Une nouvelle Loi sur les langues officielles « qui va plus loin », propose le fédéral
OTTAWA – Le gouvernement Trudeau a déposé mardi sa nouvelle version de la Loi sur les langues officielles, donnant plus de pouvoir au commissaire aux langues officielles pour qu’il donne des amendes financières aux mauvais joueurs comme Air Canada. Le fédéral modifie aussi sa loi pour donner un plus grand rôle au Conseil du trésor en plus de changer sa loi concernant la langue de travail dans les milieux à haute densité de francophones à l’extérieure du Québec.
Le projet de loi C-13 déposé en chambre ce mardi matin par la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor s’inspire du projet de loi C-32 de sa prédécesseure Mélanie Joly, déposé en juin. La nouvelle ministre y apporte quelques modifications, soutenant que la nouvelle version « va encore plus loin ».
Le premier gros ajout est celui du nouveau pouvoir donné au commissaire. Raymond Théberge pourra sanctionner seulement les entreprises de transport qui offrent et communiquent des services aux voyageurs, comme Air Canada et VIA Rail. Une amende allant jusqu’à 25 000$ par infraction sera possible.
« Les sanctions pécuniaires administratives sont un outil qui a été ajouté au coffre d’outils. Mais il y a beaucoup d’autres outils qui ont été ajoutés, comme le pouvoir de médiation et d’ordonnance et la liste continue. Le commissaire aux langues officielles nous a demandé des outils additionnels et c’est exactement ce que nous allons faire pour l’aider à faire son travail », a dit Mme Petitpas Taylor.
Le fédéral n’a toutefois pas mis de critères en place pour obliger une certaine connaissance du français pour les hauts dirigeants de ces entreprises, après la saga Michael Rousseau chez Air Canada.
Le Conseil du trésor sort de ce libellé avec de nouvelles responsabilités. Le ministère de Mona Fortier voit ses pouvoirs être améliorés alors qu’il sera chargé de « l’élaboration et de la coordination générale de certaines parties de la Loi ». Comparativement à C-32, le Conseil du trésor devra obligatoirement appliquer et surveiller l’élaboration de la Loi. Il ne sera toutefois pas le seul en charge, puisque Patrimoine canadien aura toujours le rôle de coordonner la loi.
« La mise en œuvre du projet de loi va être faite par une agence centrale qui va être le Conseil du Trésor. Nous avons concrétisé le rôle du Conseil du trésor pour nous assurer le rôle de la mise en œuvre. Le rôle du Conseil du trésor est réellement d’agir en tant qu’agence centrale », a expliqué la ministre.
Le projet de loi de Mme Petitpas Taylor n’inclut toutefois pas la partie concernant l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Le tout fera partie d’un autre décret. Deux ans après son entrée en vigueur au Québec, le décret sera appliqué dans les régions à haute densité francophone hors du Québec. Ginette Petitpas Taylor dit vouloir prendre le temps nécessaire pour en déterminer les particularités.
« Pour nous, toute la question de définir c’est quoi une région à forte présence francophone, ça va être vraiment clé pour les autres régions du pays alors c’est pour cette raison qu’on veut faire un travail de consultations avec les Canadiens. Je veux m’assurer que les francophones vont avoir plus de droits pour travailler et se faire servir en français, non seulement au Québec, mais aussi dans les régions à forte présence francophone. »
Des cibles pour l’immigration francophone
Le nouveau projet de loi renforce les obligations dans le domaine immigratoire alors que la politique comprend l’ajout de cibles et d’indicateurs pour l’immigration francophone.
En lien avec une récente décision de la Cour d’appel fédérale dans le dossier des francophones en Colombie-Britannique, C-13 apporte un autre changement en renforçant les mesures dites positives que doivent prendre les entités fédérales.
« On précise dans le texte de loi que les mesures doivent être concrètes et avoir un effet favorable. Que les institutions fédérales doivent les considérer dans tous les volets de leur mandat et qu’elles doivent aussi considérer les impacts négatifs de leurs décisions et considérer les options pour atténuer les impacts négatifs. Finalement, on doit fonder l’établissement des mesures positives en consultant les différents intervenants impliqués », ont expliqué de hauts fonctionnaires du gouvernement en séance technique.
Après que la pandémie a mis à mal la communication en français dans certaines entités fédérales, C-13 ajoute la notion que « les obligations juridiques relatives aux langues officielles s’appliquent en tout temps, notamment lors de situations d’urgence ».
On retrouve aussi dans C-13 plusieurs parties qui étaient dans la loi déposée en juin dernier :
- La reconnaissance du français comme seule langue officielle au Québec,
- la spécificité bilingue du Nouveau-Brunswick,
- Le fait que le français « est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais »,
- Le bilinguisme des juges à la Cour suprême.
Les oppositions restent sur leur faim
Pour l’opposition officielle, on salue son dépôt, mais le contenu de la version présentée par la ministre Petitpas Taylor « manque de dents ». Le porte-parole aux Langues officielles Joël Godin dénonce le manque de pouvoirs donnés au commissaire aux langues officielles et le fait que le Conseil du trésor ne soit pas la seule agence désignée pour mettre en application la Loi.
« Si demain matin, la loi est mise en application, le déclin de la langue française continue au Canada… Elle (la ministre) a ajusté son projet de loi sur C-32, je ne dirais pas qu’il va plus loin. Il n’y a pas de pouvoir centralisé et de mesures de contrôles, il n’y a pas d’obligations de résultats », dénonce le politicien conservateur.
S’il donne plus de temps au caucus conservateur avant de statuer sur la position à prendre, le député conservateur voit mal comment certaines mesures comme celui sur les sanctions pécuniaires accordées au commissaire pourront tenir la route.
« Ce n’est pas sérieux comme démarche. En plus, on limite les secteurs d’activités du commissaire. Il est là pour protéger les langues officielles ou il est là pour protéger certaines parties? C’est très évasif. Il manque d’outils pour avoir des résultats. »
Au NPD, il doit y avoir des modifications avant de donner le feu vert à ce projet de loi, notamment l’inclusion de clauses linguistiques, avance la porte-parole aux Langues officielles Niki Ashton.
« Le fait que le projet de loi ne fait pas référence à l’obligation d’inclure des clauses linguistiques dans les ententes de transferts des programmes provinciaux et territoriaux est un problème… On reconnaît que c’est un pas dans la bonne direction, mais on n’attend pas une génération pour faire un pas seulement », affirme-t-elle, en référence à 1969, dernière année à laquelle la Loi sur les langues officielles a été changée.
Idem pour le Bloc Québécois, il n’y aura pas soutien au projet de loi, tranche le porte-étendard aux Langues officielles Mario Beaulieu. Il demande que la partie sur les entreprises privées de charte fédérale au Québec soit modifiée pour que seule la Charte de la langue française s’applique dans la Belle Province.
« Les seuls qui s’entêtent à refuser, ce sont les libéraux. Ils en ont fait un projet de loi à part, mais c’est pas plus acceptable, c’est plus insultant qu’autre chose. Le projet de loi est inacceptable dans l’état actuel des choses », déplore le député de La Pointe-de-l’Île.