La Cour suprême du Canada. Archives ONFR+

OTTAWA – Dans une décision renforçant l’accès à la justice en français au Canada, la Cour suprême a ordonné un nouveau procès en français à un homme reconnu coupable d’agression sexuelle, après que ses droits linguistiques aient été violés.

C’est ce que la plus haute cour au pays a conclu dans un jugement rendu vendredi de 5 juges en faveur contre 2 dissidents et écrit par le juge en chef Richard Wagner. 

La Cour suprême a ordonné un nouveau procès pour un citoyen de la Colombie-Britannique qui en avait subi un en anglais, après qu’il n’ait pas été avisé de son droit d’avoir des procédures judiciaires dans la langue officielle de son choix. Le plus haut tribunal au Canada estime qu’il s’agit d’une violation de son droit fondamental et que c’est suffisamment grave pour ordonner la tenue d’un nouveau procès.

La cause concerne un Camerounais d’origine, dont la première langue est le français, mais qui parle aussi anglais, Frank Tayo Tompouba. Il a été reconnu coupable en 2019 d’agression sexuelle. Lors de son arrestation et au cours de son procès, il n’a jamais demandé ni été avisé de son droit d’avoir un procès en français.

Frank Tayo Tompouba a porté sa condamnation en appel. C’est à ce moment qu’il a invoqué l’argument selon lequel il aurait dû avoir été avisé de son droit d’avoir un procès en français, alléguant une violation de ses droits linguistiques. Il affirme qu’il a évoqué cette raison seulement en appel, car il ne savait pas qu’il avait le droit de faire une telle demande au début des procédures. Il demandait donc un nouveau procès devant un juge francophone. La cause s’est retrouvée devant la Cour suprême après un refus de la Cour d’appel.

L’avocat de l’accusé, Jon Laxer, a salué « un arrêt historique sur l’accès à la justice dans les deux langues officielles ».

« La Cour suprême du Canada reconnait le caractère fondamental du droit de l’accusé à un procès dans la langue officielle de son choix et qu’un individu ne peut vraiment exercer ce droit que s’il en est informé. Dans cette affaire, la Cour a fourni un cadre utile qui garantit le respect de ce droit à l’avenir. Elle confirme l’importance du bilinguisme institutionnel dans le système judiciaire canadien », se réjouit l’avocat de chez Juriste Power Law qui a plaidé cette cause en Cour suprême.

Une erreur du juge en première instance

La Cour d’appel avait rejeté les arguments de M. Tayo Tompouba, qui demandait à ce qu’on lui accorde un nouveau procès comme réparation, même si elle avait reconnu que ses droits linguistiques avaient été violés. Les trois magistrats avaient écrit dans leur décision que le fait que ce dernier ait démontré une bonne connaissance de l’anglais avec les policiers et qu’il ait « témoigné en anglais sans difficulté apparente » ne méritait pas la tenue d’un nouveau procès en français.

Or, dans le jugement, le juge en chef Richard Wagner explique que la faute de ne pas avoir avisé M. Tayo Tompouba revient à la couronne et que celle-ci n’a pas prouvé qu’un « manquement n’a pas causé un tel préjudice à M. Tayo Tompouba ».

« Le ministère public a échoué à cet égard : les éléments de preuve sur la question sont, au mieux, stériles. Face à l’incertitude et au doute qui subsiste, notre Cour n’a d’autre choix que de conclure que le manquement (…) est une erreur de droit qui a causé un préjudice important à M. Tayo Tompouba », décrit le magistrat.

Le fait que l’accusé pouvait parler anglais et a subi un procès en anglais « sans difficulté apparente », comme l’a conclu la Cour d’appel, « n’est que d’une utilité limitée », poursuit le juge Wagner dans son raisonnement.

« On ne peut écarter, selon la prépondérance des probabilités, la possibilité que M. Tayo Tompouba ait choisi de subir un procès en français s’il avait été dûment informé de son droit fondamental de le faire », soutient-il.

Les deux juges dissidents, Andromache Karakatsanis et Sheilah L. Martin conviennent comme leurs collègues que les droits linguistiques de l’accusé camerounais ont été violés. Ils désapprouvent toutefois la décision d’ordonner un nouveau procès, acquiesçant le jugement rendu par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

« À notre avis, la confiance du public envers l’administration de la justice serait minée si un appelant qui connaissait ses droits linguistiques, mais qui a attendu d’être déclaré coupable avant de soulever le manquement, bénéficiait néanmoins d’un nouveau procès pour ce motif », argumentent-ils.

 Un dossier similaire en 1999

Ce cas rappelle celui de Jean Victor Beaulac, en 1999. Grâce à une décision de la Cour suprême, il avait obtenu un nouveau procès en Colombie-Britannique, après avoir été déclaré coupable de meurtre au premier degré lors de procédures en anglais. Le tort causé à l’accusé avait été considéré comme important, et non comme une irrégularité de procédure, écrivait dans la décision l’ancien juge du plus haut tribunal au pays, Michel Bastarache.

Aujourd’hui reconnue comme l’arrêt Beaulac, cette décision avait forcé le gouvernement fédéral de l’époque à amender le Code criminel canadien pour ajouter le droit d’un accusé à demander un procès dans l’une des deux langues officielles.