Que se passe-t-il chez les ACFO?
[CHRONIQUE]
Il est difficile de ne pas se poser de questions à propos des ACFO régionales à l’heure actuelle. Au cours des derniers mois, votre fil d’actualité a peut-être regorgé d’articles portant sur les déboires financiers de l’ACFO London-Sarnia, l’absence de relève à l’ACFO-Cochrane-Iroquois Falls ou encore le manque de ressources à l’ACFO-Toronto. La semaine dernière, #ONFR rapportait d’ailleurs sur la quinzaine d’associations en province, dont près de la moitié sont en situation précaire.
MARC-ANDRÉ GAGNON
Chroniqueur invité
@marca_gagnon
Comme organisme généraliste à but non lucratif, l’ACFO (compris comme Association canadienne-française de l’Ontario ou Association des communautés francophones de l’Ontario) traverse des temps difficiles. Alors que la tendance est aux causes précises et aux initiatives informelles, le modèle de l’ACFO peut paraitre aujourd’hui dépassé. Le financement non récurrent et l’épuisement de ses ressources humaines minent sa capacité à rassembler et représenter adéquatement les Franco-Ontariens en province.
Cette crise n’est toutefois pas qu’une affaire de gros sous et les problèmes de datent pas d’hier. On pourrait même dire qu’elle prend racine dans la culture organisationnelle et l’historique l’association.
Aux origines des ACFO régionales
Pour comprendre l’émergence des ACFO régionales comme acteur politique en Ontario français, il faut remonter dans le temps. En 1969, l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario (ACFÉO) propose une refonte complète de ses structures pour devenir l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO). Dans les suites de la Révolution tranquille qui bat son plein au Québec, des États généraux du Canada français qui marquent une rupture au sein des acteurs institutionnels de part et d’autre de la rivière Outaouais, du retrait graduel de l’Église dans la défense du fait français et de la montée de l’intervention étatique en cette matière, l’Association décide d’élargir son mandat à d’autres domaines et à stimuler la participation des individus provenant des régions à ses activités.
C’est ainsi qu’elle favorise la création de « conseils régionaux politiques ». L’ACFO établit par conséquent des sections à travers la province (à noter qu’il existait quelques exceptions, dont Sudbury, qui possédaient déjà sa propre section depuis 1910). De huit associations régionales en 1969, on en compte 18 dès 1977. Grâce aux subventions du Secrétariat d’État du gouvernement fédéral désireux de promouvoir les activités pour les minorités de langues officielles, l’association provinciale met sur pied son programme d’animation socioculturelle, qui en retour fournit les fonds aux régionales. Ce programme « par la base » avait pour objectif – en théorie – de responsabiliser les Franco-Ontariens afin qu’ils développent de nouvelles institutions (ceux-ci étant souvent marginalisés des structures socioéconomiques de la province).
Durant les années 1980, la logique qui mena à la création des ACFO régionales cède le pas à d’autres impératifs. Le financement se fait plus rare. La cohabitation entre les sections régionales et l’Association ontarienne ne se fait pas sans heurts en raison des fortes disparités avec les grands objectifs provinciaux. Suite à de nombreux débats, une minorité d’ACFO obtiennent des chartes provinciales et deviennent des entités autonomes à partir de 1983. Ce changement n’est pas sans conséquence. Désormais, ces sections locales volent de leurs propres ailes et ne dépendent plus exclusivement de la structure provinciale pour leur financement. Ils peuvent donc souscrire directement aux différents programmes gouvernementaux sans passer par la maison mère à Ottawa. Toutefois, ces ACFO continuent de maintenir un lien formel avec la structure provinciale et à se représenter comme des organismes à vocation politique.
