Assemblée législative de l'Ontario
Les députés font leur retour à l'Assemblée législative de l'Ontario, ce mardi. Archives ONFR+

TORONTO – Ce mardi marque le coup d’envoi de la rentrée parlementaire à Queen’s Park après plus de trois mois d’absence de séances en chambre. L’occasion de remettre sur la table des enjeux francophones majeurs attendus au tournant par la communauté. Tour d’horizon de ces dossiers forts à surveiller de près dont la santé, sujet majeur du moment, l’éducation ou encore l’application de la Loi sur les services en français modernisée.

La santé sera au cœur des débats, avec notamment le projet de loi présenté ce mardi par la ministre de la Santé, Sylvia Jones, afin de réduire les temps d’attente pour les chirurgies.

Selon le politologue Peter Graefe, le recours aux cliniques privées pour certaines opérations de routine, prévu par le gouvernement, risque de soulever la question de la capacité à se faire soigner en français.

Natalia Kusendova, députée de Mississauga-Centre du Parti progressiste-conservateur, qui justifie cette mesure par l’arriéré chirurgical provoqué par la pandémie, explique que cela permettra un accès à des soins plus rapides dont bénéficieront aussi les francophones, notamment dans le Sud de l’Ontario. Pour les régions moins bien desservies comme le Nord de l’Ontario, elle évoque les programmes tels que « Apprendre et Rester » ou « De plein droit » pour augmenter la main-d’œuvre bilingue en santé en Ontario.

Guy Bourgouin, porte-parole de l’opposition officielle aux Affaires francophones, considère que cela ne changera pas la situation dans le Nord où les cliniques privées ne s’installeront pas, à l’affût de zones économiques plus attractives. Selon lui, les recommandations faites par les hôpitaux et les experts de la santé contre la pénurie des travailleurs de santé ont été ignorées par le gouvernement dans le but de pousser l’utilisation des cliniques privées.

Les politologues Geneviève Tellier (Université d’Ottawa) et Peter Graefe (Université McMaster). Montage ONFR+

Fabien Hébert, président de l’Assemblée francophone de l’Ontario (AFO), identifie lui aussi « le système de santé et les grands défis auxquels il fait face », comme l’une des priorités de la rentrée. Il évoque les attentes de l’AFO d’un changement allant dans le sens de la reconnaissance des droits linguistiques.

Au-delà du projet de loi pour lutter contre les fils d’attente en chirurgie, la question des transferts en santé d’Ottawa à l’Ontario pourrait aussi ressurgir au cours des prochains jours. Concernant une potentielle clause linguistique, M. Graefe envisage une possible emphase du personnel médical francophone : « Beaucoup de francophones aux diplômes internationaux ont du mal à les faire reconnaître et on pourrait assister à une libéralisation d’accès. »

Pour Guy Bourgouin, l’immigration économique francophone est une des grandes solutions. Le député du Nouveau Parti démocratique (NPD) évoque l’exemple d’un médecin étranger à Hearst n’ayant pas pu étudier à cause de la législation ontarienne : « Le gouvernement doit répondre à cette crise de santé en adressant ces non-sens », commente-t-il.

Selon la politologue Geneviève Tellier, ces transferts en santé pourraient ouvrir le débat des soins de santé en français : « On s’attend à des conditions de résultats de la part d’Ottawa. À titre d’exemple, cela pourrait être l’exigence dans cinq ans, que tel pourcentage de la population ontarienne ait accès à un médecin de famille. Des résultats visant plus d’égalité dans les soins, ce qui pourrait aider les communautés francophones à légitimement soulever la question d’assurer une offre a minima dans leur langue. »

Mise en œuvre de la Loi sur les services en français modernisée

Les étapes à venir de la mise en œuvre de la Loi sur les services en français modernisée soulèvent également de nombreuses questions. L’un des enjeux étant la liste non actualisée des organisations désignées en vertu de la loi. Selon M. Graefe, « le gouvernement a fait certaines promesses en période électorale, mais dans les faits on ne le voit pas comme une priorité ».

