Layla* est poète. Féministe musulmane et activiste. Joyeuse. Une Palestinienne libre – mais aussi, occupée. Colonisée. Rongée par l’incertitude qui habite le quotidien de sa famille dans le Nord de la bande de Gaza.

« We are still alive ». « Nous sommes toujours vivants », traduit Layla de l’arabe vers l’anglais sur ses réseaux sociaux. « Un message – le seul, pour lequel je prie et attends tous les jours. »

Layla, Layla. Mon amie, Layla.

Nous étions autrefois jeunes idéalistes dans une ville de cyniques engagés (bonjour, Ottawa). Ce serait elle qui allait me siffler « go talk to him, girl! » en me voyant soupirer rêveusement pour un jeune journaliste (Alexandre Trudeau) lors d’un événement au Musée des beaux-arts du Canada.

C’est elle qui, dans un acte de sagesse et d’empathie quelques années plus tard, nos cœurs brisés par des ingrats, allait me faire comprendre que le bonheur, c’est moi. Layla, Layla. Je pense beaucoup à toi, Layla. Au creux de ma tanière de glace dans le Nord de l’Ontario, ta poésie déferle sur ma conscience, Layla :

« La voix pour laquelle nous parlons est celui ou celle dont le corps est cloué au sol avec une botte sur leur cou. »

« Saada »

Petite fille de Jannah*, une élégante téta, fille d’un homme très riche de Jérusalem, la grand-maman maternelle de Layla allait grandir en montant à cheval, nommant sa bête préférée « Saada ».

« Bonheur » en langue arabe.

« Ma famille possédait (et possède toujours) toutes les boutiques situées le long des rues menant à l’église du Saint-Sépulcre. Dans son testament, mon arrière-grand-père a laissé les loyers de ses magasins à ses enfants, avec la consigne de ne pas les augmenter. Il a indiqué qu’après le décès de son dernier enfant, les loyers de ses magasins commenceraient à être versés à des orphelinats. »

« C’est ma famille, et mon deen », écrirait Layla, émerveillée par la noblesse de ses ancêtres et de leur dévotion au « waqf », une coutume musulmane chez les riches qui assure qu’une partie de leur héritage aille aux plus démunis de la communauté.

Layla est l’espoir des siens, née en Afrique et arrachée à sa terre en Palestine, suivant le chemin tracé par ses ancêtres pour devenir immigrante au Canada.

« Tous les jours, ma grand-mère pleurait des larmes d’eau de rose dans sa terre, faisant pousser des concombres cueillis et offert à sa fille en subsistance pour la longue marche vers le Canada. »

« Je suis reconnaissante que vous n’êtes pas là pour témoigner », écrit Layla à sa téta. « Ra7matuLaah 3aleeki ya téta, I am grateful you are not here to witness. »

L’apathie, un droit et privilège

« En 1948, les Israéliens sont passés de porte-à-porte », partage Layla. « lls ont fait sortir les mâles (de tous âges, c’est pourquoi je ne peux pas simplement dire « les hommes »), les ont alignés contre les murs et les ont fusillés au milieu de la nuit. »

C’était l’époque de la Nakba, la catastrophe, le déplacement massif et la dépossession des Palestiniens pendant la guerre israélo-arabe de 1948.

« C’est ainsi que ma famille matrilinéaire a perdu de nombreux membres de sa famille, poursuit-elle. Ces tactiques ne sont pas nouvelles, elles ne sont pas surprenantes, elles sont habituelles et nous vous demandons d’y prêter attention depuis 75 ans et 36 jours. »

« i don’t get involved in politics », répondraient certains. Je ne m’implique pas dans la politique. Comme l’écrit Layla : « (Apathy is your right?) ».

« Mais quand vous collez vos lèvres l’une à l’autre vos mains ne sont pas adoucies par la neutralité le fil n’est pas sans violence. »

« Que faites-vous pour mettre fin au génocide et à l’occupation?, cherche-t-elle à savoir. Que faites-vous? Que faites-vous? Que faites-vous? Que faites-vous? »

Et l’Ontario français dans tout ça

Que faisons-nous, Layla? Soixante-quatre jours après le renouveau du conflit et face à une seconde Nakba, une catastrophe qui a réclamé plus de vies que la Nakba de 1948, que faisons-nous?

Ici, en Ontario français, loin des bombes, de la faim et de la maladie, le silence institutionnel rugit – exception faite à la Galerie du Nouvel-Ontario, qui a fermé ses locaux en solidarité dans le cadre de la grève générale mondiale en solidarité avec la Palestine. Exception faite également à quelques artistes, intellectuels et académiques – l’artiste musical Mehdi Cayenne, l’artiste de théâtre et la féministe France Huot, l’autrice et académique Monia Mazigh, l’artiste de théâtre et activiste queer Alex Tétreault – qui se sont également mobilisés par le biais des réseaux sociaux pour faire la lumière sur l’histoire et le sort de la bande de Gaza.

Une francophonie débranchée du mondial. Mais comme société multiculturelle, n’avons-nous pas la responsabilité et l’obligation d’être citoyens mondiaux, informés et engagés?

De l’Île de la Tortue à la République démocratique du Congo, au Soudan, au Yémen, au Burkina Faso, en Afghanistan, en Haïti.

À Gaza.

Que faisons-nous?

Que faisons-nous?

Que faisons-nous?

Que faisons-nous?

Dans le firmament des ancêtres

Je fais ce que je peux, Layla.

J’écris à mon député et mon premier ministre. J’amplifie, j’agite, je prends la parole. Et je te partage – toi, ta voix, ta foi, ta culture.

Car tu es résistance.

« À ma famille dans une Gaza occupée », écrivais-tu dans un de tes recueils de poésie, « nous sommes avec vous. Nous sommes toujours avec vous ».

Moi aussi. Et toi, Layla, tu es l’écho de tes ancêtres. Là-bas, ici. Comme tu l’as écrit dans une offrande poétique à ta mère et à tes tantes – ta lignée de sang.

« Je jette un filet, attrape tes étoiles à l’eau de rose et j’écris une structure pour garder les cœurs de mes ancêtres. »

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.