Nina Kucheran referme son chapitre natation
[LA RENCONTRE D’ONFR]
TALLAHASSEE (FLORIDE) – Trois semaines après avoir annoncé la fin de sa carrière en natation de haut niveau, Nina Kucheran revient sur son choix. Elle se confie sur les difficultés de combiner travail et sport de haut niveau et sur sa décision de poursuivre ses études de médecine en français au Canada. La Sudburoise se remémore avec émotion les différentes étapes de son parcours dans la natation, de Sudbury à l’Université d’État de Floride, en passant par la sélection nationale Canadienne, qui l’a fait voyager aux quatre coins du monde.
« Trois semaines après l’arrêt de votre carrière, qu’est-ce qui vous manque le plus et qu’est-ce qui vous manque moins dans le fait d’être une athlète de haut niveau?
Ce qui me manque vraiment c’est d’être avec mes amis tous les jours, et dont j’ai pu profiter en faisant de la natation. Chaque jour à l’entraînement, tu vois tes coéquipiers, tes amis.
À l’inverse, ce que j’apprécie beaucoup maintenant, c’est de pouvoir faire de l’exercice qui me fait me sentir bien. Parce que quand tu t’entraînes cinq à sept heures par jour, tu ne le fais pas pour ton bien-être, mais pour la compétition. Aujourd’hui, j’aime aller faire une marche ou des cours de pilates.
Est-ce que vous avez quand-même gardé des réflexes de sportive de haut niveau?
Oui en effet. Il y a certains jours où je me dis que je n’en ai pas fait assez, parce que je compare ça à mes cinq heures par jour d’avant. Il faut juste que je change la façon dont mon cerveau fonctionne en me disant qu’une heure et demie d’exercice c’est bon pour moi et c’est suffisant.
Par rapport à la décision de prendre votre retraite, quand avez-vous commencé à y songer?
J’ai fait mes essais olympiques pour la seconde fois en 2021 et je voulais me donner une autre chance. J’ai terminé mon école en 2023 en me laissant une année pour voir. Quand j’ai vu que je ne parvenais pas à intégrer l’équipe nationale l’année dernière, je me suis rendue compte que ça allait être compliqué, car j’avais besoin de travailler en même temps.
En bref, je souhaitais me laisser encore du temps mais l’idée était tout de même, dès 2021, de prendre ma retraite après les essais ou après les Olympiques, si j’avais réussi à me qualifier. La chance que j’ai eue, c’est de pouvoir choisir quand arrêter. Je suis chanceuse car beaucoup d’athlètes ne savent pas quand c’est leur dernière course.
Pouvez-vous nous parler de la difficulté d’être dans un sport où seuls les top athlètes arrivent à être rémunérés par les sponsors ou les fédérations, alors que les autres doivent travailler dès la sortie de leurs études et combiner travail et entraînement?
Oui, évidemment les meilleurs qui font régulièrement partie de l’équipe nationale ont la chance d’avoir des rémunérations. Ça leur rend la vie plus facile. En revanche, lorsque vous êtes juste en dessous de ce niveau-là et que vous essayez de rentrer dans l’équipe nationale, c’est extrêmement difficile. J’étais la seule professionnelle dans mon équipe qui avait besoin de travailler, sans repos possible. Après tes pratiques, tu dois aller travailler pour faire rentrer de l’argent.
Je pense que c’est un des facteurs majeurs qui, cette année, m’a fait prendre ma retraite, parce que j’étais juste fatiguée. Maintenant, je peux prendre du repos et me concentrer sur mon prochain chapitre.
Est-ce qu’en étant dans cette situation vous avez remarqué que vos performances en ont pâti?
Absolument. J’ai voulu me donner la chance d’essayer cette année, mais je me suis rendue compte que même en donnant mon meilleur, mon meilleur n’était pas au même niveau que les années passées. J’ai réussi à être en paix avec ça et à me dire que c’est la vie. Les choses changent.
Revenons sur votre carrière et au commencement. Comment était la jeune Nina Kucheran qui a grandi du côté de Sudbury?
J’ai adoré mon adolescence. C’était certainement différent de ma vie actuelle en Floride. J’ai beaucoup aimé mon premier entraîneur, Dean Henzel, qui m’a coachée de l’âge de 12 ans jusqu’à mes 18 ans. J’avais une très bonne relation avec lui. C’est la première personne qui m’a appris à me pousser, à avoir confiance en moi et à m’investir dans le sport.
Quelle était la part du français dans votre famille?
Avec la famille du côté de mon père, c’était toujours en français, et, avec ma mère, en anglais. Mais j’ai fait toute ma scolarité en français. Dans le secondaire, j’étais au collège Notre-Dame. J’ai donc fait mon école en français jusqu’à ce que je parte en Floride, qui a fait place à l’anglais. Puis, maintenant, je vais retourner à l’école de médecine en français à Ottawa.
Est-ce que vous vous êtes rapidement rendue compte que vous aviez un très bon niveau en natation et que vous pouviez envisager de faire ce sport à haut niveau?
J’ai fait ma première compétition provinciale à l’âge de 10 ans et ma première compétition nationale à l’âge de 12 ans, donc, oui, je m’en suis rendue compte dès le plus jeune âge. Je passais déjà beaucoup de temps à nager.
Quel a été le moment du début de votre carrière où vous vous êtes dit : « là je suis vraiment forte et je peux rivaliser avec les meilleures »?
