Tourner sa langue sept fois avant de parler…
[CHRONIQUE]
Justin Trudeau multiplie depuis plus d’un mois les gaffes et les déclarations incongrues au sujet des langues officielles. Cela ne peut confirmer que la dualité linguistique ne pèse pas lourd dans ses préoccupations. Les Franco-Ontariens qui espèrent encore de grandes choses de la part du premier ministre feraient mieux de regarder la réalité en face plutôt que de continuer à se faire aveugler par les voies ensoleillées.
DIÉGO ELIZONDO
Chroniqueur invité
@Diego__Elizondo
Tout le monde en bave
En direct à la télévision avec Patrice Roy en décembre dernier, Justin Trudeau a lancé une boutade baveuse (c’est son adjectif) qui en a fait sursauté plus d’un : la question ne serait pas de savoir s’il est pour l’officialisation du bilinguisme à la ville d’Ottawa, mais bien de savoir (avec une pointe d’air méfiant dans le regard) pourquoi Gatineau ne ferait pas de même!
Tout juste avant, Trudeau avait confondu les francophones vivant en situation minoritaire et les élèves de French Immersion : à propos du méga procès de l’éducation en français de la Colombie-Britannique d’octobre dernier, il s’est empressé de dire que l’enseignement en langue seconde était quelque chose dont il était fier, lui-même l’ayant enseigné dans une autre vie…
Ce genre de réponses hébétées, les Franco-Ontariens se le sont fait servir trop de fois par leurs détracteurs, des gens qui (trop) souvent ignorent totalement leur réalité. En vérité, si ces commentaires en ont sidérés plus d’un (y compris chez les éditorialistes des journaux québécois Le Devoir et La Presse), ils étaient cohérents avec les déclarations passées de Justin Trudeau.
Couleurs affichées bien avant
Dans un discours qu’il a livré devant 2 000 enseignants de l’élémentaire réunis à Saint-Jean au Nouveau-Brunswick en mai 2007, Justin Trudeau avait remis en question l’existence d’un système scolaire linguistiquement distinct digne de la « ségrégation » (le mot est, évidemment, fort chargé). Selon lui, il était peut-être « moins cher » d’avoir un seul réseau, bilingue avant d’ajouter que « les discours de division ne sont pas les voies de l’avenir. » (Les voies de l’avenir, on le sait, sont ensoleillées et visiblement pas en français).
Quelqu’un dans la salle lui a demandé carrément s’il croyait, dans ce cas, au bilinguisme (!) Trudeau a déclaré que non, avant d’ajouter qu’il préférait le « trilinguisme » ou le « quadrilinguisme [sic] ».
L’indignation avait suivi, les excuses (inévitables) aussi. Liza Frulla, entres autres, rageait que le fils de Pierre Elliott Trudeau ne comprennent pas « les principes directeurs du Canada » et la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick (SANB) avait diffusé un communiqué reprochant à M. Trudeau d’avoir démontré « sa méconnaissance totale de la réalité culturelle et linguistique du Canada ».
Le premier ministre, qui n’était qu’à l’époque qu’un simple candidat libéral, effectuait sa première sortie politique. Force est d’admette qu’il ne s’agissait pas que d’un simple accident de parcours mais qu’elle trahissait véritablement sa vision des choses.
La réponse de Trudeau 2007 était conséquente avec celle donnée à Patrice Roy en 2016. Le statut du français qu’il soit à la ville d’Ottawa ou dans les écoles du Nouveau-Brunswick est banalisé par le premier ministre. C’est le multicultarisme qui est valorisé par Justin Trudeau. Pas les langues officielles, qui lui semblent incohérentes avec la célébration de la diversité…
Les politicologues Martin Normand et Frédéric Boily ont souligné à #ONfr que Justin Trudeau perçoit les langues officielles de façon instrumentale, utilitaire et économique. Le maire d’Ottawa Jim Watson est aussi de cette école. Les Franco-Ontariens qui luttent pour qu’Ottawa deviennent officiellement bilingue soutiennent plutôt que les langues officielles, surtout en cette année du 150e anniversaire de la Confédération, sont un vecteur identitaire important pour assurer la cohésion du pays et une question de respect. Chez Patrice Roy, le premier ministre a étalé une fois de plus qu’il ne partage pas cette pensée.
Et si c’était Harper?
Les Franco-Ontariens ne doivent plus se surprendre de l’idée que s’est fait le premier ministre Justin Trudeau à leur égard, qu’il soit le fils de Pierre ou non.
Mais il se trouve toujours plusieurs acteurs en Ontario français qui continuent à garder espoir en lui, même lorsqu’il est baveux, de son propre aveu.
La francophonie est prête à déchirer sa chemise lorsque les conservateurs y sont pris en faux (avec raison), mais pour les libéraux, y semblent qu’elle soit davantage conciliante.
Me reviennent en tête les paroles suivantes prononcées par Linda Cardinal au micro d’#ONfr en octobre dernier : « Dans les milieux francophones, on a l’air prêt à laisser la chance à Trudeau, parce qu’on semble convaincu qu’il y a quelque chose de bien qui va en sortir […] Si ça avait été le gouvernement conservateur, on serait peut-être déjà devant les tribunaux. C’est comme si M. Trudeau ne pouvait pas décevoir! »
2017 sera-t-elle l’année de la déception?
Diego Elizondo est étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université d’Ottawa.
Note : Les opinions exprimées dans cette chronique n’engagent que son auteur et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.
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