Didier Leclair est le nom de plume de Didier Kabagema. Crédit image : Sandra Padovani

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

TORONTO – L’écrivain franco-canadien Didier Leclair, maintes fois récompensé – le prix Trillium dès son premier roman Toronto, je t’aime en 2000, lauréat du prix Christine Dumitriu Van Saanen pour Pour l’amour de Dimitri en 2016, ou encore finaliste du Toronto Book Award pour Ce pays qui est le mien en 2019 – est un citoyen du monde. Né à Montréal, il a grandi dans différents coins d’Afrique, avant de revenir à 18 ans découvrir le pays dans lequel il est né. Celui qui a choisi de taper ses premiers romans à la machine à écrire nous partage avec candeur son voyage littéraire, et, dans le contexte du Mois de l’histoire des Noirs, sa vision du dénominateur commun de ce qu’est l’identité noire.

« Quelles raisons vous ont poussé à écrire? Était-ce une vocation? 

C’est une vocation dans le sens que j’aime les mots depuis toujours. Ma famille entière était littéraire. La bibliothèque de mon père, docteur en médecine, était en fait plus remplie d’œuvres littéraires et d’essais politiques que de livres de sciences. Ma mère et mes deux sœurs étaient très orientées vers les arts également. J’ai commencé par la poésie vers l’âge de 12 ans et j’ai eu la chance que mes parents me laissent faire sans rien dire, car ils savaient qu’à un âge très tendre, on est un peu gêné d’écrire. Il était clair que j’allais me diriger vers les livres et l’écriture.

Quelles autres professions avez-vous exercées en dehors de votre carrière d’écrivain?

J’ai notamment été journaliste pour la radio et la télévision, j’ai aussi travaillé comme correcteur d’épreuves et je travaille maintenant à plein temps pour le groupe YMCA, qui propose des services sociaux et linguistiques pour les nouveaux arrivants du Canada. Je guide les immigrants qui veulent apprendre le français en évaluant leur niveau linguistique et en leur proposant les programmes d’apprentissage adaptés. Vous seriez surprise de savoir que beaucoup de gens venant de pays très lointains un peu inattendus, comme l’Ukraine, la République tchèque et autres, parlent un peu de français ou souhaitent l’apprendre comme un atout au Canada.

Pourriez-vous me parler de votre premier livre Toronto, je t’aime? Peut-on y voir une ode à la ville dans laquelle vous vivez aujourd’hui?

C’est plus une ode aux Torontois. Toronto n’est pas selon moi la plus belle ville du Canada, mais ce sont les Torontois qui sont les plus intéressants. Ce qui m’a frappé ici c’est la capacité à accepter l’autre, le multiculturalisme, cette capacité de rencontrer chaque nationalité. Il y a ce contact permanent. Personne ne s’inquiète de votre accent et on se sent comme un poisson dans l’eau. Et c’est pour ça que j’ai voulu rendre hommage à cette ville qui est un échantillon du monde. On a de tout à Toronto et c’est ce que je trouve magnifique. On se sent plus proche de gens venus d’ailleurs.

Le premier roman de Didier Leclair, Toronto, je t’aime, lui a valu le prix Trillium. Montage ONFR+

Vous êtes né à Montréal. Y avez-vous grandi?

Mon histoire insolite est que je suis né à Montréal, mais que je n’y ai pas vécu ni grandi. Je suis né ici un peu par accident et après ça mes parents, mes sœurs et moi sommes rentrés en Afrique. Dans son travail pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mon père était en contact avec le corps diplomatique canadien. Un jour, le consul l’a par hasard informé que j’étais Canadien de facto, chose que mes parents ne savaient pas.

Mon père était envoyé dans différents pays francophones d’Afrique pour aider à éradiquer des maladies. Nous voyagions avec lui et nous allions dans des écoles françaises. C’est comme ça que j’ai grandi dans différents pays d’Afrique tels que le Togo, le Bénin, le Gabon, etc. J’étais Canadien, mais je n’avais qu’une idée vague de ce qu’était le Canada. C’est pour ça que j’ai décidé de revenir ici, à 18 ans, découvrir ce pays dans lequel je suis né. Et enfin, plus tard, d’y rester. Dans Toronto, je t’aime, on retrouve ce regard neuf de découverte de la ville.

De quel pays d’Afrique vous sentez-vous le plus proche?

On est resté plus longtemps au Gabon en Afrique centrale, mais en réalité j’ai plus un attachement envers l’Afrique en général plutôt qu’un pays particulier. J’ai l’impression d’avoir une identité multiple. Tous les pays où j’ai vécu m’ont donné une idée beaucoup plus large de ce que c’est d’être africain. On remarque rapidement les points communs plutôt que les différences. En revanche, quand je rencontre des Africains, je sais toujours instantanément d’où ils sont, ce qui surprend toujours!

Lequel de vos livres vous caractérise le plus?

On évolue en permanence à différentes étapes de notre vie, mais celui qui me ressemble le plus maintenant est l’avant-dernier : Le bonheur est un parfum sans nom. Dans ce livre, je parle d’une de mes passions, le jazz. Je dirais que c’est le livre qui cerne le plus l’état d’esprit dans lequel je suis.

Pourquoi avoir choisi de taper à la machine à écrire?

Lorsque j’ai commencé à écrire mon premier roman, on était à peine en 1998 et j’étais alors étudiant. Je n’avais pas les moyens de m’acheter un ordinateur à l’époque. C’est comme ça que l’idée de la machine à écrire m’est venue et après ça j’ai continué purement par passion. Je suis tombé amoureux du bruit de la machine, le contact direct avec le papier, le fait qu’il faille ajouter le liquide correcteur. Tous ces éléments m’ont fait tenir trois livres avant de passer à l’ordinateur.