C’était en décembre 2014 durant une compétition à Toronto qui s’appelle Ontario Junior International. Je n’étais pas censée faire les finales, j’étais juste là pour l’expérience, mais je les ai atteintes. C’était la première fois que je me suis dit que j’étais avec les meilleures juniors du pays, que je pouvais peut-être avoir une bourse et que le sport pouvait m’emmener loin.
Quel souvenir avez-vous de votre première compétition?
J’ai un souvenir particulier. Je ne sais pas si c’était ma première compétition, mais c’était en tout cas l’une des mes premières. Je participais à un relais et j’étais tellement excitée de faire mon départ et de faire ma part du relais que je suis partie en oubliant de mettre mes lunettes. J’ai fait toute la nage avec mes lunettes sur le front. J’étais vraiment embarrassée après ça…
Qu’est-ce que vous retenez de vos années au club de natation de Sudbury?
Ce que je retiens c’est qu’au club avec ma meilleure amie Abby McDonald, avec qui je suis toujours très proche, on était tellement fières de représenter Sudbury dans les compétitions. Il y avait toujours énormément de monde venant des grosses équipes de Toronto et nous étions seulement cinq ou six à représenter notre club dans les compétitions provinciales et nationales. J’ai aussi le souvenir de ma mère qui nous accompagnait et nous encadrait. On allait toujours dans des grands Airbnb avec elle et mes coéquipiers.
Un de mes moments préférés, c’était lors de ma dernière année du secondaire. Nous sommes allés en Espagne pour un camp d’entraînement avec ma meilleure amie, mes coéquipiers et ma mère. C’était la première fois qu’elle sortait du Canada. On y a passé deux semaines. Les entraînements étaient super difficiles, mais on a développé ce sens de travailler ensemble.
Après Sudbury, vous avez fait le grand saut aux États-Unis à l’Université d’État de Floride. Comment s’est passé votre recrutement?
Lors de ma onzième année d’étude, j’ai décidé que je voulais aller aux États-Unis en essayant d’avoir une bourse pour financer mon école. J’ai envoyé quelques 40 courriels pour postuler dans les universités, puis j’ai eu des rencontres avec les entraîneurs pour voir qui me correspondait le mieux. J’ai vraiment adoré l’entraîneur, l’équipe et évidemment le soleil de Floride. Finalement, ils m’ont donné une bourse et c’est comme ça que je me suis engagée.
Quels ont été les moments marquants de votre passage à l’Université d’État de Floride, où vous avez connu d’excellents résultats collectifs et individuels?
C’était la première fois que j’expérimentais une toute nouvelle façon de nager. C’était beaucoup de plaisir de voir que j’améliorais mes temps à chaque fois. Ce que je retiens également, ce sont tous les gens incroyables que j’ai rencontrés. J’ai des amis dans chaque coin du monde parce que l’équipe était tellement internationale. Faire partie d’une grosse équipe, c’est quelque chose que je n’avais pas eu avant. On était une quarantaine d’athlètes avec tous le même but de bien faire, d’être compétitifs. On a voyagé à travers les États-Unis pour les compétitions, c’était vraiment très enrichissant.
Au final, est-ce que ce sont les rencontres et les amitiés que vous avez nouées qui comptent le plus ou les performances?
Je dirais que les deux vont ensemble. Si tu es juste là pour te faire des amis et avoir une vie sociale, cela n’a pas le même sens que si tu te lances vraiment avec des personnes dans quelque chose. La première année, j’ai battu des records de l’école et j’ai eu une médaille d’argent au 200 m brasse aux Championnats ACC. Mais c’est sûr que de travailler avec des coéquipiers pour quelque chose qui va au-delà de ta personne, il n’y a pas de meilleure sensation.
Vous avez eu aussi l’occasion de faire partie de l’équipe nationale, quels sont vos meilleurs souvenirs?
Les Championnats pan-pacifiques junior étaient ma première compétition. Le sentiment de pouvoir représenter son pays, cette fierté, c’est plus gros que soi-même. J’ai vraiment été performante lors de cette compétition avec deux médailles d’argent dont une sur le relais. Le relais, c’est le souvenir qui me marque le plus car c’est toi et trois autres personnes qui accomplissent quelque chose ensemble.
Mon deuxième grand souvenir, ce sont les Jeux universitaires mondiaux pour lesquels on a remporté la seule médaille canadienne de la compétition avec le bronze sur le relais. C’était extraordinaire. J’adore le Canada, je suis super fière d’être canadienne. Être capable de dire que j’ai représenté mon pays, c’est spécial.
Parlons avenir pour finir. Vous revenez au Canada pour poursuivre vos études en médecine à Ottawa. Quel est votre état d’esprit par rapport à ce retour au pays?
Je suis vraiment très excitée et notamment de retrouver une communauté francophone. Cela m’avait quand même manqué en Floride. J’ai hâte de déménager au Canada et d’être à Ottawa que j’adore. C’est une grosse ville avec beaucoup de choses à faire, mais aussi avec de la nature et des beaux paysages. C’est important car je suis une personne qui aime faire des choses en extérieur. Je suis aussi impatiente parce qu’au-delà de la natation, mon rêve a toujours été d’être médecin. Donc, je ferme un chapitre et j’en commence un nouveau. »
LES DATES-CLÉS DE NINA KUCHERAN :
2000 : Naissance à Sudbury
2014 : Révélation sur la scène nationale avec une finale à l’Ontario Junior International
2016 : Premiers essais olympiques
2018 : Première sélection avec l’équipe nationale canadienne
2021 : Deuxièmes essais olympiques
2023 : Diplomée d’un master en physiologie appliquée et kinésiologie
2024 : Troisièmes essais olympiques et annonce de sa retraite
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario, au Canada et à l’étranger.