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Benoit Roy est le directeur général de Théâtre Action et le président du conseil d’administration de l’Alliance culturelle de l’Ontario (ACO), un organisme qui vise à stimuler la collaboration entre tous les intervenants du secteur des arts en Ontario francophone.

Le 31 janvier, l’ACO a déposé un mémoire auprès du gouvernement de l’Ontario afin d’émettre des recommandations pour améliorer le soutien de la province à son milieu artistique.

Avec l’approche du dépôt du prochain budget à Queen’s Park, fin mars, l’ACO propose trois grandes pistes de solution : réviser la Loi sur le statut des artistes ontariens, augmenter le budget du Conseil des arts de l’Ontario (CAO) et investir dans les ressources humaines pour combattre la pénurie de main-d’œuvre.

« Quels sont les principaux enjeux auxquels le domaine de la culture est confronté?

À mon avis, c’est le financement. C’est comme si le secteur culturel avait été figé dans le temps en 2019. Pendant la pandémie, on a été gâtés. Et là, on arrive en 2024 et on nous dit : l’ensemble de ces fonds-là ne sont plus disponibles.

Ensuite, il y a l’épuisement, surtout du côté des pigistes. Le secteur des arts est celui qui a le plus haut taux de travailleurs autonomes. Ça veut dire que tu n’es pas rémunéré pendant que tu fais une demande de subvention, de prix, de bourse, etc.

En plus, avec les taux de réussite, tu te retrouves à faire une demande sans savoir si ça va donner un résultat. Il y a de grands refus parce que, pendant la pandémie, il y avait plus d’argent, donc plus d’artistes qui ont commencé des projets. Alors, les demandes sont encore plus élevées que pendant la pandémie.

Y a-t-il des enjeux particuliers pour les francophones?

On est tous dans le même bateau. C’est certain que le milieu francophone est résilient. Mais on est en milieu minoritaire. Je dirais que la plupart du temps, on a ce luxe d’être financé de façon prioritaire. C’est certain qu’avec l’ensemble des actions qui sont prises en ce moment au niveau de l’équité, de l’inclusion et de la diversité, on doit aussi, à titre de francophones, aider à faire évoluer la situation pour l’ensemble du milieu. Mais on fait aussi partie de cette catégorie de groupes en quête d’équité.

Au CAO, on est chanceux d’avoir un bureau franco-ontarien pour les arts. On se sent entendu. Au niveau du gouvernement, il y a certains programmes qui sont disponibles, mais ils coupent ailleurs, au niveau des universités ou de certains services francophones.

Vous proposez une révision de la Loi sur le statut des artistes ontariens. Qu’est-ce qui cloche avec cette loi?

Elle n’a pas été mise à jour depuis 17 ans. On s’entend que le monde a changé. Je reviens aux artistes pigistes, qui ne sont pas protégés du tout avec cette loi. Elle ne dessert pas bien le statut de l’artiste quand on se compare, par exemple, à nos homologues québécois qui ont une reconnaissance du métier exceptionnelle, qui fait en sorte que l’Union des artistes (UDA) peut les défendre.

En théâtre, on utilise l’entente collective de l’UDA, mais elle n’a pas de juridiction en Ontario.

Benoit Roy est président du conseil d’administration de l’ACO et directeur général de Théâtre Action. Gracieuseté

Vous proposez d’augmenter le budget annuel du CAO, actuellement prévu à 60 millions de dollars. Votre recommandation est de l’ordre de 62 millions en 2024, 64 millions en 2025 et 67 millions en 2026. D’où viennent ces chiffres?

Les montants suggérés ne reflètent pas les besoins réels, mais ils reflètent l’inflation des indices des prix de consommation depuis 2019. Ce sont des montants réalistes qui n’obligent pas les organismes à diminuer les effectifs ou l’offre de service et qui permettent au secteur de maintenir un statu quo. On considère que notre demande est raisonnable.

À quelques exceptions près, le budget du CAO est demeuré stable depuis l’entrée en poste des conservateurs, sauf pour l’augmentation de 25 millions de dollars pendant la pandémie. Mais ces sommes avaient été distribuées aux organismes qui faisaient un chiffre d’affaires de plus d’un million de dollars. Le reste du secteur a souffert.

En 2023, le budget du CAO est passé tout près d’être coupé de 10 millions de dollars. Pensez-vous vraiment trouver une oreille attentive au sein du gouvernement en place?

On mise sur la force du milieu, car ils ont reçu des recommandations de la part de plusieurs organismes de services aux arts en Ontario. Anglophones et francophones, nous nous sommes concertés et avons tous fait la même recommandation. J’ai l’impression qu’ils n’auront pas le choix d’au moins prêter l’oreille.

Votre troisième recommandation demande de contrer la pénurie de main-d’œuvre. De quelle façon peut-on attirer et retenir des travailleurs dans le secteur culturel?

Il faut les rémunérer comme il se doit. Le salaire annuel moyen de l’artiste, selon le recensement de 2021, est de 30 000 $. Celui des professionnels culturels est de 49 600 $. C’est difficile de retenir les gens quand tu ne peux pas bien les payer. Il y a des limites à le faire par passion.

On fait ce qu’on peut en offrant des conditions optimales. À Théâtre Action, par exemple, on est rendu à des horaires de quatre jours par semaine, et nous ne sommes pas les seuls à le faire.

Ensuite, beaucoup de la pénurie de main-d’œuvre vient du côté technique et il n’y a pas de programme de formation. À Théâtre Action, on offre des mentorats et des stages, mais on doit faire des demandes de subvention pour ça.

Il faut aussi reconnaître les arts comme moteur économique de la province. Les arts contribuent à 27,5 milliards de dollars par an à l’économie. En comparaison, l’industrie automobile contribue à la hauteur de 13,9 milliards de dollars. »