36 jours de solitude et de couacs pour les enjeux francophones
OTTAWA – En dépit d’un soubresaut sur le postsecondaire, la campagne électorale n’a pas été favorable aux attentes francophones, analysent plusieurs observateurs. Souvent ignorés, parfois effleurés ou mollement défendus, les intérêts francophones ont fait à maintes reprises l’objet de maladresses, soit par manque de connaissance du dossier, soit par québéco-centrisme. Voici cinq moments marquants qui ont surpris ou exaspéré les communautés de langue française à travers le pays.
JOUR 1 : Justin Trudeau ou le fardeau des langues officielles
Dès le premier jour de campagne, la modernisation inachevée de la Loi sur les langues officielles (LLO) est revenue comme un boomerang au visage du premier ministre sortant.
Ses adversaires se sont engouffrés dans la brèche, dénonçant un geste tardif. « Vous avez eu six ans pour le faire » attaqueront inlassablement les troupes d’Erin O’Toole et Jagmeet Singh, Justin Trudeau et sa ministre des Langues officielles opposant la mauvaise foi de ceux qui auraient ralenti la réforme en chambre.
Si elle devenue un enjeu électoral, la modernisation de la LLO n’a toutefois pas occupé une place considérable, en grande partie car les partis sont quasi unanimes sur sa nécessité. La réaliser en 100 jours est devenu le leitmotiv des libéraux comme des conservateurs pour rallier le vote francophone.
JOUR 11 : Singh embourbé dans le postsecondaire à Sudbury
La venue du leader néo-démocrate à Sudbury, au 11e jour de campagne, sonnait comme un déplacement prometteur pour marquer l’attachement du NPD au postsecondaire. Mais sur le parvis de l’Université de Sudbury, Jagmeet Singt a brouillé les cartes en volant au secours de l’Université Laurentienne, sans apporter un soutien clair au projet de transfert de l’ensemble des programmes du Moyen-Nord ontarien dans une université par et pour les francophones : l’Université de Sudbury.
Une « gaffe importante » selon la politologue Geneviève Tellier, « comme s’il n’était pas au courant ou n’avait pas été briefé sur cet enjeu. Il aurait aussi pu mettre de l’avant dans la campagne que le NPD a déposé plusieurs projets de loi sur la transparence dans le financement des universités, il ne l’a pas fait ».
« Cette maladresse a été d’autant plus marquante que le NPD avait choisi la terrasse de l’université de Sudbury pour son point de presse », ajoute la politologue Stéphanie Chouinard. « Mais cette bourde a permis au dossier du postsecondaire d’occuper quelques jours de campagne. Je ne suis pas certaine que le premier ministre aurait pris la peine de passer à Sudbury pour faire une annonce exactement au même endroit sur le postsecondaire. »
JOUR 25 : un débat des chefs « québéco-centriste »
La troisième flèche de cette campagne éclair n’a pas été décochée par un chef de parti, mais par le diffuseur public canadien, Radio-Canada, organisateur du deuxième débat des chefs. Au terme d’une émission-fleuve de près de deux heures, l’animateur a posé une question sur la francophonie minoritaire. « Allez-vous aider le campus Saint-Jean en Alberta, l’Université de Sudbury et l’Université de Moncton, vulnérables devant les coupes des provinces » a interrogé Patrice Roy, pressant les candidats de répondre en 20 secondes chacun.
La séquence a choqué hors Québec.
On aurait pu penser que le consortium des médias ait un mandat pancanadien et aurait pu aborder ces enjeux. On n’a rien eu de tel », déplore Geneviève Tellier. « À chaque fois qu’il y a eu une attention particulière, c’était centré sur le Québec et on s’est retrouvé encore perdant », décrypte la politologue ottavienne.
Au-delà de cette ultime minute sur le postsecondaire et de la polémique sur les livres détruits par un conseil scolaire du Sud-Ouest ontarien, des opportunités se sont pourtant présentées au cours du débat pour mettre la lumière sur les francophones hors Québec, mais les chefs ont répondu avec constance ce qu’ils feraient uniquement au Québec, une province courtisée pour son potentiel de voix.
Stéphanie Chouinard, qui qualifie les questions sur la francophonie de « notes de bas de page » estime qu’« un effort aurait pu être fait pour être moins québéco-centriste dans les questions comme dans les réponses. Du point de vue national, on a été très mal servis.
Pour le débat de TVA d’accord, mais pour le débat du consortium, ça aurait dû être primordial ».
JOUR 31 : Blanchet, la « seule voix des francophones » interdite d’Acadie
Quelques jours plus tard, la polémique se déplace dans les Maritimes. En déplacement dans l’archipel des îles de la Madeleine, Yves-François Blanchet s’apprête à mettre le cap sur Caraquet et l’Acadie quand, soudain, la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) lui oppose une fin de non-recevoir. Coup de théâtre.
Son président, Alexandre Cédric Doucet, prend par surprise les équipes du chef du Bloc québécois qui devront renoncer au voyage prévu de longue date.
Au micro d’ONFR+, le président de la SANB expliquera sa décision par le fait que, sans candidats ni députés en Acadie, le Bloc québécois ne peut prétendre parler au nom des Acadiens ni vouloir les représenter.
Au cours de la campagne électorale, profitant d’un vide politique sur la francophonie hors Québec, M. Blanchet s’est qualifié de « seule vois des francophones en milieu minoritaire ». Une position que n’a pas appréciée la SANB qui imposait comme condition à la venue du leader québécois une discrétion totale.
Les appels de plusieurs médias à quelques heures du déplacement ont scellé l’abandon du projet.
JOUR 31 : O’Toole et l’immigration francophone, une affaire québécoise
Le même jour, le conservateur Erin O’Toole débarque dans l’Est ontarien, à Russell. Le choix de Glenngarry-Prescott-Russell soulève la curiosité et suscite l’espoir de voir enfin un chef faire un plaidoyer pour la francophonie minoritaire, dans la circonscription la plus francophone de l’Ontario.
Confrontés à une grave crise de pénurie de main-d’œuvre en français, les acteurs du dossier cherchent des solutions dans tous les secteurs. Une des clés identifiées est l’immigration francophone.
Contre toute attente, M. O’Toole n’évoquera pas le sujet. Une question a pourtant bien été posée sur la pénurie de main-d’œuvre mais le député de Durham répondra que, pour y remédier, il donnerait plus d’autonomie au Québec, ignorant complètement la crise franco-ontarienne dans ce domaine.