Serge Paul, le nouveau chien de garde des Franco-Torontois
[LA RENCONTRE D’#ONFR]
TORONTO – Depuis le mois dernier, Serge Paul n’est plus simplement un militant franco-torontois parmi d’autres. En prenant les rênes de l’Association des communautés francophones de l’Ontario à Toronto (ACFO-Toronto), cet employé du Conseil scolaire Viamonde devient en quelque sorte le chien de garde des Franco-Torontois. En pleine crise linguistique, et avec un budget extrêmement serré pour l’organisme, le défi sera pourtant immense.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
« Le 21 décembre dernier, vous deveniez président de l’ACFO-Toronto, en succédant à Constant Ouapo. Qu’est-ce-qui a changé professionnellement depuis un mois?
Tout d’abord, je n’ai pas quitté mon poste à Viamonde. Un poste de président de l’ACFO-Toronto, c’est un poste de bénévole. Il faut continuer à payer ses factures! Et à Viamonde, mon travail c’est de faire de la promotion auprès des écoles francophones de Toronto. Je vais rencontrer les différentes communautés en tête-à-tête pour faire connaître nos écoles, et faire le travail relationnel.
Pourquoi avoir décidé de postuler comme président?
Ça fait longtemps que je connais l’ACFO-Toronto. L’organisme est là depuis 40 ans. Ces derniers mois, la communauté francophone s’est impliquée dans le mouvement francophone. J’ai pensé que c’était le bon moment pour faire en sorte que l’ACFO-Toronto retrouve ses lettres de noblesse et pour aider la francophonie de Toronto qui se développe vite avec toujours plus de diversité.
Sans le début de la crise linguistique le 15 novembre, auriez-vous peut-être réfléchi avant de postuler?
Pas forcément! La francophonie est à cœur de beaucoup plus de francophones, et je pense que les francophones se sont resserrés, bien avant la crise linguistique. Je suis impliqué depuis 10 années, mais je remarque énormément de choses qui se développent.
On voit que les ACFO à Ottawa ou Sudbury sont très visibles et dynamiques, mais ce n’est pas le cas à Toronto. Comment l’expliquez-vous?
Oui, je fais ce constat. Les deux autres ACFO sont dans un milieu où les francophones sont plus nombreux, mais moins diversifiés. Ce n’est pas le cas à Toronto. On fait affaire à différentes communautés qui ont une différente façon de voir les choses. Les Français de France entre 19 et 30 ans sont de plus en plus importants à Toronto, ils vivent leur francophonie très différemment des Canadiens, car leur langue en France n’est pas en péril. Ils ne connaissent pas le combat de la langue. C’est notre travail au sein du conseil d’administration de montrer à ces communautés tout le travail que la communauté francophone fait.
Comment faire justement ce travail de sensibilisation pour aller chercher tous les francophones?
Il faut plus de travail sur les réseaux sociaux! Il faut aller voir les différents organismes communautaires et culturels, des différents pays francophones. Les associations locales francophones à Toronto sont dispersées, il faut donc les mettre ensemble et faire cause commune. L’union fait la force!
Une des choses, c’est que l’on n’a aucun financement et aucun employé. Un des gros succès malgré tout, c’est que l’on a une collaboration avec la Centre francophone de Toronto qui nous a offert un bureau dans leurs édifices. C’est un endroit où l’on peut archiver les documents, et s’en servir. Mais on ne peut pas faire les réunions là-bas, le bureau n’est pas assez grand.
Et au niveau financement, est-ce si difficile pour l’ACFO-Toronto?
C’est vraiment zéro financement, même si on a des dons qui nous permettent de survivre. On va travailler à faire des demandes de financement dans les mois qui viennent. Le dernier bilan financier, annoncé lors de notre assemblée générale annuelle, mentionnait 2 000 dollars annuels dans le compte en banque, mais aucun mouvement. C’est tout à fait un défi, même si des choses peuvent se faire sans argent. On veut être au même niveau que l’ACFO-Régionale Hamilton ou celle de Windsor, ou même comme l’Association des francophones de la région de York (AFRY).
Les trois dernières années, ce sont des bénévoles qui ont organisé des levées de drapeau, et d’autres événements à Toronto. On aimerait faire des projets plus gros.
Avez-vous une idée du temps de bénévolat pour un membre du conseil d’administration?
Difficile à dire comme je viens d’entrer en fonction, mais quand je parle aux anciens membres, c’est énormément d’heures. 20 à 25 heures de travail par semaine pour développer des projets, me disent-ils.
