"Prendre racine" de Sonya Malaborza aux éditions Prise de Parole. Montage ONFR

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.

Parler de soi et parler du monde. Parler de sa famille et parler des autres. Parler de son histoire et parler de l’Histoire. L’Histoire de son peuple, de ses racines, de ses plantes, de ses acquis et de ses pertes. Partir de l’infiniment petit pour atteindre l’infiniment grand. C’est un peu le pari que je crois Sonya Malaborza a pris en écrivant son livre Prendre racine publié chez Prise de Parole en 2023.

Une écriture où le rythme poétique n’est jamais trop loin. Une écriture qui coule comme les eaux du fleuve Saint-Jean, qui traverse une bonne partie de l’est de l’Amérique pour finir dans la Baie de Fundy au Nouveau-Brunswick.

Sonya Malaborza commence son récit avec le grand feu de la Miramichi, un événement dont je n’ai jamais eu vent. C’est en 1825, avant même la naissance de la Confédération canadienne, et pendant des saisons estivale et automnale extrêmement sèches, que des feux se sont déclenchés dans une région délimitée par la ville de Fredericton au sud, la baie des Chaleurs au nord et le détroit de Northumberland à l’est.

Avec les vents, ces incendies se sont propagés et élargis pour devenir une « tempête de feu ». Plusieurs personnes sont mortes ainsi que leur bétail happé par les flammes géantes alors que des centaines d’autres se sont noyées dans la rivière de la Miramichi. C’était l’apocalypse. Le jour du « grand jugement », tel que certains l’ont cru et décrit.

On aurait imaginé que ces feux qui ont décimé arbres, animaux et personnes seraient une sorte de mise à mort pour la région. Une tragédie dont on ne se remet pas facilement et, pourtant, c’est avec les feux que les forêts naissent et grandissent de nouveau. Un peu aussi comme pour les peuples qui renaissent de leurs cendres. Claude Le Bouthillier, auteur acadien, a parlé de ses grands feux de la Miramichi dans son recueil de poésie publié en 2014 La terre tressée.

Aux origines d’un nom et d’une famille

Sonya Malaborza se questionne sur l’origine de son nom, sur sa famille et les femmes de sa famille. Leurs histoires, leur souffrance et les choses qu’elles aimaient faire : le tricot, le travail avec les mains, ce travail qu’elles font pour les gens qu’elles aiment. L’autrice parle d’aujourd’hui et d’hier ensemble. Elle parle d’elle et des ses ainées comme si le temps s’était figé et que les deux ne faisaient qu’un seul corps, une seule personne. Et pourquoi pas? Ne sommes-nous pas issus de la même lignée? Et par conséquent, produits de ces mêmes racines profondes qui se sont installées depuis des siècles sur les rives de l’Amérique?

Elle nous raconte l’Acadie à travers ses plantes et ses femmes qui l’ont habitée. L’une de ses femmes est Exilda Doucet Hébert, née dans le sud du Nouveau-Brunswick dans un village appelé Fontaine, qui se trouve à une quarantaine de kilomètres au nord du Pays de la Sagouine (Bouctouche). Aujourd’hui, Fontaine fait partie du Parc national Kouchibouguac. Mais pourquoi Exilda? Pourquoi elle? Sonya Malaborza connaît son petit-fils et ce dernier lui a dit que les contes de sa grand-mère, Exilda, « auraient pu faire d’elle une autre Antonine Maillet ».

« Si seulement, elle avait su lire et écrire », s’est rattrapée l’écrivaine. Comme si la reconnaissance ne pouvait venir que par les mots écrits. Et qu’en est-il des contes oraux? Comme les centaines de contes qu’Exilda a racontés à ses enfants, à ses petits-enfants, à sa famille et ses amis pendant sa longue vie et qui heureusement ont été enregistrés et gardés dans la collection Robert Richard, déposés aux archives de folklore du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson de l’Université de Moncton.

Ces enregistrements audios sont la preuve de la résilience et de la richesse de la langue française en Acadie. Exilda a été retirée de l’école avant même de terminer sa première année scolaire pour aider sa mère à élever ses nombreux frères et sœurs. C’était normal. Les filles avaient autre chose à faire que d’apprendre à lire et à écrire. C’était le sort de la plupart des filles. Heureusement qu’Exilda a appris à raconter des histoires et n’a jamais cessé de le faire.

À chaque village ses arbres, à chaque langue ses mots

Mais Exilda n’est pas la seule qui fascine Mme Malaborza. Il y a l’histoire de cette linguiste française venue spécialement de France pour recenser le nom des arbres dans la langue régionale de l’Acadie. C’est drôle comme les arbres et les langues se ressemblent avec leurs racines, leur feuillage, leurs fruits et leurs noms divers. À chaque village ses arbres, à chaque langue ses mots.

Il y a aussi l’histoire de James Fowler, ce révérend qui n’a jamais cessé de collecter des espèces et de remplir son herbier de spécimen botanique jusqu’à ce qu’il change de vocation et qu’il devienne enseignant de botanique à l’Université Queen’s en Ontario.

Tous ces individus ont des histoires qui sont venues enrichir la grande histoire de la région acadienne, ses fleurs, ses animaux, ses gens et surtout sa langue.

En 1971, Antonine Maillet publie son célèbre livre, La Sagouine, qui relate l’histoire d’une fille de Bouctouche en Acadie. Fille de pêcheur qui sera elle aussi mariée à un pêcheur d’éperlans, la Sagouine raconte son histoire et celle de sa région dans sa langue crue, sans gêne et sans détour, devenant l’histoire iconique d’une nation qui résiste aux tragédies et à l’assimilation. Mais la nation existe au-delà des symboles et de la Sagouine. Elle est vivante, respire, se nourrit d’arbres et de mots.

Avec son récit Prendre racine, Sonya Malaborza nous relate d’autres histoires. Que ce soit Exilda, la conteuse indomptable, James Fowler, le religieux devenu botaniste engagé ou les grands feux de la Miramichi qui ont tout détruit ou presque, Sonya Malaborza commence toujours par sa propre histoire. Comment sortir du personnel pour aller vers le collectif? J’aimerais voir ces deux formes comme une sorte de symbiose entre deux corps. L’un se nourrit de l’autre et vice versa sans jamais s’ennuyer et où chacun trouve son compte. Toujours et encore.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.