Le chroniqueur Soufiane Chakkouche raconte comment son roman Zahra a été refusé dans son pays natal, pour finalement connaître le succès au Canada. Photo: Canva

Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.

Que les lectrices et les lecteurs ne se méprennent pas, la titraille de la présente chronique n’est nullement une promotion travestie de l’un de mes romans! Non, non, ce n’est pas le style de la maison. Si j’ai choisi de vous parler de Zahra (Rose!), c’est parce qu’au-delà de l’œuvre, c’est toute une leçon de vie qui découle de la trajectoire de ce livre, celle de ne jamais abandonner ses rêves, quitte à s’exiler avec. Et puis, on raconte souvent les histoires des hommes, et rarement celle des livres, et pourtant…

À vrai écrire, la substance de cette chronique n’était pas mijotée à l’avance. C’est en lisant un portrait récent de votre serviteur sur l’un des médias francophones les plus lus au pays du soleil couchant que j’ai eu l’idée, d’une manière aussi automatique que la signature d’un document administratif, de coucher sur écran mon état d’âme, avant d’aller me blottir dans les bras de Morphée.   

Et pour cause, les mots de cette journaliste marocaine, très professionnelle, soit écrit en passant, m’ont fait prendre conscience de tout le chemin parcouru, et d’à quel point je peux être une vraie tête de mule à long terme. L’effet avait surgi dès la lecture du titre : Soufiane Chakkouche, l’auteur qui a migré pour éditer un roman.

Il est vrai que, contrairement au mien, l’intitulé est aguicheur et donne bien une idée sur ce qui va suivre dans le corps du texte. Néanmoins, texte sans contexte est texte borgne, car à mon goût, il y a, tapi là, entre les mots, un enseignement de valeur, voire de vie.  

Pas bonne, la petite bonne

Pour la faire courte, j’ai écrit Zahra il y a neuf ans de cela, après avoir publié deux romans policiers : l’un au Maroc, où je vivais à l’époque, et l’autre en France.

Confiant en ce petit historique littéraire, je pris mon manuscrit sous l’aisselle, le tout sous un soleil de Casablanca anormalement ardent pour ce début juin, et je toquai, une à une, aux portes des éditeurs locaux avec pignon sur rue. Taux de fin de non-recevoir : 100%. Aucune maison d’édition ne jugea mon histoire de petite bonne assez bonne pour la publier. Même sort chez les plus écolos, celles qui acceptent les manuscrits par courriel plutôt que sur papier.

Des projets achevés agonisant sous la poussière dans des tiroirs, faute de sous et/ou de soutien, comme tout artiste qui se respecte ou pas, j’en ai eu et j’en ai encore. Mais pas celui-là, parce que je l’avais écrit avec les tripes, ou plutôt en trempant ma plume dans ce qu’il y avait dans ces dernières! 

Le roman Zahra a finalement connu le succès une fois arrivé au Canada. Photo : Soufiane Chakkouche

Alors, je défouraillai mon courage et fourrai le dernier manuscrit papier qui me restait dans mon bagage, puis je pris les airs, direction Toronto. Certes, Zahra n’est pas l’unique raison pour laquelle j’avais quitté ma terre, mon soleil et les miens, mais c’en est la meilleure, au regard de ce qui allait suivre.  

Et ce qui suivit fut bon : Zahra trouva rapidement preneur au Canada et fut publié dans la foulée en 2021, avec à la clé, la même année, une mention spéciale du jury du prix Champlain et deux places de finaliste aux prix Alain-Thomas et Trillium.   

Ironie du sort

Quatre ans plus tard, me voilà invité pour la deuxième fois dans mon pays natal, et en grande pompe, pour parler de ce même livre dix fois refusé sur cette même terre quelques années plus tôt. « Les Occidentaux appellent cela : l’ironie du sort, les musulmans : le mektoub (ce qui est écrit. » (Zahra p.9).  

Délicieuse petite revanche de bonne guerre. In fine, je suis une tête de mule doublée d’un caractère rancunier. C’est dans de telles prises de conscience que je me rends compte à quel point je peux être insupportable pour mes proches, et je me fais tout petit, pendant un moment.

Mais ne crachons pas dans la soupe du chef. L’accueil réservé en février dernier par les organisateurs du Festival du livre africain de Marrakech à la quarantaine d’auteur(e)s convié(e)s dont je faisais partie, ainsi que la qualité de l’évènement sur le plan intellectuel, ont résonné dans ma boîte crânienne d’abord, puis dans mon cœur, comme une réconciliation.  

Cela écrit, il convient de boucler la boucle et d’éviter la méprise à nouveau. La moralité sans prétention de cette histoire ne réside guère dans le simple état d’âme de ma petite personne, car comme jadis sur parchemin, le chemin de ce livre est nettement plus intéressant. Au fond, il enseigne une chose : n’abandonnons jamais nos rêves quand on a une bonne raison d’y croire, et surtout, ne les limitons point dans l’espace.

À bon entendeur, Salamoualikoum (que la paix soit sur vous). 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.