This is Indian Land : vers une décolonisation de l’hymne national du Canada. In English. Et en français

Le pont de Garden River dans le Nord de l'Ontario. Gracieuseté.

[CHRONIQUE]

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

C’est l’époque de vérité – et de réconciliation. Du remix. Des mots justes. De la réinvention de l’hymne national en Canadian English, écrite en 1908. Réécrite en 1968. En 1980. Et en 2018. Il y avait, semble-t-il, du pain sur la planche. Mais qu’en est-il de la version franco? Avons-nous, comme communauté linguistique, fait le dur et délicat travail de réflexion sur les paroles d’un hymne jusqu’alors immuable?

« THIS IS INDIAN LAND ». Ceci est une terre autochtone.

Ce magnifique graffiti, peint au clair de lune sur le pont ferroviaire de la Première nation à Garden River dans le Nord de l’Ontario en 1973, est un cri de cœur anichinabé, « un acte de revendication et de fierté », un rappel que nous habitons des terres autochtones.

Des terres sacrées. Pillées. Revendiquées. Ravagées. Protégées. Et cinquante ans plus tard, en cette époque de vérité et de réconciliation, la missive peinte sur le pont de Garden River est toujours incontournable.

Il nous faut des mots justes. Des mots, des actions qui peuvent panser des blessures historiques. Symboliques.

Car le Canada est « notre maison en terre autochtone ». This is Indian Land.

Le Remix

Jully Black nous a prêté sa voix, même si « les mots ne venaient plus ». Depuis quelques années, cette grande artiste — fille d’une immigrante de la Jamaïque, reine du R&B canadien et thought leader Noire — ne chantait plus l’hymne national, bouleversée par les tombes d’enfants autochtones trouvées sur les terrains d’anciens pensionnats.

En février 2023, Jully Black reprenait l’hymne lors d’un match des étoiles de la NBA, chantant « O Canada, our home on Native land ». Un seul mot, lourd de symbolique, changé.

« Je ne voulais pas manquer de respect à l’auteur-compositeur », a-t-elle expliqué. « Mais je me rends également compte que nous sommes sur la terre, nous ne la possédons pas, elle ne nous appartient pas. J’aimerais pouvoir m’asseoir avec l’auteur-compositeur et dire, « Hé, vous avez peut-être mal compris les faits ».

« Et », ajoute-t-elle, « pourrions-nous faire un remix? ».

Tout comme Jully Black, l’artiste franco-canadien Mehdi Cayenne, né en Algérie dans le nord de l’Afrique, ayant grandit au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Ontario, il allait lui aussi nous prêter voix.

Une critique – « une polémique », glorieusement « antipatriotique », son Ô Canada (2010) examine les revers du nationalisme canadien, ouvrant avec ces paroles : « Ô Canada, our home on Native land ».

« Comme immigrant, on ne se fait pas raconter toute l’histoire », soulignait Mehdi Cayenne en 2019. « Ultimement, ce n’est pas le gouvernement canadien qui t’accueille, c’est les nations souveraines des peuples autochtones qui t’accueillent ».

Le chanteur Mehdi Cayenne. Crédit image : Fred Lombard/indiemusic.fr

Tout comme ceux qui, comme moi, sont nés en cette terre d’accueil d’ancêtres français, on ne se fait pas raconter toute l’histoire. Que ce sont les nations souveraines autochtones qui nous ont accueillis. Moi. Mes aïeux.

This is Indian land.

Les OG de l’hymne national

« On a presque envie de sourire devant un chroniqueur conservateur de Toronto qui croit qu’on ne peut pas toucher aux paroles de l’Ô Canada », écrit Emilie Nicolas dans les pages du journal Le Devoir sur la controverse suscitée par le geste solidaire de Jully Black.

« On a envie de lui rappeler que la musique originale est de Calixa Lavallée », poursuit-elle. « Et que le poème est d’Adolphe-Basile Routhier. Que l’hymne a été chanté pour la première fois le 24 juin 1880, pour les fêtes de la Saint-Jean-Baptiste! Que le mot « Canada », à l’époque, était encore largement synonyme du Canada français! Et que les traductions anglaises (oui, au pluriel — il y en a eu plusieurs) constituent déjà une forme de récupération politique d’un chant qui a été conçu pour parler de tout autre chose que ce qu’il représente aujourd’hui ».

L’artiste Jully Black. Crédit image : : Facebook Jully Black

O Canada, version anglo, est basée sur des paroles de Robert Stanley Weir écrite en 1908. Réécrites en 1968. En 1980 (l’année où elle devient hymne national). Et en 2018 (« thy sons » devient « us »). De toute évidence, il y avait du pain sur la planche et des paroles qui méritaient d’être éditées.

Mais avons-nous, du côté franco, fait ce même travail de notre hymne national dont les paroles sont immuables depuis sa rédaction il y a 143 ans? Pouvons-nous puiser l’inspiration dans les deux autres versets qui, certes, reflètent un catholicisme colonial, mais qui nous exhorte également à « sur notre sol, asseoir la vérité » et à « être un peuple de frères »?

Ne faut-il pas une réflexion franconationale qui témoigne de notre affection et respect pour cette « terre de nos aïeux »?

This, après tout, is Indian land.

Les mots justes

« Ô Canada… tu seras bien ce que ton enfant en fera », chante Mehdi Cayenne.

Oui. Or, faisons-en quelque chose de juste. Le Canada traverse une « période d’introspection » sur son histoire, souligne l’intellectuel Jack Jedwab, président du Canadian Studies Association, et, poursuit-il, « il y a une certaine valeur à essayer de reconnaître qui nous sommes, correctement ».

Qui nous sommes. Correctement.

Lors de la fête du Canada cette année, on révélait qu’un Canadien sur trois souhaite un amendement de l’hymne national. Plus tôt ce mois-ci, un second sondage réitérait que 41 % des Anglo-Canadiens sont en faveur d’un amendement des paroles de l’hymne national. Si j’étais Anglo-Canadienne, je serais de ce nombre. Et si je suis fière, féroce et franco, je suis aussi de ceux qui souhaitent ce remix. Mais il nous faut plus qu’un « home on Native land », plus qu’une « terre de nos aïeux ». En anglais. En français. En bilingue officiel. Dans les langues de la constellation de peuples de ce vaste pays.

Car ceci est notre « maison en terre autochtone ».

This is Indian Land.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.