Quelle place pour le français au Parti conservateur de Pierre Poilievre?
OTTAWA – En remportant avec 68 % des appuis la course à la chefferie conservatrice, Pierre Poilievre a envoyé comme message que son parti est beaucoup moins divisé qu’on aurait pu le penser. Cette victoire décisive du Fransaskois combinée à sa bonne maîtrise du français, pourrait être un bon signe pour les francophones, croient des analystes.
En Ontario, à l’exception d’Ottawa-Vanier (46 %) et Orléans (57 %), le nouveau leader a obtenu plus de 70 % dans les comtés francophones de la province : Glengarry-Prescott-Russell (75 %), Nickel-Belt (81 %), Sudbury (75 %), Nipissing-Timiskaming (74 %), Timmins-Baie-James (79 %), Algoma-Manitoulin-Kapuskasing (80 %). Idem au Nouveau-Brunswick où il a tout raflé, notamment les circonscriptions à majorité francophone. Au Québec, il a remporté 72 des 78 comtés (62 % des points) et 330 des 338 à travers le Canada.
« Le Parti conservateur est de retour », observe la politologue de l’Université d’Ottawa Geneviève Tellier.
« Le principal message est que si vous êtes d’autres partis et que vous comptez sur une division du Parti conservateur, ça ne se produira pas », poursuit-elle. « M. Poilievre arrive de façon très forte à la tête du parti et toutes les prédictions à propos que le parti sera divisé et que les gens vont quitter, ça ne sera rien et ça ne sera pas majeur. »
Cette victoire haut la main « va calmer la grogne » de certains députés québécois et francophones qui avaient menacé de quitter le parti, estime le politologue de l’Université de l’Alberta Frédéric Boily.
Le porte-parole en langues officielles et député québécois Joël Godin avait affirmé à La Presse qu’il songeait à quitter le parti si Pierre Poilievre était élu. Alain Rayes, également un ancien porte-parole en langues officielles, avait aussi émis de sérieuses critiques et craintes sur l’arrivée du député de Carleton à la tête de la formation politique.
Ce dernier supportait Jean Charest dans la course, alors qu’il était son directeur de campagne au Québec et M. Godin supportait aussi l’ancien politicien québécois. Le député de Charlesbourg–Haute-Saint-Charles Pierre-Paul-Hus était le seul francophone et Québécois du caucus à soutenir M. Poilievre.
« Ceux qui seraient vraiment en désaccord avec Pierre Poilievre n’auraient pas intérêt à faire connaître leur désaccord, certainement pas dans les premiers moments de sa gouvernance », croit Frédéric Boily.
Un chef parfaitement bilingue
Fait à ne pas nier, Pierre Poilievre possède une excellente maîtrise du français, rappelant celle de son ancien patron Stephen Harper. Quoique pas parfaite comme l’a reconnu le principal intéressé avançant avoir « du travail à faire » hier dans son discours, elle est de loin supérieure à ses deux prédécesseurs Erin O’Toole et Andrew Scheer.
« Il n’y a pas eu de discussion autour de son français lors de la campagne ce qui était tout le temps le cas lors des autres campagnes à la direction », note Frédéric Boily. « C’est rare de voir un aspirant premier ministre maîtriser aussi bien le français. »
Pour Geneviève Tellier, le fait qu’il soit un francophone de la Saskatchewan n’est pas à négliger non plus. « C’est sans doute très important pour les francophones hors du Québec. D’ailleurs, hier, il a dit : »Je parle aux Québécois et aux Canadiens français ». »
La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) voit aussi d’un bon œil les propos de samedi soir de celui qui aspire à devenir premier ministre. Le gagnant a parlé de ses origines canadiennes-françaises en plus d’illustrer que ses deux enfants vont à une garderie francophone accentuant qu’ils auront le français comme première langue.
« On a trouvé ça encourageant. Pour son appartenance à la langue française, c’était encourageant », a réagi en entrevue la présidente de la FCFA Liane Roy.
« Le français est en déclin partout au Canada – on a vu ça avec le recensement -, alors on veut voir si M. Poilievre partage ces préoccupations-là. Il a les éléments : il a vécu en Saskatchewan avec ses parents francophones alors on veut voir si ça va se traduire dans une connaissance plus large de la francophonie. »
Un candidat rassembleur ou radical?
L’un des principaux intéressés, Joël Godin, a fermé la porte à un rapide claquement de porte du parti samedi soir après la victoire. En entrevue samedi soir, le député s’est dit « impressionné » de la victoire de son nouveau leader. Il tempère toutefois évoquant le vouloir de se retrouver au sein d’un Parti conservateur à son image.
« Je pense qu’il faut qu’il revienne avec un discours plus progressiste-conservateur. Moi, je suis un modéré, un progressiste-conservateur. Je ne suis pas un radical, alors je veux juste faire en sorte que ce parti-là soit ouvert avec des philosophies différentes, mais je ne me retrouve pas dans le radical », a insisté M. Godin, saluant au passage le plaidoyer de Pierre Poilievre pour la langue française.
Pour le sénateur québécois Claude Carignan, un des rares sénateurs francophones qui supportait Pierre Poilievre, ce dernier saura rallier les gens de l’Ouest et de l’Est canadien.
« Je pense qu’on a un candidat qui unit. On a vu son français et ses origines. Sa conjointe qui est Québécoise. Je connaissais ces forces-là et on a tout ce qu’il faut pour vendre un candidat comme Pierre Poilievre au Québec et en Ontario, où il est député depuis plusieurs années. On a un candidat canadien bilingue qui peut représenter toutes les régions du pays. »
Les troupes de Pierre Poilievre pourraient se réunir dès lundi, alors qu’un caucus conservateur est prévu.