Rentrée scolaire : des enseignants inquiets, la grogne augmente

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Une pétition de plus de 120 000 signatures en quelques jours, des professeurs sans réponses… Le retour en classe continue d’alimenter les discussions des parents et des enseignants. ONFR+ a pu parler à deux enseignants à l’élémentaire qui ne savent pas comment ils vont pouvoir fonctionner dans une classe remplie d’élèves.

Les questions fusent de tous les côtés pour les enseignants, à moins d’un mois de la rentrée scolaire. Certains disent n’avoir reçu aucun détail, à l’exception des annonces publiques du gouvernement Ford sur le retour à l’école.

« On n’a aucune information! Tout ce que je sais, c’est que je vais devoir porter un masque à longueur de journée. Mais on n’a rien reçu d’autre comme détails », confie une enseignante en 2e année qui souhaite conserver l’anonymat.

Cette professeure du Nord de l’Ontario indique ne pas être retournée dans sa classe depuis le mois de mai. Elle ne sait pas comment elle va arranger celle-ci, lorsque viendra le temps d’y retourner à temps plein, selon le plan ontarien du ministre de l’Éducation, Stephen Lecce.

Si elle reconnaît que plusieurs des mesures imposées sont nécessaires, elle se demande comment elle va pouvoir imposer certaines d’entre elles à ses élèves, comme le nettoyage des mains.

« Je n’ai pas de lavabo dans ma classe, alors je vais devoir sortir de la classe pour aller à la salle de bain. Le temps que je vais perdre à y aller va me faire perdre du temps d’enseignement en salle de classe et j’aurais beau l’expliquer aux élèves, ce sont des enfants de six ans », rappelle-t-elle.

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D’autres enseignants se demandent pourquoi le gouvernement n’a pas réduit le nombre d’élèves par classe dans le but d’imposer les deux mètres de distance physique, comme ailleurs dans la société.

« On entend la norme de deux mètres partout, mais dans ma salle de classe, si j’ai un élève qui éternue, ça va aller d’un bord à l’autre », illustre un enseignant de 8e année qui souhaite lui aussi conserver l’anonymat.

« Ça ne marchera pas! »

Même si le gouvernement a annoncé un investissement de 75 millions de dollars pour « embaucher plus de 900 travailleurs d’entretien supplémentaires », les enseignants doutent que cela soit suffisant. Ils craignent de devoir effectuer le gros du nettoyage.

« Si je dois nettoyer, ça va prendre toute la journée. Mes élèves ont six ans, ils ne vont pas comprendre qu’ils doivent rester assis, ne peuvent pas bouger et doivent demeurer dans leur petit carré. Ça ne marchera pas! C’est une autre charge de travail qui s’ajoute à mes tâches », explique l’enseignante de deuxième année.

Qui fera l’enseignement à distance?

Une autre question soulevée concerne les parents qui décident de garder leurs enfants à la maison pour l’éducation à domicile.

« Est-ce que c’est moi qui vais devoir m’occuper de tout l’apprentissage en ligne, en plus de faire mon enseignement à temps plein? C’est un énorme ouvrage, ça me préoccupe. Est-ce que je vais avoir une caméra en classe pour faire de l’enseignement synchronisé? On ne sait pas, on ne sait pas… », déplore l’enseignante qui compte une vingtaine d’années d’expérience.

Mécontentement envers le ministre Lecce

Plusieurs enseignants sont mécontents à travers la province. Une pétition adressée au ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, sur le retour à l’élémentaire, a d’ailleurs recueilli quelque 123 000 signatures, en date d’aujourd’hui.

Il est notamment demandé d’avoir de plus petites classes, citant notamment l’exemple du Danemark, de la Finlande et de la Norvège. Les Danois et Norvégiens avaient effectué un retour en classe, au mois d’avril, avec des « mini-classes » de 12 à 15 élèves, sans voir d’épidémies se développer dans les écoles.

Mais ce mercredi, le premier ministre Doug Ford a de nouveau défendu le plan de son gouvernement, repoussant l’idée de réduire la taille des classes.

Les enseignants sont également furieux du travail du ministre Lecce qui, selon eux, ne comprend pas la réalité sur le terrain.

« C’est un gouvernement qui ne connaît pas bien la tâche des enseignants et qui ne s’est jamais vraiment attardé à la comprendre… Depuis le début de la pandémie, j’ai eu la chance de parler deux fois avec le ministre Lecce, ce que je trouve insuffisant », explique Rémi Sabourin, président de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO).

« Est-il conscient de ce qui se passe dans les écoles publiques? », s’interroge le professeur interrogé par ONFR+.

Port du masque : difficile, mais réalisable

Le plan du ministre Lecce prévoit également que le port du masque sera obligatoire à partir de la quatrième année et fortement recommandé pour les autres écoliers. Les enseignants sont-ils sûrs que cette mesure sera respectée?

« Je pense que oui, je suis optimiste. Les deux-trois élèves qui ne vont pas vouloir, on va être capable de les raisonner. En salle de classe, ça ne sera pas si pire, mais je crois que le défi sera plus grand dans les contextes hors de la salle de classe, comme à la cafétéria par exemple », juge l’enseignant qui a accepté de se confier à ONFR+.

Ce dernier avoue toutefois préférer de telles mesures, comme celle du port du masque, plutôt que de devoir retourner au format virtuel.

« Si on doit faire tout ça pour que l’école reste ouverte, je pense que c’est un mal qu’on va pouvoir endurer. »

Le format en ligne aura été difficile, pas juste pour les élèves, mais aussi pour le corps enseignant, acquiesce sa collègue.

« Je suis soulagée qu’on retourne en personne, car l’école en ligne a été très difficile. Je n’ai jamais autant travaillé en 21 ans de carrière que durant les trois derniers mois. »

L’AEFO inquiète pour ses membres

En conférence de presse aujourd’hui, le premier ministre Ford a toutefois évoqué la possibilité de retourner aux cours en ligne en cas de seconde vague.

« Je n’hésiterais pas à fermer les écoles si nous avons une seconde vague et que c’est nécessaire pour protéger la santé des enfants. »

Rémi Sabourin, président de l’AEFO. Archives ONFR+

Rémi Sabourin demande aux membres de l’AEFO de prendre un certain recul à l’approche de la rentrée.

« C’est important que les enseignants s’occupent de leur santé à ce moment-ci. Ma grande crainte, c’est que des enseignants arrivent en septembre et soient à terre avec ce qu’ils ont vécu depuis le mois de mars. Il faut prendre un certain recul, et d’ici la rentrée, on va essayer de trouver des solutions. »