa, et à ça s’ajoute le reste. Une zone où il y a de gros événements, la Saint-Patrick, la fête du Canada, etc.

Certains quartiers à Ottawa sont plutôt dormants, donc les élus ont beaucoup plus de chances d’identifier leurs priorités, puis de se dédier corps et âme à faire avancer des projets. Tandis que moi, je faisais avancer mes priorités au même moment que plusieurs incidents : fusillades, feux, etc. On est moins dans la planification et plus dans l’exécution.

Il a souvent été mention de vous comme l’allié des francophones à la Ville. Étiez-vous seul dans votre combat pour la francophonie au conseil municipal?

C’est toute une question. On n’est pas seul comme élu parce qu’on a toutes les organisations francophones qui sont vivantes. Ce que les médias francophones font, l’Université d’Ottawa, La Cité, les conseils scolaires… mais à la table politique, il y a des jeux qui se sont joués. Le maire qui crée un caucus francophone… Ça a été une perte de temps pour moi. Il y avait des élus francophones et je ne leur enlève rien. Mais dans notre génération, on est prêt au changement, on est prêt à bouleverser un petit peu le modèle. Donc, c’est sûr que je me sentais seul dans cette ambition. Je ne me sentais pas seul comme francophone. Mais pour certains élus, c’était suffisant, c’était acceptable.

La Ville d’Ottawa, au niveau de sa politique des services en français, c’est la même politique qui était en place en 2001. Mais en 2001, on était une société différente, on était une communauté différente.

Comment vous êtes-vous senti à la Commission Rouleau, quand il y a eu cet incident sur l’usage du français?  

Comme francophone, mais parfaitement bilingue, je répondais aux questions dans la langue qu’elles m’étaient posées. Mais l’avocat du Convoi a commencé à jouer sur mes mots, sur la définition d’un des mots que j’ai utilisé en anglais, le mot : microaggression, qui, pour nous francophones, a une signification différente. Lui a joué sur ça. Puis, je me suis senti un petit peu attaqué dans mes efforts pour lui répondre et je suis donc allé à ma langue maternelle pour m’expliquer. Ça a fait un tollé, parce qu’il pensait peut-être que je jouais à un jeu. Mais je n’ai pas essayé d’esquiver.

Puis ça a soulevé une belle question : « Est-ce qu’en tant que francophone, on était capable d’aller à la Commission Rouleau et communiquer en français? » 

Mathieu Fleury et Catherine McKenney durant l’audience publique de la Commission rouleau/ Capture d’écran

Selon vous, est-ce que le bilinguisme à Ottawa, c’est juste un rêve où nous avons raison d’y croire? 

Je vais commencer avec le point positif. En 2017, les gens qui habitaient à Ottawa, qui avait moins de 50 ans, étaient extrêmement favorables au bilinguisme. Ils envoyaient leurs jeunes en immersion ou eux-mêmes étaient bilingues. Six ans plus tard, on a une immigration francophone encore plus accrue. Donc la capacité ou la volonté de devenir bilingue, puis de vivre dans cette belle diversité là, moi, je la vis. 

J’y crois dans ce bilinguisme-là. Mais les élus sont extrêmement conservateurs. Il y a plusieurs choses qu’on pourrait faire, dont une révision de la politique des services en français avec un engagement citoyen. Je pense vraiment qu’il y a une opportunité maintenant. Donc, le résident de la France, de la Belgique, de l’Afrique francophone, même du Québec qui vient dans la capitale, qui rentre dans un restaurant, il devrait avoir un service en français.

Madeleine Meilleur est une mentore pour l’ancien conseiller. Gracieuseté

Je vais être plus critique en terminant. Le gouvernement fédéral donne de l’argent pour qu’Ottawa devienne plus bilingue. Je ne crois pas que donner plus d’argent à la francophonie va permettre aux anglophones de devenir plus francophones. Il faut financer le bilinguisme auprès des anglophones et permettre aux francophones de s’épanouir. 

Durant votre carrière de conseiller, quels dossiers vous ont le plus intéressés? 

Il y a beaucoup de dossiers pour lesquels j’ai développé une affinité, pour lesquels ce n’était pas intuitif. J’ai développé un intérêt, puis une connaissance approfondie au niveau des enjeux de logement. J’ai siégé au conseil d’administration de Logement communautaire d’Ottawa pendant huit ans. Le logement public, ça a une réputation d’être du logement insalubre, dangereux des fois, puis nous, on a complètement transformé ça. En bâtissant à neuf, en augmentant la densité, en appuyant les locataires aussi. Ça, c’est quelque chose dont je suis le plus fier.

