Panneaux saccagés : le patrimoine franco-torontois à l’abandon?
TORONTO – Un panneau déterré, d’autres criblés de graffitis ou tout simplement retirés de leur emplacement après avoir été vandalisés ou endommagés par les intempéries… Le Sentier partagé – (The Shared Path), le long de la rivière Humber, semble délaissé par les autorités municipales chargées de sa préservation.
S’étirant du lac Ontario au parc Lambton, dans l’ouest de la ville, cette boucle de près de sept kilomètres empruntant les allées du Parc Étienne Brulé est pourtant un des rares maillons pédagogiques qui rappellent aux Torontois les fondations autochtones et françaises de la ville reine au 17e siècle, avant que les Anglais ne s’y installent.
C’est en effet ici, en 1615, que le premier explorateur européen, Étienne Brulé, sillonna les eaux de la rivière pour nouer des relations avec les Premières Nations. Ce passage commercial névralgique pour la traite de la fourrure verra par la suite la création de plusieurs forts français – dont le Fort Rouillé tout proche – et, plus tard, la fondation de la ville.
Pour commémorer cette présence française, une stèle à l’effigie d’Étienne Brulé, coureur des bois, interprète et découvreur des Grands Lacs Ontario, Érié et Huron, subsiste dans le parc éponyme. Et une série de 12 écriteaux bilingues bleutés, installés en 2011, devaient durablement témoigner de cette histoire.
De cette initiative commune de la Ville de Toronto, de la Société d’histoire de Toronto (SHT), de la Toronto and Region Conservation Authority (TRCA) et d’Heritage Toronto, en collaboration avec les Anishinaabe, les Haudenosaunee et les Hurons-Wendat, un tiers des panneaux est manquant et le reste est vandalisé, dont un trônant sur place avec sa base déracinée et le dessus, arraché.
Depuis son inauguration, le parcours historique s’est considérablement dégradé, victime de vandalisme et des intempéries. Certains graffitis rendent illisibles les histoires inscrites sur plusieurs panneaux. D’autres manquent à l’appel : trois sont introuvables et un quatrième a été arraché du sol et décapité. Il n’en reste que le socle en béton et le pied métallique abandonné au bord du chemin.
Alors que le Mois du patrimoine franco-ontarien bat son plein, plusieurs observateurs contactés par ONFR déplorent « l’immobilisme de la Ville » vis-à-vis de ces installations bilingues, alors que les lieux de découverte et d’apprentissage de ses racines françaises se comptent sur les doigts de la main.
« Il est déplorable que ces plaques ne soient pas mieux entretenues pour mettre en valeur l’histoire locale de la région », regrette Danielle Pecore-Ugorji, directrice générale du Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO), qui aimerait que « tous les paliers du gouvernement s’investissent davantage dans la préservation et le rayonnement du patrimoine franco-ontarien ».
Un projet digital pour sauvegarder le patrimoine francophone de la rivière Humber
La directrice de la Société d’histoire de Toronto, Rolande Smith, trouve elle aussi cette situation décevante. Elle espère trouver une issue favorable pour éviter que le patrimoine franco-torontois ne sombre dans l’oubli.
Pour contrer la disparition progressive de ces écriteaux, cette dernière envisage de réhabiliter le site en créant un parcours digital trilingue : en anishinaabemowin, la langue des Mississaugas, en français et en anglais. « Vous pourriez alors faire le sentier partagé avec le téléphone. La technologie n’est pas difficile à mettre en place, il nous faut simplement tout le monde à bord », encourage-t-elle.
Bénéficiant déjà d’une subvention de la Fondation Trillium, la SHT a demandé une subvention auprès du gouvernement fédéral pour cette numérisation. « C’est un très beau projet dont nous souhaitons la naissance très prochaine », souhaite Mme Smith.
Engagée dans la concrétisation du Sentier partagé en 2011, sa prédécesseure, Lisette Mallet, alertait déjà en 2021 que le sentier était délaissé, sans que la Ville ne prenne aucune disposition. « C’est le premier parc historique à Toronto pleinement bilingue qui honore les trois peuples fondateurs : Autochtones, Français et Britanniques. Mais certains panneaux ont été vandalisés et la Ville a fini par les enlever. J’aimerais qu’on les rétablisse. »
Contactée par ONFR, la Ville de Toronto assure qu’elle est consciente de la situation qui dure depuis plusieurs années et qu’elle est en train d’évaluer les prochaines étapes pour définir la meilleure marche à suivre.
Suite à nos sollicitations, le bureau de la conseillère municipale de Davenport et co-présidente du Comité consultatif francophone Alejandra Bravo n’a pour l’heure par souhaité commenter.