Zahra Diallo encourage les Franco-Torontois à demander activement des services

Zahra Diallo, présidente de l'ACFO Toronto
Zahra Diallo, présidente de l'ACFO Toronto. Crédit image: Rudy Chabannes

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

TORONTO – Zahra Diallo a succédé à Serge Paul à la présidence de l’Association des communautés francophones de l’Ontario de Toronto (ACFO-Toronto), organisme porte-parole des Franco-Torontois. Juriste de formation, cette agente d’entité de planification des services en français a grandi entre le Maroc et le Togo avant d’embarquer pour Montréal puis Toronto, une ville qu’elle adore et où elle veut développer la francophonie.

« Pourquoi avoir saisi l’opportunité de présider l’ACFO-Toronto?

J’étais déjà impliquée dans l’organisme depuis trois ans en tant que vice-présidente. Chaque événement ou sujet était l’objet de discussions passionnées avec Serge (Paul). On travaillait main dans la main sur les principaux dossiers. En m’élisant, les membres du conseil d’administration y ont vu une suite logique.

Quel sera votre principal cheval de bataille?

Ce sera d’encourager la demande active de services en français de la part de la communauté. Il n’y a pas beaucoup de services parce qu’en général les francophones ne les demandent pas. Et d’un autre côté, j’entends souvent les allophones questionner : « Pourquoi favoriser les francophones ». Beaucoup de gens n’ont pas encore compris la place du français au Canada et en Ontario.

Comment expliquez-vous que les francophones ne demandent pas assez à être servis en français?

Beaucoup de communautés culturelles ne se sentent pas incluses ni représentées dans notre francophonie. Il faut aller les chercher, trouver des façons de les rejoindre et les impliquer. On est en train de travailler à un plan pour cela. Ça pourrait passer par une rencontre avec ces communautés pour les sensibiliser aux services en français.

Mme Diallo lors d’une cérémonie de lever de drapeau franco-ontarien devant l’hôtel de ville. Gracieuseté

Développer ou maintenir des services en français ne passe-t-il pas également par convaincre des alliés anglophones?

On aimerait beaucoup travailler avec plus d’anglophones. Certains sont très ouverts, investissent du temps et de l’argent mais se rendent comptent que les services ne sont pas demandés. C’est à nous de démontrer le besoin est bien là. C’est un donnant-donnant.

Vous souhaitez améliorer la santé organisationnelle de l’ACFO-Toronto. Qu’entendez-vous par là?

L’idée est avant tout de se restructurer pour faire participer tout le monde et être plus efficace. On a demandé aux membres qui ne pouvaient pas s’impliquer cette année de se retirer, ce qui a libéré des postes. Deux nouveaux administrateurs se sont joints à l’équipe. Tous travaillent dans des domaines qui encouragent l’offre de services en français. Ceux qui sont là vont vraiment participer. Il nous reste un poste à combler.

En quoi consiste votre travail d’agente au sein de l’Entité 3?

On fait de la planification de services, c’est-à-dire que, lorsqu’un fournisseur de soins financé par le gouvernement (hôpital, clinique, etc.) nous demande comment mettre en place une politique de services en français, il fait appel à nous et on l’aide à remplir toutes les conditions d’identification puis de désignation (en vertu de la Loi sur les services en français). On l’accompagne de A à Z : affiches en français, recrutement bilingue… Un projet peut prendre plusieurs années. L’un des plus récents, une désignation au sein du Women’s College Hospital, a pris deux ans.

Mais vous avez avant tout une formation juridique…

J’ai étudié le droit à Montréal. J’ai un baccalauréat en droit civil. Au moment d’entrée à l’école du barreau, j’ai dû déménager à Toronto. En voulant me réinscrire en droit en Ontario, j’ai appris qu’il fallait refaire trois ou quatre ans d’études. Je me suis donc résolue à chercher du travail, d’abord au Centre francophone de Toronto, puis dans une entreprise privée, avant d’intégrer l’Entité 3, toujours en faisant profiter de mon expertise juridique.

Zahra Diallo a succédé à Serge Paul à la tête de l’ACFO Toronto. Gracieuseté

Vous êtes donc l’exemple vivant des problèmes d’équivalence de diplôme et de manque de passerelles professionnelles entre provinces. Cela a-t-il forgé votre conviction de lutter contre ce type d’obstacle que rencontrent les francophones?

On m’avait dit qu’il existait une entente entre l’Ontario et le Québec, qu’il suffisait juste de suivre deux ou trois courts pas communs aux deux provinces. Mais ce n’est pas une réalité. Il existe encore trop de barrières pour les francophones. On a la même chose dans le domaine de la santé pour les médecins par exemple. Je veux clairement faire bouger les lignes.

Comment imaginez-vous les services en français à Toronto dans cinq ans?