M. Fleury, d’autres conseillers, la gouverneure générale Mary Simon et d’autres personnes durant l’inauguration du parc Annie Pootoogook. Gracieuseté

Puis, il y a le loisir aussi. J’ai développé avec la communauté trois parcs importants. Et enfin, je dirais le transport, le quotidien des gens dans la communauté.

Avant ce moment décisif de votre carrière, quelles étaient vos ambitions?

Quand je suis devenu conseiller, je terminais l’université, mais avant ça, je pensais toujours aller travailler dans le sport à l’international.

D’ailleurs, ma maîtrise était sur l’impact économique des Jeux olympiques sur les villes. J’ai essayé de comprendre, par les investissements d’un gros événement sportif, comment on peut transformer les villes. Ce lien-là à un lien très direct avec mes intentions en politique municipale, je dirais. Avant ça, j’avais l’intention de devenir médecin.

Pouvez-vous nous dire une chose qu’on ne sait pas de vous?

Je suis probablement mon plus gros critique. C’est une de mes forces, mais c’est une de mes faiblesses aussi. Je suis pas mal accessible. Je suis plutôt honnête sur les difficultés qu’on a eues. Sinon, je ne suis pas du tout un bon cuisinier (rires). J’aime la bonne bouffe, mais je n’ai pas d’intérêt dans la cuisine. Par contre, je n’ai pas peur de faire le nettoyage.

Quel est l’homme ou la femme politique qui vous a le plus inspiré?

Je dirais Jim Watson et Madeleine Meilleur.

Jim Watson m’a appris la politique. Pour des raisons connues, en 2017, on est vraiment partis dans différents chemins. Au niveau de la machine politique, ça, je l’ai appris avec Madeleine Meilleur. Quand je dois prendre de grosses décisions, comme quitter la politique, c’est quelqu’un que je vais consulter régulièrement.

L’ancien maire Jim Watson a été un bon mentor politique pour Mathieu Fleury. Gracieuseté

Quel est votre plus gros échec?

Mon plus gros échec, je crois que c’est l’enjeu de l’Armée du Salut. Est-ce qu’il y a trop de concentration de refuges dans le Marché By? Oui, je suis d’accord avec ça. Est-ce que le modèle pour résoudre ça, c’est de bâtir des refuges ailleurs? Non. Je trouve que personnellement, j’ai failli parce qu’on n’a pas été capable de bloquer le projet sur le Chemin de Montréal. Mais à travers toutes les discussions, les consultations publiques organisées, la mobilisation citoyenne, l’Armée du Salut va peut-être un jour voir vie sur le Chemin de Montréal. Pourtant, moi, j’en ai des cheveux blancs, tellement je me suis battu contre le dossier. 

Et votre plus grand succès?

Mon grand succès, je dirais que c’était de refaire les parcs, refaire le Chemin de Montréal, la rue Rideau. C’est un legs pour moi d’avoir eu l’occasion de la refaire. L’aménagement urbain du Marché By, la Nouvelle Scène, la Galerie d’art d’Ottawa, la rénovation de la Cour des arts. 

Peut-être en fait que c’est la transformation du logement communautaire. En fait, je ne sais pas. 

Finalement, est-ce que la vie politique, c’est terminé pour Mathieu Fleury?

Non, non, non. C’est une pause. Je voulais me séparer des enjeux que je connaissais trop bien, je dirais. Puis, j’ai reconnu les limites d’un élu conseiller municipal. J’avais des ambitions lors de la dernière élection, je pensais me présenter à la mairie. Pour des raisons personnelles, j’ai pris un recul.

C’est une opportunité pour moi de rester impliqué comme citoyen, d’aider différemment la communauté. Si mon cheminement de carrière fait que je reviens en politique, j’aimerais être maire un jour de notre belle capitale. Il n’y a pas de maire jeune, il n’y a pas de maire francophone. » 


LES DATES-CLÉS DE MARTHIEU FLEURY :

1985 : Naissance à Ottawa

2010 : Devient le plus jeune conseiller municipal élu

2018 : Réélu pour un troisième mandat de suite dans Rideau-Vanier

2022 : Prend une pause dans la politique municipale en se représentant pas

2023 : Récipiendaire du Prix Bernard Grandmaître

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.