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[CHRONIQUE]

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

Ils sont arrivés au cœur de la nuit. Armés de pelles, ils voulaient « voir par eux-mêmes » si des enfants autochtones étaient véritablement enterrés sur les terrains de l’ancien Kamloops Indian Residential School, en terre sacrée de la Première Nation de Tk’emlúps te Secwépemcarmés en Colombie-Britannique.

« Les Canadiens ne peuvent être fiers d’un pays qui permet que l’on manque complètement de respect à l’égard des sépultures d’enfants, qui permet que les pelles aillent briser les os des ancêtres et qui se cache de la vérité » , souligne le rapport provisoire de Kimberly Murray, l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens.

Qui brise les os des ancêtres. Et qui se cache la vérité. 

Le Estcwicwéy̓ – Les Disparus

Cette « marée montante de ressentiment », « sombre inverse de la prise de conscience nationale naissante », conduit certains à « minimiser les atrocités du système », expliquait récemment la journaliste Michelle Cyca dans le magazine The Walrus

« La nouvelle honte nationale », écrit la journaliste nêhiyaw, « est le nombre de personnes qui détournent encore les yeux de la vérité ».

Oui.

Ces enfants, Le Estcwicwéy̓, qui se traduit par « les disparus » dans la langue du peuple Tk’emlúpsemc en Colombie-Britannique, existent bel et bien. Et chaque personne autochtone est soit un survivant des pensionnats indiens, soit l’enfant d’un survivant, soit le petit-enfant d’un survivant – ou soit les trois à la fois. 

Mais dans nos communautés, nous entendons ces voix qui nient la vérité. Qui répètent les mythes – que « les intentions étaient bonnes », que « les Autochtones ont appris de nouvelles compétences » dans ces pensionnats, ou encore « que l’on ne peut pas juger le passé selon les valeurs d’aujourd’hui », une idée qui fait abstraction des leaders canadiens et autochtones qui ont dénoncés ces pensionnats au fil de notre histoire. 

C’est le récit d’un génocide.

« No Pride In Genocide »

Plus de 5 000 enfants sont morts dans les pensionnats à travers le Canada aux XIXe et XXe siècles – et ce chiffre ne fait qu’augmenter. Arrachés avec violence à leurs familles, volés à leur langue et leur culture, ces enfants autochtones retrouvés dans les tombes anonymes sur les terrains d’anciens pensionnats à travers le Canada nous confrontent à l’histoire coloniale de notre pays.

Ici, dans le Nord de l’Ontario, nous prenons à peine conscience que nous étions le point zéro pour 14 des 16 pensionnats indiens partout en province. Que les terrains de l’ancien pensionnat de Shingwauk, aujourd’hui l’Université Algoma à Sault-Sainte-Marie, est le site d’un cimetière qui compte 109 sépultures, dont 72 étudiants décédés entre 1875 et 1956. Que le pensionnat de St. Mary’s à Kenora, en terre de la Première Nation de Wauzhushk Onigum, a révélé 171 sépultures potentielles plus tôt cet année. Et que d’autres anciens pensionnats dans le nord restent à dévoiler leurs crimes.

Il faut faire face à nos vérités historiques. Et confronter ceux qui s’obstinent à saper la vérité et à faire l’apologie des gouvernements coloniaux. Car, loin d’être marginaux, les négationnistes et apologistes font déjà partie intégrante de la politique et du journalisme mainstream.

« Un outil du génocide »

« Ce n’est peut-être pas étonnant », écrivait en 2019 la journaliste Tanya Talaga. Dans un article pour le Toronto Star, la journaliste anishinaabe, polonaise et canadienne écrivait que la riposte au mot « génocide » dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées prouvait que l’enquête nationale avait eu raison d’utiliser cette expression.

« Au cours des 150 dernières années, ce pays a appris à ses enfants – ses futurs policiers, politiciens, médecins et rédacteurs – à détourner le regard de la véritable histoire du Canada, à détourner les yeux du « problème indien » ou à le traiter comme un problème créé de toutes pièces par les peuples autochtones ».

« Ce détournement de l’attention, ce déni, est un outil de génocide », conclut-elle.

Oui.

Il ne peut avoir de réconciliation sans vérité.

Aucune réconciliation sans une confrontation des moyens par lesquels l’histoire persiste aujourd’hui – une violence qui s’est transmutée en rafle des années 60 ou en services de protection de l’enfance, qui a pris en charge trois fois plus d’enfants autochtones qu’il n’y en avait dans les pensionnats à leur apogée.

Aucune réconciliation sans fouiller les dépotoirs de Brady Road and Prairie Green à Winnipeg. au Manitoba, pour redonner Morgan Harris, Marcedes Myran et Mashkode Bizhiki’ikwe à leurs familles et à leurs communautés.

Aucune réconciliation sans la justice environnementale pour la Première Nation de Wetʼsuwetʼen en Colombie-Britannique jusqu’à la Première Nation de Grassy Narrows dans le Nord de l’Ontario.

Aucune réconciliation sans réaliser le rêve de la jeune Shannen Koostachin d’Attawapiskat, dans le Nord ontarien, qui a mené la lutte pour tous les enfants autochtones afin d’obtenir des écoles « sûres et confortables » et de recevoir un enseignement de qualité fondé sur leur culture.

Aucune réconciliation sans mettre en oeuvre du Principe de Jordan, afin de garantir que les enfants des Premières Nations obtiennent les services dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin partout au Canada.

Sans la vérité, « reconciliation is dead ». 

Un avenir collectif en jeu

Il faut reprendre le sentier de la réconciliation auprès des Premières Nations, des Métis et des Inuits par la vérité.

Nous, qui peuplons l’Ontario français avec notre vaste diversité culturelle, avons un devoir de confronter les forces de notre histoire coloniale ici, comme ailleurs, tout comme nous confrontons ces crises qui ont renversé l’Ontario français au fil des siècles. 

Alors qu’une prise de conscience déferle sur le pays, rappelons-nous que, cette fois, ce n’est pas que notre langue et notre culture qui sont en jeu, mais bel et bien l’avenir collectif de notre pays.

Et celui de notre humanité.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.