
Eau brunâtre à Verner : une solution temporaire sous la pression citoyenne

VERNER – La municipalité de Nipissing Ouest explore de nouvelles pistes pour enrayer le problème d’eau brunâtre qui persiste dans le village de Verner. Si une solution durable semble encore lointaine, la municipalité teste actuellement une approche provisoire : l’installation de systèmes de filtration à domicile, en attendant un appui financier provincial pour une solution permanente.
Depuis plusieurs années, une partie des résidents de Verner doit composer, de manière sporadique mais récurrente, avec une eau décolorée, souvent causée par des concentrations élevées de manganèse, un élément naturel qui peut s’accumuler dans les conduites.
Selon le Bureau de santé publique de North Bay-Parry Sound, les niveaux de manganèse mesurés dans le réseau de Verner demeurent en dessous des limites maximales permises et ne présentent pas de risque, même pour les nourrissons.
Selon le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs (MECP), qui assure la surveillance du système d’eau potable, la décoloration observée récemment pourrait être liée à des travaux d’entretien comme le rinçage des conduites. En cas d’eau brunâtre, les résidents sont invités à faire couler l’eau froide quelques minutes.

« Chaque fois qu’on met la table ou qu’on flush la toilette, c’est dégueulasse. J’ai honte de voir mon bain. Mon linge sent mauvais après la lessive et j’ai dû changer mon réservoir d’eau chaude deux fois », déplore Carole Cousineau, une résidente du secteur qui vit avec ces désagréments depuis près de sept ans.
Lesa Chayer-Coutu partage cette frustration. À la suite d’analyses privées qu’elle a fait réaliser à ses frais, les résultats, parus le 24 juin dernier, ont confirmé des taux de manganèse non conformes durant les épisodes de décoloration.
« Ils disent que c’est potable, mais c’est faux. Mon médecin m’a dit d’arrêter de boire l’eau. On a retrouvé du manganèse dans mon sang. C’est l’une des causes de ma maladie. »
Elle s’inquiète tout particulièrement pour les jeunes enfants et les personnes vulnérables et dit jeter systématiquement l’eau lorsque sa couleur vire au brun. « Le manganèse, ça peut causer des problèmes neurologiques. C’est dangereux. »
Système de filtrage à base de charbon
Lors de la séance du conseil municipal du 8 juillet dernier, les élus avaient discuté d’options possibles durant près d’une heure. Après un vote approuvé par la majorité, le conseil a opté pour l’exploration d’un projet pilote consistant à équiper une dizaine de foyers de filtres à charbon pouvant desservir toute la maison.
Le coût serait plafonné à 500 $ par installation, pour un total de 5 000 $. Le conseil demeure cependant divisé sur le financement, lequel pourrait être assumé soit par les foyers concernés soit par la municipalité.
L’idée a été présentée par le conseiller Fernand Pellerin, aussi président du Comité d’eau et des égouts. « Il y a eu des commentaires positifs sur cette approche, et le personnel municipal va poursuivre les recherches pour évaluer son efficacité », a indiqué le conseiller Roland Larabie.

Parmi les premières maisons à avoir testé ce système, celle de Mme Chayer-Coutu. « Depuis que mon mari a installé le filtre, on n’a plus eu d’eau brune », rapporte-t-elle.
Technicien spécialisé en traitement de l’eau, son conjoint a même été sollicité par la municipalité pour fournir une estimation de prix pour les prochaines installations. « Ils vont essayer ça dans cinq ou six maisons. Mon mari leur soumet les prix. »
Pas la bonne démarche
Mais si elle constate une amélioration chez elle, elle ne croit pas que cela règle le problème à la source.
« L’eau est claire quand elle sort de l’usine. Le vrai problème, ce sont les tuyaux sous la terre, pleins de manganèse. » Un constat qu’elle juge trop souvent ignoré : « Ils ne testent pas l’eau dans nos maisons, ils testent seulement au centre de traitement. Ce n’est pas représentatif. »
Mme Cousineau est du même avis : « Si c’était un problème de manganèse, tout le monde aurait de l’eau brune, pas juste une maison ici, une maison là. »
« Ça fait cinq ans qu’on en parle et il n’y a jamais de résultat. Ils disent qu’ils vont installer des filtres pour tester, mais pour moi, c’est juste encore du parlage », commente-t-elle, sceptique.
Cette discussion s’inscrit dans une volonté exprimée par le conseil de « penser en dehors du cadre habituel », alors que les attentes d’une intervention provinciale tardent à se concrétiser.

Le projet de raccordement du réseau de Verner à celui de Sturgeon Falls reste la solution privilégiée à long terme, mais son coût, estimé aujourd’hui à 25 millions de dollars, dépasse les moyens financiers de la municipalité sans un soutien provincial massif.
La municipalité espère obtenir une aide financière du programme provincial Volet Santé et sécurité en matière d’eau, qui permettrait d’absorber entre 27 % et 73 % de la facture.
Des solutions maison… et des inégalités
Outre les systèmes de filtration, d’autres options sont envisagées, comme le ravitaillement ponctuel en eau potable, ou encore l’utilisation de conduites internes mieux préservées dans certains secteurs du village.
« Il y a des endroits à Verner où l’eau est encore bonne. On pourrait temporairement s’approvisionner à partir de là », a suggéré M. Larabie.
Un tel scénario soulève toutefois des questions d’équité. Carole Cousineau pointe du doigt la rue Cartier comme particulièrement touchée.
« Moi, j’ai de l’eau brune et mon voisin de l’eau claire. Puis l’inverse la semaine d’après. Les tuyaux datent de 1974, ils sont pleins de rouille et de bouette. Ça entre dans nos maisons, et ça bloque même les bornes-fontaines. »

Cette situation a un impact concret sur le quotidien : vaisselle, lavage, hygiène, et même projets de rénovations sont reportés. « On pense à rénover la salle de bain, mais avec une eau comme ça, ça ne vaut pas la peine. Tout redevient brun », dit-elle.
De son côté, Lesa Chayer-Coutu rapporte que les épisodes d’eau brunâtre sont de plus en plus imprévisibles. « C’est trop au hasard. Tu ne sais jamais si tu vas avoir de l’eau claire ou pas. »
Une communauté mobilisée
Lors d’une rencontre publique à Verner le 17 juin dernier, plusieurs citoyens avaient exprimé leur colère face à ce qu’ils perçoivent comme de l’inaction municipale.
Certains s’étaient rendus au conseil avec des échantillons d’eau brunâtre en main, réclamant des réponses concrètes et des engagements fermes.
Carole Cousineau souligne aussi le poids moral et émotionnel de cette lutte. « J’ai arrêté d’utiliser mon lave-vaisselle depuis des années. Je ne prends même pas de chance pour me brosser les dents avec cette eau-là. »
La Franco-Ontarienne dit avoir contacté Santé Canada pour porter plainte et partage ses résultats d’analyse dans les groupes locaux. « Je veux que les gens sachent que ce n’est pas un petit problème. C’est notre santé. »
La prochaine rencontre du conseil, le 12 août, doit permettre de décider si le projet-pilote ira de l’avant pour le reste des quelques 3300 foyers concernés.
En attendant, des résidents comme Carole Cousineau poursuivent leur combat pour une eau véritablement potable, rappelant que malgré les apparences, leur réalité n’a rien d’anodin : « On paie déjà pour un système d’eau potable, mais la nôtre ne l’est pas. »