Sur quels dossiers l’ACFO-Toronto va se pencher au cours des prochains mois?
Sûrement le développement du Collège Boréal au Quartier de la distillerie. Il va y avoir toutes les interactions avec le gouvernement actuel, car on vient d’apprendre les risques qui pèsent sur les réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS).
Parlez-nous un peu de vous. Vous faites justement partie de ces nouveaux arrivants français qui arrivent chaque année un peu plus nombreux à Toronto…
Ça fait 18 ans que je suis là! Je suis arrivé en novembre 2000, pour un contrat de travail pour une compagnie anglophone qui cherchait du personnel bilingue, en ressources humaines. Pendant mes sept premières années au Canada, je faisais alors du recrutement et du référencement pour les candidats.
Aviez-vous conscience de la culture franco-ontarienne en arrivant à Toronto?
Je ne savais pas qu’il y avait des francophones, et beaucoup de Français ne le savent pas encore, en arrivant ici. Je n’étais pas impliqué dans la communauté francophone à vrai dire. J’étais là surtout pour améliorer mon anglais.
Comment s’est fait alors votre implication dans la communauté francophone?
Au début, c’était très personnel, comme le contact avec le docteur ou la police. Ce sont des cas où un peu de stress arrive, les mots en anglais disparaissent à cause du stress, et la situation se fait très mal. Ça m’avait pas mal ennuyé dès le départ. Au travail par l’éducation francophone à Viamonde, j’ai ensuite compris que beaucoup de gens avaient une langue locale. Vivre en Ontario n’est pas toujours facile.
Une chose que les gens ignorent de vous, c’est que vous êtes né en Iran où vous avez passé trois mois avant de déménager dans d’autres pays comme l’Égypte, le Koweït, l’Algérie ou le Gabon, puis d’arriver en France à l’âge de sept ans. Est-ce que cela vous a forgé des convictions linguistiques?
Tout à fait, nous voyagions beaucoup du fait de la profession de mon père. Ma maman vient d’Égypte. Je suis moitié francophone par mon père, et moitié égyptien. Mes grands-parents vivaient à Alexandrie. Ma grand-mère était italienne, il y avait de l’égyptien, du français et de l’italien à la maison. Aujourd’hui, je suis encore fier d’apprendre des mots en arabe à mes enfants. Ma femme est éthiopienne. Les langues, les enfants l’apportent dans leur vie. Pour ma part, je parle l’italien, le français et l’anglais, et je connais quelques expressions en arabe.
Voyez-vous des méthodes d’éducation différentes entre votre pays d’origine, la France, et le Canada?
Oui. Ici, en Ontario, les cursus scolaires sont développés, plus centrés sur les élèves. C’est intéressant de constater aussi que chez les francophones, les écoles et classes sont plus petites, donc il y plus de travail sur le social de l’élève.
Et dans l’exercice de votre métier, avez-vous perçu des changements avec la crise linguistique?
Il y a plus d’engagement et plus de relations avec la communauté. Plus de discussions et de recherche de solutions. Plus de personnes voulaient s’engager dans cette crise. Mon travail avant était que j’allais vers les gens, et maintenant ce sont les gens qui viennent à nous pour en savoir plus.
En plus de vos fonctions à Viamonde et de président de l’ACFO-Toronto, vous êtes également co-président du Comité communautaire consultatif francophone du Service de police de Toronto. En quoi cela consiste?
On a développé, par exemple, plus de phrases en français dans le blocs-notes des policiers dans la rue. Ce n’est pas facile de développer les contacts entre la communauté francophone et la police. Beaucoup de gens viennent d’un pays où la police est coercitive, et l’expérience dans les communautés d’origine fait qu’il y a un stress qui peut se créer dans l’interaction avec les policiers.
Il y a certains services, mais qui ne sont pas utilisés beaucoup par la population. Par exemple, à la police de Toronto, on peut remplir le formulaire du casier judiciaire en français depuis peu. Six ou sept formulaires de demandes d’information, de divulgation pour le travail, sont aussi disponibles en français. Plus les francophones feront de la demande active pour avoir ces formulaires, plus la police va les développer. »
LES DATES-CLÉS DE SERGE PAUL :
1971 : Naissance à Avhaz (Iran)
1978 : Arrivée en France
2000 : Immigre au Canada, à Toronto
2008 : Commence à travailler au Conseil scolaire Viamonde
2018 : Élu président de l’ACFO-Toronto
Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.