Pénurie d’enseignants : ils sont ignorés par les écoles malgré plus de dix ans d’expérience
Alors que les conseils scolaires francophones de l’Ontario sont à la recherche de professeurs comme des chevaliers à la quête du Saint-Graal, de nouveaux arrivants avec plus d’une dizaine d’années d’expérience en éducation sont ignorés pour des postes de suppléants et de surveillants.
Dix ans d’expérience en enseignement, enseignante de français dans une école privée ontarienne et une maîtrise française en didactique, voilà ce qui est écrit sur le résumé de Nabila Aït Yahia. Pourtant, la résidente de Barrie n’a pas été capable de trouver un seul emploi de suppléante à travers toute la province.
« Entre juin et aujourd’hui, j’ai au moins appliqué à une vingtaine d’écoles. Aucun retour, rien du tout! Même pas une rétroaction pour me dire qu’ils ont passé à l’étape suivante du processus », dénonce la citoyenne française.
Elle a notamment appliqué au conseil scolaire Viamonde. Au moment d’écrire l’article, ONFR+ a constaté que 10 offres d’emploi de professeurs réguliers et suppléants étaient en ligne.
« C’est frustrant, car on voit apparaître des offres, mais on se demande si ça vaut vraiment la peine d’appliquer. Est-ce qu’on est vraiment en crise? », se questionne Mme Aït Yahia.
Même son de cloche du côté d’Anis Lachiheb qui a immigré à Ottawa il y a trois mois après avoir travaillé pendant 12 ans comme professeur universitaire en Tunisie. Ce dernier déplore que son expérience professionnelle ne soit pas valorisée ici et ce, même pour un simple poste de surveillant.
« Il y a une pénurie, mais rien ne se passe » – Anis Lachiheb
« C’est anecdotique et bizarre, il y a une pénurie, mais rien ne se passe. Face à cette pénurie, on devrait accélérer tout ce qui est test et processus. Je peux comprendre avec la COVID-19, mais n’empêche que quand on a un problème, on essaie de le corriger vite (…). Ça me fait mal au cœur de ne pas pouvoir donner de mon expérience, tout en sachant qu’il y a une énorme pénurie », explique le Tunisien.
Par ailleurs, l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario a confirmé à ONFR+ qu’une personne non-membre peut se voir octroyer un emploi de façon temporaire, si le conseil scolaire juge qu’il n’est pas possible de faire autrement.
L’exemple du CECCE
Depuis son arrivée, le Tunisien a envoyé une douzaine de demandes d’emploi auprès de différents conseils de la région, dont le Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE). Même son de cloche que Mme Aït Yahia qui dit avoir appliqué pour des emplois de suppléant au plus gros conseil francophone de la province.
Pourtant la semaine dernière, l’École secondaire catholique Franco-Cité du CECCE a dû fermer ses portes. Au micro de ONFR+, le directeur de l’éducation du CECCE Réjean Sirois avait indiqué que le manque de suppléants et l’auto isolement de professeurs étaient la cause de la fermeture de l’établissement.
« Le recrutement du personnel est toujours en cours afin de renforcer nos équipes pour les semaines et les mois à venir », a indiqué le CECCE à ONFR+ dans un échange de courriels.
Un trop long processus
En plus de passer par le processus actuel, les nouveaux arrivants doivent soumettre plusieurs documents comme l’équivalence de diplômes et d’autres documents reliés à leur éducation postsecondaire dans leur pays d’origine. Même si les documents remplissent les critères demandés, il s’agit d’un long processus pour obtenir un emploi, alors même que la situation est urgente.
« Je trouve qu’il y a trop de bureaucratie. Je prends l’exemple de la médecine, qui est théoriquement beaucoup plus développée que dans d’autres pays, mais le collège des médecins est beaucoup plus ouvert. Je pense que c’est un peu la même chose pour les autres catégories d’emplois », croit Anis Lachiheb.
Ce processus semble nuire aux candidats immigrants. L’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario indique que ceux « nouvellement arrivés au Canada et formés dans d’autres pays signalent un taux de chômage de 40 % en 2019, ce qui représente une hausse par rapport au taux de 35 % une année plus tôt ».
Pourtant, Immigration Canada, notamment via Entrée express, essaie de privilégier les francophones, encore plus ceux qui pourraient devenir enseignants, en raison de la pénurie à l’échelle nationale.
« Je ne peux même pas travailler en français dans les écoles » – Nabila Aït Yahia
« Immigration Canada m’a recrutée en grande partie car je parlais français et que j’avais étudié en éducation, mais je ne peux même pas travailler en français dans les écoles », déplore Nabila Aït Yahia.
Cette dernière dit comprendre les processus qui sont en place, mais croit que la situation pourrait être différente en raison de la crise actuelle.
« On pourrait proposer un processus alternatif avec la crise et les conseils scolaires pourraient adopter certaines des nouvelles mesures après la pandémie (…). Je pense que les conseils scolaires ne préféraient prendre personne plutôt que quelqu’un qui ne répond pas aux critères à 100 %, et ce, malgré la pénurie. »
Ce n’était pourtant pas le scénario envisagé pour ces immigrants ayant décidé de venir ici pour contribuer au système canadien.
« J’aime beaucoup ce pays, mais il y a des fois où l’on a des doutes, est-ce qu’on a fait le bon choix? Est-ce que j’ai un problème d’intégration? Le doute se sème, car ça coince. Je pense avoir plus que les qualifications nécessaires, ce n’est pas de l’arrogance, mais je connais mes qualités », affirme Anis Lachiheb.