M. Leclair est l’auteur d’une dizaine d’œuvres. Gracieuseté

Quel est votre prochain projet d’écriture?

Avec moi, il y a des livres publiés et des livres pas encore publiés, car j’écris beaucoup. Il y a un notamment un livre sur le Rwanda et le génocide des Tutsis avec lequel j’ai réussi à me rapprocher encore plus de ce pays par le biais de cette histoire. C’était extraordinaire de retrouver les mots de la langue de mes parents, le kinyarwanda. C’était comme retrouver mon enfance et ce que j’ai pu vivre de très intime avec des parents rwandais. J’ai aussi écrit un livre d’espionnage qui se passe durant la Seconde Guerre mondiale. Il m’a beaucoup plu. J’y ai fait un très beau voyage dans le temps et ce sera peut-être le prochain à sortir, avant celui sur le Rwanda.

Dans un contexte linguistique minoritaire, en tant que francophone, est-ce que vous voyez ça comme un défi?

Vivre en français à Toronto et en Ontario requiert une volonté. Ce n’est pas naturel, sinon on s’anglicise facilement. Oui, c’est un grand défi de tous les jours. Mes enfants sont allés à l’école française et je leur ai parlé français. Il faut y croire et il faut le vouloir. En tant que Canadien d’expression française de l’Ontario, je crois qu’on n’a pas le choix, on doit insister et continuer à parler français, à garder nos écoles. C’est un atout.

Pensez-vous que le fait d’être Noir à Toronto au Canada soit source d’obstacles?

Oui, je dirais que c’est le cas. On a tendance à rencontrer plus de difficultés à accéder à certains services ou à certains emplois, par exemple. Nous avons affaire à un racisme systémique qui existe encore et qui requiert de la patience et de l’éducation. L’histoire y contribue avec l’esclavage passé, même au Canada, dans cinq ou six provinces. Dans l’histoire moderne du Canada, il y a aussi le fait que l’on ait énormément dénigré les Noirs canadiens dans les années 50 et 60. Les diplômés ne pouvaient pas trouver un emploi dans leur domaine au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse, alors ils étaient serveurs dans les trains pour la plupart.

Contrairement aux États-Unis, ces lois discriminatoires n’étaient pas écrites officiellement au Canada, c’est la particularité. Même au cinéma, vous ne pouviez pas vous asseoir n’importe où. Le plus difficile est d’accepter qu’il y ait des préjugés forts. Quand on accepte ce fait, on peut commencer à comprendre et à améliorer les choses. Mais il y a quand même du progrès et des choses positives. De hauts cadres, des éditeurs, des artistes reconnus, des personnalités politiques font partie de la communauté noire.

Pour Didier Leclair, le Mois de l’histoire des Noirs a le mérite de susciter le débat, l’ouverture aux autres. Crédit image : Sandra Padovani

Que pensez-vous du Mois de l’histoire des noirs?

Je crois qu’il est positif de mettre en lumière la communauté noire pendant un mois particulier. On ne peut jamais satisfaire tout le monde, mais c’est un premier bon pas qui permet au moins d’amorcer la discussion. Au moins, on a quelque chose sur lequel on peut s’appuyer pour ouvrir le débat, mettre en avant des personnalités noires, des artistes. Les jeunes ont besoin de s’identifier à des modèles. Je ne pense pas qu’il faille rejeter cette idée, mais je ne pense pas qu’il faille s’arrêter en si bon chemin non plus.

Qu’est-ce qui qualifie l’identité noire selon vous?

Ce qui caractérise l’identité noire, c’est une culture et un état d’esprit, c’est être proche des intuitions intellectuelles et des sensations. Tout à l’heure on évoquait le jazz, invention 100% noire au départ. On y retrouve cette capacité d’improvisation, de création sans forcément avoir un esprit rationnel normé. C’est un dénominateur commun, aussi bien dans les Antilles, en Afrique, au Brésil ou ailleurs. On se reconnait grâce à ça parce qu’on a cette intelligence intuitive, cette spontanéité.

Est-ce que vous auriez un conseil à donner aux personnes pour qui l’identification ou l’appropriation de leur identité noire est plus difficile?

Il faut lire, s’intéresser aux arts et à la culture noire. Certains jeunes sont peut-être un peu perdus et cherchent leur chemin. Se rapprocher de tous ces éléments de la culture noire, à travers la musique, la danse, les philosophes, la littérature, peut les réconcilier avec les défis auxquels ils peuvent être confrontés. Se rapprocher de ce qui est culturel, cela permet de se rapprocher de ses origines. Comprendre d’où on vient pour savoir où on va. »


LES DATES-CLÉS DE DIDIER LECLAIR :

1967 : Naissance à Montréal (par un médecin amérindien prédisant qu’il serait très grand)

2000 : Prix Trillium pour son premier roman Toronto, je t’aime aux éditions du Vermillon

2000 : Sortie d’un article du Globe and Mail en anglais sur Toronto, je t’aime, un moment charnière pour Didier Leclair

2004 : Publication de son deuxième roman Ce pays qui est le mien, finaliste du Prix du Gouverneur général

2005-2006 : Nouvelle période d’écriture en tant que jeune papa de deux enfants en bas âge

2022-2023 : Écriture d’un de ses romans encore non publiés sur le Rwanda, qui le rapproche du pays de ses parents

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.