50 ans de bilinguisme municipal à Sudbury : une étude révèle d’importants reculs
SUDBURY – Un rapport d’enquête réalisé pour l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) du grand Sudbury revient sur la situation des politiques de bilinguisme municipal dans le Grand Sudbury, lesquelles fêtent 50 ans d’existence cette année. Après avoir en avoir relevé les nombreuses lacunes, l’historien Serge Dupuis, qui a réalisé l’étude, émet sept avenues possibles pour améliorer la place du français dans la ville, lequel aurait reculé depuis une vingtaine d’années.
Parmi ses constats, la recherche parue le Jour des Franco-Ontariens, établit que les politiques de bilinguisme de 1973-1974 et de 2001, malgré qu’elles aient pu contribué à légitimer la place du français dans le milieu municipal ont eu pour conséquence « de chasser le français comme langue de travail au sein de l’administration municipale ».
Selon Serge Dupuis, la fusion municipale imposée en 2001 par le gouvernement progressiste-conservateur de Harris a eu un impact négatif pour les francophones du Grand Sudbury.
« C’est inquiétant pour une ville qui se dit bilingue », confie le maire élu en octobre dernier, Paul Lefebvre au micro d’ONFR, qui ajoute que la ville produira également un rapport sur la question qui devrait paraître d’ici quelques mois.
Jonché de témoignages d’ex-employés et conseillers municipaux et de militants francophones, d’expertises, de chercheurs et d’extraits d’articles de presse, ce rapport établit des parallèles avec « deux villes bilingues d’envergure », Ottawa et Moncton (Nouveau-Brunswick) dont le chercheur estime qu’il serait pertinent de suivre l’exemple.
La langue de travail est un des plus importants reculs dans la municipalité où des employés ont témoigné de certaines insécurités linguistiques dans l’exercice de leur travail en français et où le nombre d’employés bilingues et francophones continue de diminuer. « Il y a quelque chose qui manque, le moment est opportun, c’est une conversation à avoir et une ville à tout à gagner à avoir des employés bilingues », juge l’ex-député fédéral de Sudbury et premier maire franco-ontarien de la ville depuis 1982.
L’étude sera présentée au courant du banquet de la francophonie de l’ACFO-Sudbury ayant lieu en soirée dans la ville du nickel, mais aussi demain lors du conseil municipal.
Établir un règlement pour le bilinguisme
La première des sept pistes de solution proposée par l’auteur pour remédier à la situation consiste à la mise en place d’un « règlement costaud surveillé par le Commissariat provincial », car celui-ci permettrait une intervention de l’Ombudsman de l’Ontario en vertu de la Loi sur les municipalités.
L’ex-présidente de l’Association française des municipalités de l’Ontario (AFMO), Nicole Fortier Levesque, considère qu’un tel règlement « pourrait libérer la directrice des communications et l’ACFO du grand Sudbury du fardeau de devoir gérer les plaintes », laquelle pourrait plutôt se concentrer à élargir la place du français dans l’administration municipale.
Pourrait-on voir une telle initiative à municipalité? « Oui parce que comme c’est là, c’est nous qui l’observons alors si l’Ombudsman est prêt à le faire, ça va nous libérer un peu de travail et puis c’est bon d’avoir une tierce partie pour juger de tout ça », lance M. Lefebvre.
De son côté, la présidente de l’ACFO du grand Sudbury relève des incohérences au niveau du poste de coordonnateur du Programme local en immigration, créé au printemps 2019 lorsque Sudbury devient une des 14 villes accueillantes à l’immigration francophone par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. En plus du fait qu’il ne s’agit pas d’un poste désigné bilingue, « le poste est toujours occupé par une personne qui ne parle pas le français », regrette Joanne Gervais.
Une autre avenue pour la ville concerne l’affichage commercial bilingue pour, notamment, baigner les enfants dans un environnement où le français est aussi visible que l’anglais.
Le français comme langue de travail
Tout au long du rapport, un amalgame entre le français comme langue de service et langue de travail, qui, en plus du manque d’employés bilingues ou francophones, affectent durablement la capacité de développer le français dans la municipalité.
Ce à quoi répondent deux autres pistes d’opportunité, à savoir, entre autres, « l’instauration de projets pilotes de recrutement et de formation linguistique pour que le français devienne une langue de travail dans quelques années permettrait d’évaluer l’expérience, en vue de l’implanter dans d’autres secteurs », et d’établir des équipes travaillant en français.
« L’idée avait été promise lors de la fusion de la ville en 2001, mais il n’y a jamais eu un focus dessus puis ça a été un peu délaissé », avance le maire Lefebvre qui juge que cette piste, que son administration compte évaluer, est celle la plus réalisable dans un futur proche.
Le chercheur conclut également que la ville de 165 000 habitants aurait à gagner à réformer le bilinguisme, car « le signal pour la langue de travail vient d’en haut », autrement dit, il propose de fixer un délai pour que les chefs de service deviennent bilingues, comme le fait Ottawa depuis 1994.
S’orienter vers l’avenir
M. Dupuis suggère la création d’un organisme qu’il appelle « Dialogue Grand Sudbury » et qui pourrait agir « comme liaison entre les parents anglophones, les programmes d’immersion française, les organismes de la communauté francophone, ainsi que la Ville afin de dépasser la tradition minimaliste des services en français ».
Il en veut pour exemple l’initiative de Dialogue Nouveau-Brunswick (DNB), lequel existe depuis 1991, qui pourrait s’avérer utile pour des discussions avec les anglophones réfractaires au bilinguisme, et dont l’action s’inscrirait dans la reconnaissance, la sécurité, linguistique et l’habilitation.
Enfin, le chercheur à l’Université Laval établit qu’il faudrait élaborer une évaluation et des plans stratégiques quinquennaux. Il juge, qu’en ce sens, trois études menant à poser un constat de la situation « pour humaniser la démarche et comprendre les frustrations des employés », « à évaluer les capacités bilingues de la ville », et « évaluer de l’impact économique du bilinguisme pour la ville ».
Choisir son combat, le dilemme des francophones
Un élément que l’on retrouve tout au long du récit des 50 dernières années est le manque de ressources en français, l’insécurité à la fois des citoyens et des employés municipaux, qui conduit les francophones à devoir choisir leurs combats.
Dans les années 80, l’historien parle d’un rendez-vous manqué avec l’avènement de la Loi sur les services en français qui n’a pas eu d’impact sur la place du français dans la municipalité régionale. La raison est que les acteurs francophones consacrent leurs énergies à la mise sur pied du Centre de santé communautaire du Grand Sudbury (1991), du Collège Boréal (1995) et des deux premiers conseils scolaires de langue française (1998).
Une situation quasi similaire a lieu en 2015 lorsque le Comité d’appui sur les services en français envisageait de réformer la politique linguistique de la Ville du Grand Sudbury « pour s’assurer qu’elle rencontre les besoins de la communauté », et de l’inscrire dans le plan opérationnel. Au même moment, l’auteur relève que les énergies des Franco-Sudburois ont été consacrées à la fondation de la Place des Arts et au chantier de l’Université de Sudbury, délaissant ainsi le bilinguisme municipal.
Le chercheur finit par parler d’aujourd’hui comme d’un moment pour agir, avec la récente adoption de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Et de conclure sur une note d’espoir : « Pour réduire l’ampleur de la dysfonction, il faudra essayer de nouvelles choses, quitte à se tromper, quitte à être surpris par la découverte de pratiques gagnantes là où on ne les attendait pas. »