Entre la prestation de services et la représentation politique
Au fil du temps, les ACFO régionales s’éloignent de l’animation socioculturelle pour engager des « agents de développement ». Elles sont de plus en plus appelées à travailler avec les organismes d’intérêts sectoriels (santé, immigration, emploi, etc.). C’est le temps des forums et des tables de concertations régionales. Certaines associations obtiennent également des sommes pour des projets précis. Par exemple, l’ACFO-Niagara obtient, au milieu des années 1990, diverses subventions pour promouvoir l’éducation des adultes et réaliser une étude sur les femmes et le marché de l’emploi. D’autres ACFO telles que l’ACFO Milles-Isle (Kingston et les environs) ou l’ACFO-Huronie (Barrie et ses environs) mettent sur pied un service d’employabilité. Les activités des associations sont grandement influencées par les programmes gouvernementaux.
Par ses capacités à mobiliser ses ressources, son financement disparate et les différents objectifs de ses membres, le réseau des ACFO régionales devient de plus en plus hétérogène. Difficile alors de créer une identité commune. Cela est d’autant plus vrai que depuis 2006, les ACFO n’ont plus de structure fédérative à proprement parler. Rappelons qu’à la suite de diverses pressions provenant de Patrimoine canadien et des représentants d’organisme des minorités raciales et ethnoculturelles, l’ACFO provinciale laisse place à l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (ACFO), un organisme jugé plus représentatif et plus inclusif. Cet évènement a eu pour conséquence de rompre le lien ténu entre les ACFO. Alors qu’auparavant l’ACFO provinciale pouvait tirer sa légitimité de son histoire (qui remonte à la lutte au Règlement 17), de sa force numérique et de son importance à l’échelle provinciale, les ACFO régionales ne peuvent revendiquer pareil statut.
Au fil du temps, les ACFO régionales s’éloignent de ce pour quoi elles ont été créées : l’animation politique. Ce n’est pas le cas pour toutes cependant. L’ACFO-Ottawa est active à la fin des années 1990 dans la saga de l’hôpital Montfort. Plus près de nous (en terme temporel), l’ACFO-Prescott-Russell a lancé un débat sur l’affichage bilingue dans l’Est ontarien. L’ACFO du Grand Sudbury est également intervenue afin que des excuses officielles soient faites aux Franco-Ontariens pour les torts subits suite au Règlement 17. Toutefois les activités politiques des ACFO sont limitées. Le financement non récurrent, la gestion par projet, le vieillissement des effectifs, la contorsion des mandats afin de le faire correspondre à des critères spécifiques poussés par bailleurs de fonds et la gymnastique linguistique des demandes de subventions amenuisent les capacités de ces organismes à but non lucratif.
Des pistes de solutions
On peut souhaiter davantage de concertation entre les ACFO. La prise de position récente de l’ACFO du Grand Sudbury, de l’ACFO-Témiskaming et de l’Association des francophones du Nord-Ouest sur le projet de l’Université franco-ontarienne dans le Centre-Sud est importante à souligner. Toutefois il convient de dépasser la simple défense des intérêts régionaux et de les faire dialoguer avec les autres impératifs de la politique provinciale. Ici, l’AFO a clairement un rôle à jouer. Il existe une table de concertation des ACFO au sein de l’AFO, mais la participation à celle-ci est optionnelle. Elle sert davantage au partage d’information entre les organismes et non à la réalisation d’initiatives conjointes. Peut-être serait-il temps de lui donner davantage de moyens. L’AFO ne peut intervenir dans les affaires de ses membres, mais elle jouit certainement de la légitimité pour amorcer un dialogue sur l’avenir des ACFO dans un cadre formel.
Une réflexion plus en profondeur est aussi nécessaire pour clarifier les mandats, les structures, le financement et de l’identité de ces associations. Sans aller jusqu’à remettre en question l’indépendance des ACFO, celles-ci devraient mieux coordonner leurs activités, surtout au plan de la représentativité politique. L’Ontario français ne souffre pas d’une surreprésentation auprès des décideurs et le réseau des ACFO peut être encore un véhicule privilégié pour porter les revendications de la minorité.
Si cette entreprise doit réussir, il faudra toutefois dépasser le simple « branding organisationnel » pour reprendre la formule du sociologue Joseph Yvon Thériault. Encore faut-il que les différentes ACFO aient la prétention de vouloir se projeter dans un projet politique commun pour l’Ontario français.
Marc-André Gagnon est doctorant en histoire à l’Université de Guelph.
Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.