« On a eu la chance d’avoir une modernisation de la loi, c’est une bonne chose, mais les francophones sont restés sur leur faim » – Guy Bourgouin

M. Bourgouin soutient que cette loi implique d’investir, ajoutant que le gouvernement semble amorcer des choses sans les concrétiser : « Un exemple probant : les nouvelles cliniques privées devraient être assujetties à la Loi sur les services en français et présentement elles ne le sont même pas. On a eu la chance d’avoir une modernisation de la Loi, c’est une bonne chose, mais les francophones sont restés sur leur faim. »

Guy Bourgouin, député NPD de Mushkegowuk-Baie James et porte-parole de l’opposition officielle aux affaires francophones. Crédit image : Jackson Ho

Mme Kusendova, également adjointe parlementaire à la ministre des Affaires francophones, explique que « l’offre active est maintenant dans la Loi. Notre ministère vient de publier le règlement qui va s’appliquer à toute agence ministérielle ayant des obligations sous la loi des services en français. » Reconnaissant que le règlement n’est pas à jour, et ce, depuis des décennies, elle ajoute qu’il a fait l’objet de discussions récentes.

« C’est un problème sur lequel le ministère va commencer à travailler, car il y a eu de nombreux changements au sein des organismes depuis. La mise à jour requerra temps et patience. Mais nous voulons aussi aller au-delà en essayant de voir où l’on peut renforcer l’offre bilingue. Si on remarque des lacunes des services en français dans certaines régions, on veut mettre des stratégies en avant ». La mise en application de cette loi sera, selon la députée, le gros du travail à la rentrée. Reste à savoir si le règlement sera mis à jour en même temps que l’offre active.

L’éducation francophone postsecondaire

Parmi les thèmes récurrents, la question de l’Université de Sudbury qui attend un financement pour le rapatriement des programmes de la Laurentienne. « On l’a vu dans les consultations prébudgétaires, c’est un enjeu important », souligne le politologue Peter Graefe. Pour M. Hébert, l’Université de Sudbury a répondu aux exigences de qualité du ministère des Collèges et Universités : « Nous avons présenté le dossier, maintenant la balle est dans le camp du gouvernement », explique-t-il.

L’AFO garde un œil sur le développement d’un réseau francophone d’éducation postsecondaire qui appuiera la légitimité et le poids de l’éducation en français en Ontario.

Selon Guy Bourgouin aussi, « l’Université de Sudbury fait partie de ce réseau d’éducation que nous souhaitons bâtir ». Et d’ajouter : « Nous avons besoin de cette université pour garder nos jeunes dans le Nord ». Côté gouvernement, « rien de décidé encore », précise Mme Kusendova, les conclusions des consultations étant encore à l’étude.

Natalia Kusendova, députée de Mississauga-Centre du Parti progressiste-conservateur, adjointe parlementaire à la ministre des Affaires francophones Caroline Mulroney. Crédit image : Sandra Padovani

L’éducation, un des chevaux de bataille de l’opposition officielle, passera également, selon le député Bourgouin, par les problématiques du projet de loi 124 qu’il qualifie « d’anticonstitutionnel ». « Au lieu de mettre la pression sur les parents, les enfants et les éducateurs, un gouvernement consciencieux devrait négocier avec bonne foi pour finaliser les ententes vers des augmentations salariales décentes », déplore l’élu du Nord.

« La solution pourrait être une formation de rattrapage complémentaire pour gagner du temps et ne pas faire repartir cette main-d’œuvre internationale inutilement de zéro » – Fabien Hébert

Éducation et immigration, des thèmes voisins, M. Hébert évoquant également le problème de non-reconnaissance des acquis scolaires et compétences des travailleurs internationaux dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, « non seulement dans la santé, mais dans les corps de métier. On a par exemple un énorme besoin de mécaniciens monteurs ».

Puis d’ajouter : « La solution pourrait être une formation de rattrapage complémentaire pour gagner du temps et ne pas faire repartir cette main-d’œuvre internationale inutilement de zéro. »

Selon Natalia Kusendova, la ministre des Affaires francophones Caroline Mulroney souhaite valoriser la communauté francophone sur le volet économique comme un atout pour la province : « L’idée est de forger des liens avec ces pays pour amener des travailleurs francophones en Ontario, en introduisant par exemple un programme d’échange avec la France et les pays africains francophones pour une immigration ciblée répondant à notre pénurie de main-d’œuvre francophone et bilingue. »