Quand j’irai à la réception par exemple d’un hôpital, la personne qui me recevra et ouvrira mon dossier sera francophone ou bilingue et comprendra ma situation. Le plus important pour moi en termes de services en français, c’est le domaine de la santé car c’est vital. On doit régler cela avant les autres enjeux comme les services bancaires ou autres. Je suis sensible à tout ce qui touche aux services en français. C’est une priorité de tous les jours dans mon travail. Je vois les obstacles auxquels les francophones se heurtent pour obtenir certains services. Ce qui m’anime, c’est de leur faciliter choses.

Mme Diallo entourée de l’équipe de l’Entité 3, basée dans les locaux du Collège Boréal à Toronto. Gracieuseté

Pourquoi vous qualifiez-vous vous-même d’internationale?

Je suis née en Guinée et j’ai grandi entre le Maroc à Rabat, où j’ai passé la plus grande partie de ma vie, pour ensuite déménager au Canada, à Montréal. J’ai voyagé au Togo, au Nigéria, au Mali, en Belgique, en France. Ma mère vient du Niger, mon père de la Guinée. Alors oui, j’aime souvent dire que je suis internationale! J’ai toujours baigné dans ce mélange de culture. On surnommait mon collège « les Nations unies » tellement la diversité y était grande.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappée en Amérique du Nord?

Ce qui m’a manqué en arrivant ici, c’est le tissu social qui existe en Afrique. Je ne l’ai pas retrouvé ici mais j’ai vite compris qu’il y a beaucoup de communautés recomposées ici et qu’il suffit juste de savoir se regrouper ensemble. J’avais le sens de la communauté en Afrique et je le reconstitue ici.

Comment avez-vous réagi à la démission du maire de Toronto, John Tory, un interlocuteur essentiel pour l’ACFO-Toronto? Cela signifie-t-il qu’il va falloir reconstruire une relation de confiance en partant de zéro?

On a déjà des contacts à l’intérieur de la mairie. On espère donc juste que la collaboration va continuer. Le départ de M. Tory ne devrait pas trop changer les choses. On connait très bien Jennifer McKelvie (mairesse adjointe qui gouverne par intérim). Elle a toujours été ouverte à nous appuyer, toujours présente dans les moments importants. On garde ce lien de confiance.

Allez-vous à nouveau démarcher les candidats et les sensibiliser à la réalité des Franco-Torontois, avant les prochaines élections prévues en juin?

Oui, c’est exactement ce qu’on va faire. C’est important pour les électeurs de comprendre le point de vue de chacun, et de sensibiliser les candidats à l’existence de la communauté. L’idée, c’est d’éclairer les gens dans leur choix, mais aussi de montrer au futur maire qu’on est là.

Pour Zahra Diallo, le maintien de services en français passe par une vigilance de tous les instants. Crédit image : Rudy Chabannes

Comment mieux faire connaître la francophonie de la Ville reine?

Il y a plusieurs moyens de le faire, comme par exemple par le biais de la table de concertation. On a récupéré la gestion de ce réseau auparavant chapeauté par le Centre francophone du Grand Toronto. On a essayé de réunir des organismes et de coordonner des événements en commun. Ça apporte plus de visibilité, notamment quand il s’agit de faire connaître une initiative au-delà des membres et des clients d’un seul organisme. Quand tout le monde se donne la main et promeut une activité, ça démultiplie l’audience.

Comment éviter un nouveau cafouillage de la Ville comme celui qu’on a connu avec la suppression (finalement abandonnée) de milliers de livres de langue française dans les bibliothèques publiques?

La décision de supprimer des livres a été renversée grâce à la communauté qui a montré qu’elle pouvait faire bouger les choses. C’est une expérience qui nous rappelle que la vigilance doit être de tous les instants. On n’a pas le choix : il faut sans cesse refaire le travail car ça peut basculer à tous moments.

Pour quelle raison mettez-vous aussi l’emphase sur la francophonie économique, en ce début de mandat?

On a travaillé avec l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) sur l’opération Bonjour Welcome en créant un répertoire qui recence tous les entrepreneurs francophones dans la zone. On veut poursuivre ce recensement. On travaille sur plan là-dessus. Si on ne fait pas connaître ces petites entreprises, on n’aura plus affaire qu’à des entreprises anglophones. Il faut conserver ce tissu économique et on serait aussi ravi de travailler sur un projet en ce sens avec nos partenaires communautaires. Mais on a besoin de financement pour ça. »


LES DATES-CLÉS DE ZAHRA DIALLO` :

1977 : Naissance à Conakry (Guinée)

2006 : Immigre au Canada, à Montréal

2014 : Déménage à Toronto

2019 : Intègre l’Entité 3 à titre d’agente de planification

2023 : Devient présidente de l’ACFO-Toronto

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.